Portraits


Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible

English
octobre 2025


Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible

Cette marque ambassadrice d’un Swiss made réellement abordable exporte sa production de la Turquie à l’Inde et reste fermement ancrée sur ses bases, n’ayant pas, contrairement à beaucoup d’autres, cédé aux sirènes de la montée en gamme. Un exemple de résilience qu’on évoque trop rarement sur un marché en recomposition totale,. Rencontre avec Christian Frommherz, vétéran de l’industrie horlogère suisse qui dirige Roamer depuis deux décennies et préside par ailleurs une structure qui produit près de 600’000 montres Swiss made par an.

D

ans un monde de l’horlogerie suisse qui a été complètement recomposé ces deux dernières décennies, il est des marques qui poursuivent leur route tranquillement, selon la vieille recette du «lentement mais sûrement», et qui, par leur constance et leur persistance, finissent par occuper un terrain que beaucoup d’autres auront abandonné, à mesure que les profits générés dans le luxe aspiraient tout un écosystème: celui de la montre suisse réellement accessible.

C’est le cas de Roamer, fidèle à une philosophie simple: fabriquer de belles montres, de qualité, à un prix démocratique, et les exporter dans le monde entier, y compris – là aussi – dans des pays qui ne sont pas forcément dans le radar des grandes marques suisses.

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible
©Archives Europa Star

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible
©Archives Europa Star

Sélection d'archives Roamer dans Europa Star, respectivement de 1946, 1952 et 1966
Sélection d’archives Roamer dans Europa Star, respectivement de 1946, 1952 et 1966
©Archives Europa Star

La maison née en 1888 à Soleure sous le nom Meyer & Stüdeli (et qui a d’ailleurs des liens familiaux avec la famille éditrice d’Europa Star, à travers Mary Stüdeli, arrière-grand-mère de l’auteur de ces lignes, ndlr) est dirigée de longue date par un vétéran de l’industrie horlogère suisse, Christian Frommherz, qui a la confiance de l’investisseur hongkongais Chung Nam, propriétaire de Roamer depuis les années 1990. Notre entretien.

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible

Europa Star: Quel a été votre parcours dans l’industrie horlogère avant de rejoindre Roamer?

Christian Frommherz: J’ai commencé dans l’horlogerie un peu par hasard. Mon rêve était de devenir footballeur professionnel! Mais mon père m’a dit: «Tu dois tout de même apprendre un métier.» Une maison horlogère m’a alors pris comme apprenti commercial – et c’est là que j’ai été rattrapé par le virus de l’horlogerie.

Très jeune, je suis devenu le directeur de cette entreprise, qui a été reprise par le groupe SSIH. Plus tard, j’ai rejoint Bulova, où j’ai lancé la collection Benetton by Bulova en 1986, puis j’ai été nommé CEO pour l’Europe et responsable des ventes internationales. L’Italie était alors un marché clé.

Puis j’ai ouvert ma propre société à Hong Kong, où je développais des collections horlogères pour différentes marques de mode. À mon retour en Europe, j’ai participé à la création du groupe ILG et développé la marque Police version horlogère, ainsi que Roamer, déjà. Ensuite, j’ai quitté ILG pour lancer ma propre structure. Aujourd’hui, nous sommes associés avec la famille Miserino à Mendrisio sur JDM Swiss Group, qui développe plusieurs marques et licences OEM: Roamer, Jacques du Manoir et Aigner, entre autres. À Mendrisio, notre site compte environ 140 personnes, plus une quinzaine à notre siège Wallbach pour le marketing et l’administratif (la structure produit près de 600’000 montres Swiss made par an, ndlr).

Je connais la famille chinoise propriétaire de Roamer depuis longtemps; pour moi, c’est presque une deuxième famille. Le groupe Chung Nam, basé à Hong Kong, a racheté Roamer à une période difficile. La marque, qui comptait auparavant parmi les géants suisses en termes de volumes de montres mécaniques, avait beaucoup souffert de la crise du quartz.

Christian Frommherz
Christian Frommherz

Justement, comment positionnez-vous Roamer aujourd’hui, sur une scène horlogère à nouveau dominée par la mécanique?

Nous avons relancé la marque en 1999. En Chine, où le propriétaire la gère directement, la notoriété est forte. À l’international, nous occupons le segment de niche entre 250 et 999 CHF. C’est un espace exigeant, mais nous avons bâti une belle réputation. Nos marchés les plus solides sont l’Europe de l’Est, le Moyen-Orient, l’Inde, la Chine et la Turquie, où nous collaborons avec des partenaires locaux puissants. En Inde, nous travaillons avec Helios (groupe Titan) depuis 2010: ce sont des partenaires fiables, avec qui je collaborais déjà à l’époque de Police.

Historiquement, Roamer était très forte au Moyen-Orient, en Italie et au Royaume-Uni. Nous y revenons progressivement, car il existe encore un capital de sympathie, une mémoire de la marque. Notre philosophie est simple: rester sous la barre des 1000 CHF, offrir le meilleur rapport qualité-prix et des marges attractives pour les détaillants. Comme je le dis souvent, je préfère être roi dans mon village que mendiant dans la grande ville!

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible

Le modèle Allegra, un bestseller de Roamer, qui réalise la moitié de ses ventes avec des modèles féminins.
Le modèle Allegra, un bestseller de Roamer, qui réalise la moitié de ses ventes avec des modèles féminins.

Quelle est votre stratégie produit et à quoi ressemble aujourd’hui votre offre?

Après la pandémie, nous avons ajusté notre mix et augmenté notre offre féminine: auparavant, 25% de nos montres étaient destinées aux femmes, aujourd’hui c’est 50/50 entre hommes et femmes. Il y a un vrai espace dans l’élégance classique, les montres raffinées, parfois serties, très accessibles, un créneau que les grands groupes négligent. Et nous proposons désormais une garantie de sept ans — la meilleure du marché dans cette catégorie. Nous vendons nos modèles dans plus de 60 pays.

Aujourd’hui, environ 75% de nos modèles sont à quartz; la mécanique progresse lentement, surtout via des montres squelettes. Nous utilisons des mouvements Ronda pour le quartz et Sellita et Soprod pour le mécanique. Nous restons concentrés sur notre cœur de métier: concevoir, assembler, distribuer, sans devenir manufacture. Nos clients achètent souvent nos montres comme cadeaux: nous soignons donc les présentations — un bel écrin, parfois accompagné d’un stylo par exemple.

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible

Comment Roamer se distingue-t-elle des autres marques suisses dans la même gamme?

Nous offrons aux distributeurs de meilleures marges que les grands groupes, avec une vraie flexibilité. Mais nous vivons tous dans un même écosystème, et chacun y trouve sa place. Il est surtout important qu’une offre Swiss made persiste sur ce segment. Nous y contribuons.

Quelle est votre vision pour les prochaines années?

Poursuivre notre expansion internationale, notamment sur le marché américain. C’est peut-être paradoxal de dire cela aujourd’hui, mais je suis convaincu que le Swiss made sortira renforcé de l’épisode que nous traversons avec les droits de douane. Car les gens comprendront mieux pourquoi une montre suisse a une valeur. La conscience autour du label s’accroît. Quant à nous, nous resterons fidèles à notre stratégie: qualité, prix juste, authenticité.

Roamer persiste et signe sur la montre suisse accessible