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Alan Roura: former les nouvelles générations de navigateurs suisses

juin 2025


Alan Roura: former les nouvelles générations de navigateurs suisses

Soutenu par Hublot, le skipper genevois, qui a passé plus de temps sur mer que sur terre depuis sa naissance, se pose un nouveau défi: passer de la course en solitaire à l’équipage et former les meilleurs nouveaux talents de Suisse pour en faire des champions du grand large.

A

près avoir parouru trois Vendée Globe, dont le dernier à la barre de son navire Imoca 60 Hublot, le skipper genevois Alan Roura peut se targuer d’avoir réussi à de multiples reprises le test redoutable de «Everest des mers». Celui qui a passé le plus clair de son temps sur l’eau depuis l’âge de deux ans a aussi été le plus jeune participant à terminer l’épreuve légendaire, en 2016. A son actif, il est également le détenteur, depuis 2019, du record de l’Atlantique Nord en solitaire sur monocoque (7 jours, 16 heures et 58 minutes).

Avec Hublot, dont il est l’ambassadeur sur les océans, le jeune trentenaire partage non seulement des racines, ayant vécu ses premières années sur le bateau familial dans la rade de Genève, mais aussi une quête naturelle d’innovation et d’exploit. L’Imoca Open 60 est un monocoque de 60 pieds (18,28 m) conçu spécifiquement pour le Vendée Globe, fusion de technologies de pointe, et fabriqué à partir de matériaux composites.

Mais c’est à un nouveau défi qu’Alan Roura se prépare et celui-ci est collectif: celui de former et d’emmener en compétition les meilleurs talents de Suisse, dès cette année. Après avoir passé des années à «voler» seul sur les mers grâce à ses foils, il est prêt à passer à l’étape suivante: celle de la transmission. Rencontre à Nyon, au bord du Léman, dans une manufacture Hublot en pleine expansion.

Alan Roura à la barre de son navire Imoca 60 Hublot
Alan Roura à la barre de son navire Imoca 60 Hublot

Europa Star: Historiquement, la Suisse est le berceau de marins de grande qualité. D’où vient cette tradition, dans un pays sans accès à la mer?

Alan Roura: Je crois qu’il y a un double facteur qui compte: une initiation très précoce à la voile avec la proximité de lacs où il est facile de naviguer très jeune; et rapidement, l’envie de dépasser ces plans d’eau fermés pour aller goûter le large. Il y a aussi eu une génération pionnière de marins, celle de Bernard Stamm ou Dominique Wavre, qui a partir des années 1970 et 1980 a cassé le complexe du marin suisse de compétition en solitaire. Et les Suisses ont la chance de pouvoir beaucoup voyager, d’explorer le monde, tout en ayant une certaine rigueur dans leur culture et leur éducation. Une combinaison là aussi idéale, car l’accès au monde de la voile est onéreux et requiert de rechercher des sponsors ou d’avoir les moyens de financer son bateau.

Les conditions particulières du lac Léman constituent-elles un atout lors de la préparation de régates?

Le lac présente un relief particulier avec une grande variété de types de montagnes différentes sur un petit nombre de kilomètres. Ce n’est pas forcément la configuration la plus utile pour l’entraînement au grand large, mais elle force à être très réactif, très technique et très précis. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de marins font aussi du parapente autour du lac!

Comme l’horlogerie, la navigation est souvent le résultat d’un lien, d’une transmission familiale. C’est particulièrement pertinent dans votre cas. Comment votre initiation à la navigation s’est-elle faite?

J’ai passé plus de temps sur l’eau que sur terre. Dans mon enfance, j’ai passé six ans sur le lac Léman puis onze ans en mer en famille. C’était une chance incroyable: mes parents ont décidé de ce mode de vie non conventionnel afin d’économiser un loyer et pouvoir partir en voilier avec nous autour du monde. Nous avons traversé plusieurs fois l’Atlantique, avant de rejoindre la Nouvelle-Calédonie. A ma majorité, je suis revenu en Suisse mais j’ai tenu trois jours: je suis tout de suite parti en Bretagne pour m’exercer à la course au large. J’y suis toujours installé, à Lorient, avec mon épouse et nos enfants.

