édric Berruex a mené toute sa carrière à cheval entre les univers de l’horlogerie et de la joaillerie: diplômé de l’école d’art de La Chaux-de-Fonds, il se spécialise en gemmologie avant de rejoindre au début des années 2000 Swatch Group, où il travaille auprès d’Arlette Emch à la création de la plateforme bijoutière multimarque du groupe, baptisée Dress Your Body. Une entité qui a pour mission de produire autant la petite bijouterie Swatch que la haute joaillerie Breguet – le grand écart, d’autant que les marques ne sont pas forcément désireuses de cette extension vers la bijouterie, qu’elles ne contrôlent pas elles-mêmes directement.
Un jour, Nicolas Hayek le convoque dans son bureau: «Vous avez 15 minutes pour décider si vous voulez créer la centrale d’achat pour tous les diamants et pierres précieuses du groupe! Et si vous acceptez, vous aurez une semaine pour me présenter le business model.» Cédric Berruex s’attellera durant plusieurs années à cette tâche, hautement politique: «II y a prescription aujourd’hui - c’était une époque fascinante, ultra dynamique, mais aussi très usante!», commente-t-il.
-
- La marque White Star et son modèle Diagrafic dans une édition de 1952 d’Europa Star.
- ©Archives Europa Star
En 2006, il rejoint Piaget à Genève comme directeur manufacture. «Nous avons quadruplé la production de haute joaillerie et modifié significativement le ratio entre les secteurs horloger et joaillier, en faveur de ce dernier. Nous avons intégré de nouveaux départements dédiés, couvert aussi les montres de haute joaillerie et inauguré une manufacture dédiée aux métiers d’art.» Une époque de transformation de la marque, qu’il accompagne jusqu’en 2017, année de crise sur le marché principal chinois.
Cédric Berruex se lance alors dans la sous-traitance, se spécialisant dans la livraison de cadrans en nacre et divers autres composants de l’habillage horloger, ainsi que dans le consulting en joaillerie. Avant la relance de White Star, il monte d’autres projets: il contribue à la création de la marque Edelmont, puis obtient une licence pour la taille et l’importation de diamants bruts de Namibie et ouvre sa société en… mars 2020, en pleine irruption du covid, qui contrecarre tous ses plans.
-
- Cédric Berruex
De nombreux brevets
Finalement, c’est en 2023 qu’il découvre l’ancienne marque horlogère White Star, dont il devient propriétaire du «trademark» et de la société suisse. Au début, il envisage de préparer un modèle d’affaires puis de la revendre «clé en main». Mais il s’attache au projet et décide de le concrétiser lui-même, en profitant des réseaux construits ces deux dernières décennies.
Quelle est donc l’histoire de cette marque? Elle a été lancée en 1895 par Henri Weiss (remarquez la proximité phonétique de la marque avec le nom de son fondateur). Déposant de nombreux brevets au cours de son histoire, elle est restée en mains familiales pendant plus d’un siècle, entrant progressivement en sommeil, comme beaucoup d’autres enseignes suisses après l’arrivée de la montre à quartz.
«White Star avait trois fabriques, deux à La Chaux-de-Fonds et une dans le canton de Fribourg, précise Cédric Berruex. Je m’inspire beaucoup de leurs designs des années 1895 à 1985. A ces époques, il y avait beaucoup d’échanges entre les marques et ils produisaient de l’habillage pour de nombreux tiers.»

Presque à l’identique
Le premier modèle relancé, avec un design quasiment identique, reprend l’esthétique d’un modèle de 1951, le Diagrafic, dont les sept fonctions étaient opérées par un calibre Venus à l’époque. «Nous avons réinventé ce mouvement en développant des modules additionnels sur une base 2892, explique l’entrepreneur. Vu de face, il est difficile de reconnaître quel est l’ancien et quel est le nouveau modèle.» Celui-ci se distingue par son ouverture à 12h qui laisse apparaître le jour de la semaine accompagné de l’indication jour-nuit. Il est positionné à 4’300 CHF et 18’300 CHF pour une version en or.
-
- Distincte par son affichage original combinant jour de la semaine et fonction jour-nuit à 12h, la Diagrafic de 1951 a été recréée avec un nouveau mouvement.
Cédric Berruex a repris le suffixe «-grafic» pour les deux autres modèles relancés à ce jour, qui sont pour leur part des réinterprétations plutôt que des copies conformes. L’Unigrafic (1’150-1’300 CHF) est un modèle trois aiguilles pur et élégant, tandis que le Neografic (1’900-2100 CHF) est animé d’une phase de lune, fonction jour-nuit et date horizontale à guichet. En attendant, assez naturellement, la «Chronografic»?
-
- Avec son cadran traité bleu nuit, constellé d’étoiles scintillantes, et sa couronne à 2h, le modèle White Star Unigrafic est la version de la dress watch de la marque.
L’entrepreneur collabore pour ce lancement avec une équipe de professionnels aguerris. «Mais je dois dire que j’ai quelque peu sous-estimé l’ampleur de la tâche, confie-t-il. L’investissement est considérable. Nous cherchons à passer à l’étape supérieure et à aller plus loin, suivant en cela le slogan de la marque: «Au-delà du raisonnable, se trouve l’excellence». Nous bénéficions d’une certaine notoriété qui existe encore de la marque, notamment en Europe, Amérique du Sud et aux Etats-Unis, et avons lancé une campagne sur Kickstarter. Notre visibilité sur les réseaux sociaux est également bonne.»
-
- La Neografic est une montre à phases de lune inspirée d’un modèle créé en 1953.
Fort de son expérience, Cédric Berruex en est bien conscient: «Il est relativement rapide de toucher un premier, voire un deuxième cercle de clients. Mais souvent cela pêche au troisième cercle, lorsque nous devons sortir de notre communauté proche. Deux points sont cruciaux: une bonne gestion des stocks et une visibilité hors d’Europe. Cela dit, notre ambition n’est pas de nous faire connaître le plus rapidement possible, mais le mieux possible.» Pour cela, la marque participera cette année à davantage d’événements, comme Time to Watches ou le Festival suisse de l’horlogerie. Afin de remettre White Star au firmament de l’horlogerie.