e Watch Compétence Center de Delémont est le noyau dur de l’activité horlogère de Victorinox, légendaire ambassadeur du savoir-faire suisse en coutellerie à travers le monde – certainement l’une de ces quelques «love brands» du pays, au même titre qu’Ovomaltine, Rivella ou Caran d’Ache, ancrées dans le cœur de toutes et tous depuis la prime jeunesse.
Ce n’est donc pas à Ibach dans le canton de Schwyz, siège historique de la marque, mais bien dans la Watch Valley jurassienne que nous nous rendons pour découvrir cette autre facette de Victorinox, lancée en 1989.
Outre couteaux et montres, la marque est d’ailleurs aussi très populaire pour ses accessoires de voyage – le dénominateur commun de ces différents produits étant un accent mis sur la résistance la plus éprouvée. Ce qui se traduit, dans le cas de ses montres, par une garantie standard de cinq ans - voire davantage.
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- Ariana Frésard dirige la catégorie Montres chez Victorinox.
Une grande partie de la visite sera ainsi naturellement consacrée aux tests menés pour assurer la robustesse et la fiabilité des modèles – test illustré grandeur nature dans cette publicité où l’on voit un bulldozer écraser une montre I.N.O.X., un spot resté dans toutes les mémoires!
Une «philosophe du test»
Parmi les nombreux contrôles effectués lors de notre visite, citons notamment: le test de pression d’air, utilisé pour vérifier l’étanchéité de chaque tête de montre à une profondeur simulée de 100 mètres; le test de pression d’eau, destiné aux modèles conçus pour résister à 200 mètres et plus; le test de résistance du bracelet, soumis à une force de traction de 200 newtons afin d’évaluer sa robustesse; le test d’impact, réalisé à l’aide d’un pendule générant une force de 6 kg - soit le double de la norme industrielle qui exige seulement 3 kg; le test d’humidité, exposant les montres pendant 12 heures à 40°C avec un taux d’humidité de 93 %, suivi d’un test en conditions tropicales pendant 12 heures supplémentaires à 70°C et 93 % d’humidité. Ce cycle est répété sur une durée totale de 48 heures.
«Les tests font partie intégrante de la philosophie de la marque, nous explique Arianna Frésard, responsable de la catégorie Montres chez Victorinox. Cela provient des origines mêmes de Victorinox dans la coutellerie. Nous pensons à toutes les situations qui peuvent survenir dans la vie quotidienne.»
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- Vue aérienne du Watch Compétence Center de Victorinox à Delémont.
La naissance du «maître de l’acier» qu’est Victorinox remonte à 1884, lorsque Karl Elsener ouvre son atelier de coutellerie dans un village au cœur de la Suisse. En 1891, Elsener fournit son premier couteau de soldat à l’armée suisse. Six ans plus tard, il crée le couteau d’officier suisse et de sport, plus connu aujourd’hui sous le nom de Swiss Army KnifeTM, et pose ainsi les fondations d’une entreprise florissante à la renommée mondiale. Aujourd’hui présente dans plus de 120 pays, l’entreprise est toujours familiale, dirigée par la quatrième génération Elsener.
Regrouper les compétences
Au fil des années, Victorinox, qui a racheté son grand concurrent Wenger en 2005 (y compris son unité horlogère), a fait le choix de verticaliser le processus de fabrication de ses montres. La conception de composants à l’interne est initiée à l’occasion du lancement de la première I.N.O.X. en 2014, puis étendue prrogressivement à d’autres composants en acier inoxydable et métal, puis en titane.
En 2016, c’est le grand saut avec un investissement de plus de 30 millions de francs qui donne une nouvelle dimension au Centre de compétences horloger de Delémont, où toute la division horlogère est rassemblée dans un bâtiment d’une superficie de 10’850 m2 couvert de panneaux solaires sur 2’750 m2 qui produisent 500’000 kWh d’électricité par an. Boîtiers, lunettes, carrures, cercles d’emboîtage (en métal) ou encore fonds de boîtier sont non seulement assemblés mais aussi fabriqués sur place.
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- La collection Swiss Army en acier inoxydable se compose de modèles Quartz, Chrono et Automatic de 42 mm de diamètre. Résistance aux chocs et étanchéité jusqu’à 100 mètres certifiées ISO. Garantie 5 ans+.
«Avec cette production, nous dépassons de loin le Swiss made standard», souligne Arianna Frésard. La segmentation est claire entre les deux marques du groupe: Wenger sur un créneau 100-300 CHF, Victorinox plus haut sur une gamme démarrant à moins que 500 CHF et ayant recours à des mouvements quartz Ronda et automatiques Sellita et la La Joux-Perret.
«Aussi rapidement qu’on sort la lame d’un couteau»
Depuis 2023, Victorinox a entrepris une refonte complète de ses collections horlogères. Les designs ont été affinés, les dimensions réduites, et le confort optimisé grâce à des études approfondies en ergonomie - y compris pour les modèles les plus imposants. La ligne I.N.O.X. demeure le pilier central de l’offre, servant de base d’inspiration pour l’ensemble des collections, qu’elles soient en version quartz ou automatique.
