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Dessine-moi un cadran!

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mai 2024


Dessine-moi un cadran!

Applaudi ou mal compris, le designer horloger est aux avant-postes de chaque nouveau projet. Le collectionneur le perçoit souvent comme un artiste doté d’une forte personnalité et d’une riche culture personnelle. Pourtant, ses propositions ressemblent davantage à un équilibre subtil entre convictions et contraintes. Europa Star a tendu le microphone à cinq d’entre eux.

L

es designers horlogers s’accordent sur un point crucial: le cadran joue un rôle déterminant dans le succès d’un nouveau modèle. Selon Benoît Mintiens, designer et fondateur de la marque Ressence, «le cadran est le cœur de la montre. La fonction et la raison d’être d’une montre est l’affichage d’une information: elle montre le temps.» À tel point que Barth Nussbaumer – designer de la montre «Golf» de TAG Heuer, de la Grande Seconde de Jaquet Droz, de l’Escale de Louis Vuitton ou encore de La Rattrapante de Petermann Bédat – a longtemps présenté des premières esquisses de boîtier sans cadran: «Le cadran captait tellement l’attention de mes clients qu’ils en oubliaient presque le boîtier! En outre, les contraintes de temps ne permettaient pas d’étudier réellement en profondeur la boîte et le cadran.»

Éric Giroud
Éric Giroud

Geometry de Schwarz Etienne
Geometry de Schwarz Etienne

Le mot est lâché: contraintes. Loin de l’image d’Épinal de l’artiste totalement libre, chaque nouveau dessin de montre est soumis à des contingences fortes, comme le souligne Eric Giroud: «Le cadran est un ensemble très riche d’événements avec lesquels il faut se faire «ami» afin de créer quelque chose de singulier.»

Funambule éclairé

Le designer doit naviguer avec finesse, car le chef de projet a souvent des exigences spécifiques. Il peut demander un dessin inspiré d’une montre concurrente ou d’un modèle qu’il apprécie tout particulièrement. Cela exige un équilibre subtil entre répondre aux attentes du client et apporter une touche unique, tout en conservant les «codes visuels propres à chaque marque», comme le souligne Eric Giroud.

Matthieu Allègre
Matthieu Allègre

Heritage Chronograph 324.478 de Lebois & Co.
Heritage Chronograph 324.478 de Lebois & Co.

«Une marque doit établir des codes, confirme Barth Nussbaumer, et s’y tenir comme l’a fait François-Paul Journe qui a créé un discours et le perpétue.» Et d’ajouter: «On reconnaîtrait difficilement une Cartier arborant des chiffres arabes au lieu des traditionnels chiffres romains!»

Dialogue impérieux

«La démarche doit aussi tenir compte des fonctions horlogères et des différents éléments du cadran, rappelle Eric Giroud. Une trois aiguilles ne s’approche pas de la même manière qu’un quantième perpétuel.» En amont s’instaure un dialogue indispensable entre le designer – interne ou indépendant – et le bureau de développement. Les fascinantes finitions de certains rouages et la complexité technique des mouvements mécaniques poussent parfois l’horloger à revendiquer plusieurs ouvertures sur le cadran, comme autant de fenêtres sur un monde intérieur mécanique habituellement caché. Le designer doit alors composer.

Alain Silberstein
Alain Silberstein

Marine Tourbillon d'Alain Silberstein
Marine Tourbillon d’Alain Silberstein

Il peut aussi être force de proposition, en transformant par exemple une indication traditionnelle par aiguille en compteurs, comme le souligne le designer Matthieu Allègre: «Partir d’un mouvement de base pose toute suite certaines règles, mais le plus excitant est lorsque le mouvement n’est pas encore créé. A ce moment-là, on peut travailler sur l’équilibre général et la lisibilité de l’affichage.»

Outre la recherche de singularité, la conception de cadrans de montre devient une quête artistique fascinante, où chaque designer apporte une vision unique influencée par des sources diverses. Benoît Mintiens, pionnier dans le domaine, décrit sa démarche comme la création d’un «écran mécanique». Il exploite des disques coplanaires en mouvement pour présenter le temps de manière traditionnelle, fusionnant l’esthétique innovante avec une lecture classique.

Nicolas Barth Nussbaumer ©Joël von Allmen
Nicolas Barth Nussbaumer ©Joël von Allmen

K,P–n°01 (Kollokium Projekt 01) “friends & family” de Kollokium projects
K,P–n°01 (Kollokium Projekt 01) “friends & family” de Kollokium projects

En parallèle, Matthieu Allègre puise son inspiration dans les différents courants artistiques, comme «le Streamline, l’Art déco, le Space Age ou le Futurisme», ainsi que dans d’autres univers comme «l’automobile, le nautisme, la plongée ou encore parcourir des milliers d’images de montres vintage», tout en gardant en tête que l’objectif premier est bien «d’inventer et non de copier».

Quant à Alain Silberstein, son amour pour l’architecture Bauhaus transparaît dans ses créations. Les trois couleurs primaires, jaune, rouge et bleu, devenues son unique palette, ajoutent une dimension artistique distinctive à ses cadrans. L’union entre l’esthétique Bauhaus et ces teintes vibrantes résulte en des designs de montres reconnaissables au premier coup d’œil. C’est le cas des collaborations avec des marques telles que MB&F, Angelus, Bell & Ross ou encore Louis Erard.

Benoît Mintiens
Benoît Mintiens

Type 1 Round de Ressence
Type 1 Round de Ressence

Même si leur parcours, leurs convictions esthétiques et leurs références stylistiques varient, les cinq designers avec qui nous avons échangé partagent au moins un point commun: l’indépendance vécue au quotidien. Un atout majeur à l’heure d’explorer de nouveaux territoires ou de répondre aux attentes de leurs clients.