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André Martinez: le cadran de montre est sa toile

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juillet 2023


André Martinez: le cadran de montre est sa toile

L’artisan, qui a donné ses lettres de noblesse à la peinture miniature en horlogerie, a formé une génération entière de successeurs et contribué à disséminer cet art décoratif dans des marques de Haute Horlogerie. Son nouveau défi: démocratiser cette décoration avec le lancement de sa propre marque spécialisée en peinture miniature, baptisée de son nom. Rencontre.

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é à Barcelone, André Martinez arrive au Locle avec sa famille à l’âge de 4 ans, en 1961: un changement d’horizon qui le «prédestinera» à rejoindre l’industrie locale dominante, l’horlogerie. C’est pourtant d’abord en bijouterie que le jeune homme à la fibre artistique se forme. Mais après un apprentissage de bijoutier joaillier sertisseur à l’école d’art de La Chaux-de-Fonds, il se tourne naturellement vers l’horlogerie et se reconvertit en prototypiste, avant de grimper les échelons, ce qui lui permettra de retrouver indirectement sa passion joaillière, appliquée à l’horlogerie.

Alors qu’il a 28 ans, un important cadranier du Locle lui confie la mission de créer un département de joaillerie. C’est un franc succès. Mais après une décennie, il se retrouve toujours plus, en tant que responsable d’unité, dans des tâches administratives et de moins en moins la main sur le cadran, sa passion. Il veut revenir au travail manuel, notamment à sa spécialité décorative: la peinture miniature. «A l’époque, c’était l’émail grand feu qui dominait, raconte-t-il. Or je peignais sur de la nacre, qui n’était pas un bon support pour ce procédé. Il y avait tout un horizon à ouvrir pour la peinture miniature.»

André Martinez développe alors cette forme de décoration pour plusieurs marques, dont deux principalement: Bovet, pour laquelle il est toujours actif à ce jour, et Corum, sous l’ère fructueuse de Severin Wunderman, qui souhaitait démocratiser la peinture miniature en commandant plusieurs centaines de pièces par an à l’artisan. Celui-ci constitue donc son propre atelier, qui se révélera comme une véritable pépinière de talents, contribuant largement à la dissémination de cet art.

André Martinez: le cadran de montre est sa toile

Le pinceau dans la valise

Arrive l’ère de la verticalisation dans l’industrie: plusieurs de ses protégés rejoignent directement des maisons horlogères. Il n’existe pas de formation officielle en peinture miniature, la pratique de terrain est donc déterminante. «J’ai eu des propositions de rachat auxquelles je n’ai pas donné suite, car cela serait tuer ma passion, souligne l’artisan. J’avais lancé mon atelier pour échapper à la vie de bureau, ce n’était pas pour y retourner!» Son épouse est à ses côtés dans l’atelier, spécialisée dans le laquage de précision.

André Martinez: le cadran de montre est sa toile

En 2022, André Martinez a atteint l’âge de la retraite. Il ne compte pas pour autant abandonner ses pinceaux. Toujours actif pour plusieurs marques, son nom est devenu une référence: il est sollicité directement par les collectionneurs, un peu à la manière d’Anita Porchet dans le travail de l’émail. Il fait le tour du monde régulièrement pour dévoiler son art spectaculaire lors d’expositions horlogères, des sessions toujours très appréciées du public. Le travail d’un seul cadran peut prendre d’une dizaine à plus de 300 heures. «On a du mal à se représenter la patience que cela requiert, le public est souvent interloqué lors de ces sessions», confie l’artisan, qui travaille principalement sur des pièces uniques ou des séries très limitées.

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Trouver les bons ingrédients

Comment se déroule le processus de création? «La plupart du temps, le collectionneur vient avec sa propre idée, explique André Martinez. Je fais alors des propositions de motifs et de matériaux. Je me suis spécialisé dans le «détournement» de nombreux matériaux, comme le SuperLuminova ou l’encre de Chine. La peinture miniature peut être appliquée sur une base d’or, de bois ou de nacre.» Les pigments utilisés sont fabriqués en Suisse sous forme de pâte synthétique et sont testés au Laboratoire Dubois afin de garantir leur stabilité et leur longévité, notamment quant à leur résistance aux rayons UV, tout en répondant aux normes REACH. André Martinez a pris plusieurs années pour trouver les bons mélanges, qui sont repris aujourd’hui par ses élèves.

Le succès incontesté des montres «artisanales» de ces dernières années signifie aussi un nouvel âge d’or pour son travail. «On est arrivé à un tel point d’industrialisation que les gens veulent revenir au fait main», note le spécialiste. Parmi les motifs récurrents, celui-ci réalise un grand nombre de portraits, mais également des paysages, des copies de tableaux de maître, de Vélasquez à Warhol, jusqu’à des œuvres abstraites. C’est un travail collectif: «Je fais en sorte que les employés à l’atelier soient polyvalents, notamment pour éviter une forme d’ennui ou de répétition sur une série.»

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Démocratiser pour mieux transmettre

Alors qu’il n’a plus rien à prouver, André Martinez s’est lancé un nouveau défi: reprendre la démocratisation de l’art de la peinture miniature, aujourd’hui essentiellement réservé à la Haute Horlogerie, qui avait été initiée par Severin Wundermann, en proposant ses propres séries de modèles à peinture miniature. «Cela fait longtemps que j’avais cette idée, mais je l’avais repoussée en raison de la surcharge de travail à l’atelier, explique-t-il. Aujourd’hui, alors que j’arrive à l’âge de la retraite, je concrétise enfin mon rêve.»

La collection horlogère André Martinez est enfin prête, avec une boîte originale conçue par l’artiste et cinq pièces exceptionnelles en or 18k pour démarrer. Chaque cadran est peint à la main sur une base en nacre naturelle. Les prix oscillent aux alentours de CHF 40’000, soit un segment plus accessible que les modèles des marques horlogères traditionnelles sur lesquels on retrouve habituellement sa prestigieuse signature.

André Martinez: le cadran de montre est sa toile

«Les marges sont réduites en tant que petite marque, mais c’est mon esprit d’indépendance qui s’exprime, poursuit le peintre. En réalité, plus qu’une nouvelle marque horlogère, c’est véritablement un art que je veux mettre en avant et faire connaître, afin de mieux le transmettre.» En parallèle, il continue toujours de former de nouveaux talents au sein de son atelier, ceci afin de le seconder dans la réalisation de projets futurs pour sa clientèle qui lui témoigne sa confiance depuis de nombreuses années.

Avec sa propre collection, André Martinez se réjouit de pouvoir «concrétiser toutes les idées accumulées au fil des années», qu’il n’a pas encore pu réaliser: «Vivre de sa passion en toute liberté, c’est le plus grand des luxes. Et assister directement à la réaction des clients lorsqu’ils participent au jour le jour à l’avancement de leur modèle, en tant qu’acteurs de leur projet de garde-temps, c’est encore ce qu’il y a de mieux dans la vie!»