Les bracelets interchangeables - proposés en caoutchouc, métal, maille et Paracord - doivent pouvoir être remplacés aussi rapidement qu’on sort la lame d’un couteau, selon la philosophie de la marque.
«Les symboles, les couleurs, les fonctions: tout doit avoir un sens très clair chez nous, explique la responsable. Nous devons offrir une forte valeur ajoutée et de l’innovation, tout en maintenant des prix contenus.»
Dans cette optique, Victorinox prévoit d’introduire davantage de réserve de marche grâce aux mouvements Sellita et La Joux-Perret, tout en préparant le lancement de son premier modèle solaire, prévu pour l’année prochaine.
L’engagement environnemental est également au cœur des priorités, sans tomber dans le greenwashing. Cela se traduit par l’utilisation de bracelets en PET recyclé, issus de provenance européenne et locale, ainsi que par l’intégration d’acier inoxydable 316L recyclé dans les composants tels que les boîtiers, lunettes, fonds de boîtier et couronnes - avec une teneur allant de 70% à 90% de matière recyclée. «Compte tenu de notre profil, innover avec des matériaux qui doivent rester extrêmement résistants est l’un de nos plus grands défis.»
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- La marque a récemment présenté de nouvelles versions Automatic et Small de son modèle emblématique I.N.O.X. avec cadran orné du motif Alox, caractéristique bien connue et appréciée des côtes des couteaux de poche.
Depuis cette refonte entamée en 2023, la marque a accentué sa présence en Europe (notamment en France) et en Amérique latine, débouchés complétés par le Moyen-Orient pour le trio de tête. Elle vise aussi un développement accru aux Etats-Unis, en Inde et au Japon, qui prendra plus de temps. A la différence du couteau où elle règne suprême, Victorinox (et Wenger encore davantage) fait face dans la montre à des centaines de concurrents sur un créneau particulièrement compétitif à travers le monde (avec de nouveaux acteurs surgissant sans cesse), d’autant que l’écosystème de l’industrie suisse dans son ensemble se tourne toujours plus vers le haut de gamme.
Vers le solaire et le carré
Hors Swatch Group, Victorinox reste ainsi l’un des rares géants de la montre Swiss made à moins de 1’000 CHF. Sans surprise, la marque a été affectée par les tumultes dans le travel retail suite au covid, un segment très important pour toutes ses catégories de produits.
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- L’étanchéité de la Dive Pro de Victorinox à couronne vissée est certifiée ISO 6425 et garantie jusqu’à 300 mètres. Elle est proposée avec deux types de mouvement: quartz Ronda 715 ou automatique Sellita SW 220-1. Boîtier en acier ou en titane fabriqués dans le Centre de compétences horloger de Victorinox à Delémont. Bracelet interchangeable.
« Le but, c’est la qualité plus que les volumes, souligne Arianna Frésard. Nous ne visons pas les 500’000 montres, car il serait difficile de maintenir le niveau de contrôle qualité très strict que nous avons mis en place. Ce que nous cherchons à livrer, c’est une proposition différente, plus exclusive, avec une forte crédibilité sur un territoire très spécifique - celui de l’héritage fantastique du couteau suisse.»
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- La Journey 1884 est inspirée des montagnes suisses, avec son design des aiguilles reproduisant le balisage des chemins de randonnée et son cadran texturé rappelant les sentiers escarpés. Sur le contrepoids de la trotteuse se profile le couteau suisse de Victorinox.
La marque réalise 20% de ses ventes dans les boutiques Victorinox à travers le monde (une part en augmentation), le reste à travers des partenaires. «La distribution connaît toujours des turbulences, je n’ai jamais vu un temps calme depuis mes débuts en horlogerie en 2000, poursuit la responsable. Il faut juste avancer sans prendre les choses pour acquises. Et notre savoir-faire dans le couteau reste fondamental: c’est notre meilleur ambassadeur, car nous sommes une marque de couteaux qui fait aussi des montres. On retrouve d’ailleurs la forme du couteau dans de nombreux détails sur nos modèles.»
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- Le groupe produit également les montres Wenger sur un segment 100-300 CHF. Ici le récent modèle Terragraph Chrono.
La tendance de long terme, comme chez de nombreuses autres marques, favorise l’automatique plus que le quartz parmi les références (Wenger, quant à elle, est une marque uniquement proposée en quartz). La marque mène néanmoins une batterie de tests pour équiper à l’avenir ses modèles de calibres quartz La Joux-Perret à énergie solaire, en alternative au quartz traditionnel. Elle compte aussi introduire un boîtier carré. Un nouveau format qui, lui aussi, sera testé jusqu’à l’usure. Dans la maison suisse, c’est une spécialité familiale… que l’on se transmet de génération en génération.