Quelle a été votre première régate?

La Mini-Transat, entre Les Sables d’Olonnes et la Guadeloupe. A l’époque, je dormais dans ma voiture – une Twingo de première génération! – et vivais de petits boulots, sans sponsors. Mais j’ai eu la grande chance de croiser la route d’une famille de Lutry qui a décidé de me soutenir, ce qui m’a permis de faire la Route du Rhum, puis le Vendée Globe. Même si aujourd’hui je me tourne vers la course en équipage, mes premières amours ont été la course en solitaire. On ne peut pas vraiment les comparer: c’est comme la Formule 1 et le rallye! Sur ces premières courses, à partir de 2016, j’ai pris beaucoup de risques, car je naviguais sur un bateau très ancien. Lorsque vous êtes au point Nemo, dans le Pacifique Sud, le point le plus éloigné de toute terre émergée, ce n’est pas forcément rassurant… Mais on peut tout aussi bien attendre toute sa vie et ne jamais y aller.

Alan Roura: former les nouvelles générations de navigateurs suisses

Combien vous a coûté votre premier Vendée Globe en 2017?

400’000 euros, ce qui, selon les standards en cours, est très faible. C’est La Fabrique, une biscuiterie d’Yverdon-les-Bains, qui m’a permis de signer mon premier contrat, sur quatre ans.

Comment s’est nouée votre collaboration avec Hublot, qui a débouché sur un nouveau bateau baptisé du nom de l’horloger?

Cela a mis un peu de temps, mais fin 2021, nous avons conclu notre partenariat. Nous avons acquis ce bateau dans le sud de la France, un 18 mètre de 2019 à foils, qui «vole» sur l’eau, très avant-gardiste, avec une propulsion hybride, et surtout nous avons travaillé dans un circuit court de 300 kilomètres autour de notre base de Lorient pour trouver les meilleurs fournisseurs et partenaires. C’est un bateau qui répond à des critères écologiques, qui a été conçu en partie grâce à l’expertise de l’EPFL. La navigation est aujourd’hui autant affaire de technologie que de qualités humaines.

Justement, le lien avec Hublot peut aussi être tissé sur la R&D en nouveaux matériaux. Quels sont les points communs que vous pouvez établir?

Nous sommes tous deux à la recherche de l’infini! Il est vrai que nous utilisons de mêmes matériaux, comme le carbone, avec un sens de la précision très élevé. Et le moindre grain de sable dans cette mécanique peut nous faire perdre un bateau. Nous travaillons en particulier sur une forme d’ultra-légèreté, qui se retrouve d’ailleurs dans la montre que nous avons conçue ensemble.

Big Bang Unico Sailing Team: cette édition limitée à 100 exemplaires est conçue en fibre de carbone et aux couleurs noir et jaune, à l'image de l'Imoca d'Alan Roura.
Big Bang Unico Sailing Team: cette édition limitée à 100 exemplaires est conçue en fibre de carbone et aux couleurs noir et jaune, à l’image de l’Imoca d’Alan Roura.

Pourriez-vous nous partager vos prochains défis?

Cela fait douze ans que je pratique ce métier en solitaire et il est enfin temps pour moi de passer à la course en équipage. Avec une ambition: monter le premier équipage 100% suisse pour l’Ocean Race, la plus importante compétition de ce genre au monde. L’objectif est d’avoir deux bateaux, dont un réservé aux nouveaux talents de la voile que nous allons former. Cela commence en août avec l’Ocean Race Europe, puis la Route du Rhum l’an prochain. Nous visons aussi une parité entre navigateurs et navigatrices.

Quels records rêveriez-vous encore de battre?

Depuis 2019, je tiens toujours le record de l’Atlantique nord en solitaire… mais je préférerais attendre que quelqu’un le batte plutôt que de tenter de battre mon propre record. Evidemment, le record du Vendée Globe, le tour du monde en solitaire sur monocoque, reste un rêve. Il a été battu cette année par Charlie Dalin. Mais il faut une fenêtre d’opportunité exceptionnelle, qui ne se présentera peut-être plus, avec le dérèglement climatique qui bouleverse tout. Nous sommes aux premières loges pour l’observer, malheureusement.