n consultant le site de e-commerce suisse du grand détaillant Bucherer plus tôt cette année, un nom revient à plusieurs reprises: Löbner. Cela pique notre curiosité et nous pousse à en savoir plus sur cette marque de montres et ses modèles. Nous lui écrivons donc et – surprise – c’est un nom bien connu du circuit horloger qui nous répond: le designer franco-suisse Emmanuel Dietrich, qui possède sa propre marque éponyme depuis 2012, a collaboré avec de nombreuses marques au fil de sa carrière et s’est donc aussi investi dans la relance de Löbner. Il nous en dit plus sur cette histoire singulière.
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- Emmanuel Dietrich, le designer des montres Löbner.
Löbner est une manufacture horlogère fondée en 1862 à Berlin et ravivée depuis 2023 par un entrepreneur et investisseur allemand, Matthias Düwel: «A travers sa société Jandorf, celui-ci a pris comme angle le développement d’un groupement de marques de luxe allemandes, la plupart des noms du passé remis au goût du jour, explique Emmanuel Dietrich. Les succès contemporains de firmes comme Rimowa ou Birckenstock l’ont inspiré, or la plupart des marques de luxe allemandes ont disparu après la Seconde Guerre mondiale.»
Une ambition transversale
Aujourd’hui, la holding Jandorf a repris les droits sur une soixantaine de marques allemandes au passé glorieux, fournisseurs de la cour impériale, comme la verrerie Josephinenhütte, l’une de celles qui a également déjà été ravivée outre Löbner. Elle compte aussi la marque horlogère Gerstenberger dans son portfolio. Le nom Jandorf fait référence à Adolf Jandorf, un célèbre homme d’affaires allemand (1870–1932), connu pour avoir fondé la chaîne de grands magasins A. Jandorf & Co. à Berlin, puis le légendaire Kaufhaus des Westens (KaDeWe) en 1907, aujourd’hui le plus grand magasin d’Allemagne
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- Le fondateur, Franz Louis Löbner.
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- Le concepteur des horloges Löbner dédiées au circuit automobile, Paul Weiß (à droite).
«C’est dans ce cadre, à travers des amis communs, que j’ai rencontré Matthias Düwel, poursuit le designer originaire de Besançon. Il m’a confié la tâche de dessiner toutes les nouvelles lignes mais aussi d’assurer la production. Son ambition était de positionner la marque par une première montre sport de luxe en acier allemande. A l’époque, nous avions mis la main sur quelques pièces historiques mais n’avions pas encore connaissance de toutes les archives de Löbner. La première étape a donc été de redécouvrir cette histoire, notamment grâce à la rencontre d’un grand collectionneur de la marque en Allemagne.»
Champion de vitesse
Dès le 19ème siècle, Löbner se spécialise dans la mesure des temps très courts (centièmes et millièmes de seconde). L’entreprise produit notamment des Tertienzähler (chronomètres) à partir de 1881 ainsi que des horloges de piste hippique ou encore des pistolets de départ, et se fait connaître dans les sphères militaires, scientifiques et sportives. «Ses modèles emblématiques à trois petits compteurs, fonctionnant à une très haute fréquence, lui assurent le succès, précsise Emmanuel Dietrich. Dès 1892, Löbner mesure le millième de seconde au moyen d’une grande horloge électrique de trois mètres de diamètre, d’une grande inventivité. Tout l’assemblage se faisait dans les ateliers à Berlin, avec un très intéressant mélange entre techniques mécaniques et électriques.»
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- Le chronoscope de Löbner, une horloge électro-mécanique capable de mesurer le millième de seconde.
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- Chronographe à poussoir unique de Löbner avec pulsomètre et mouvement Minerva 19.09.
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- Chronomètre Löbner Berlin avec mouvement Junghans J29b.
Dans la première moitié du 20ème siècle, sous la deuxième génération de la famille fondatrice, Löbner chronomètre des événements prestigieux: courses automobiles, records de vitesse (comme celui du baron Fritz von Opel de 256 km/h dans les années 1920), et même des compétitions lors des Jeux Olympiques. Mais la marque ne survivra pas à la Deuxième Guerre mondiale et la lignée familiale se perd dans les méandres de l’histoire. «Les seules créations qui avaient été conservées étaient les grandes horloges Löbner dans les parcs hippiques. Après, nous avons retrouvé beaucoup d’autres modèles à travers des collectionneurs, à la relance de la marque.»
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- L’un des fameux Tertienzähler de Löbner, inspiration directe de la Steelracer contemporaine.
Les modèles du 21ème siècle
En 2023, une première série contemporaine, la Steelracer, est présentée pour commémorer le record de vitesse de Rudolph Caracciola sur Mercedes réalisé en 1938 sur une autoroute et chronométré par Löbner à 437 km/h. «Le premier élément qui attire le regard est la présence des trois compteurs, sans affichage central de l’heure, pour rappeler l’histoire de la marque, souligne Emmanuel Dietrich. La fonction de chronographe est au centre de l’attention: il s’agit bien d’un chronographe qui donne aussi l’heure! Autre point-clé, le protège-couronne «sledge» breveté qui a pour fonction d’empêcher le start-stop quand on règle le mouvement. Et un dernier point qui m’a beaucoup inspiré: j’aime beaucoup le design du Bauhaus, sa rigueur avec des formes très structurées. La typographie choisie, la Futura de 1926, provient aussi de ce mouvement.»
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- La Steelracer Ice Tube.
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- La Steelracer Rocketman.
Suivront la Steelracer Rocketman, en hommage à Fritz von Opel, avec ses touches «racing» et une esthétique sombre, ainsi que la Sledge, le modèle trois aiguilles de Löbner, doté de son protège-couronne breveté. La production est très limitée et la gamme de prix choisie correspond à du sport-chic haut de gamme pour des modèles en acier, un segment particulièrement concurrentiel en horlogerie, allant de 8’600 euros pour la Sledge équipée d’un calibre La Joux-Perret avec masse personnalisée et module, à 14’800 euros pour la Steelracer munie d’un calibre propriétaire développé à Glashütte.
«L’ambition est faire le maximum de qualité allemande: les boîtes sont fabriquées à Pforzheim, les cadrans sont réalisés par un spécialiste de la Forêt Noire, tous haut de gamme, ce qui explique le segment de prix sur lequel nous évoluons, poursuit Emmanuel Dietrich. L’assemblage se fait à Pforzheim et le siège du groupe est à Munich. Mais tout n’est pas gravé dans le marbre: nous pourrions envisager de retourner un jour à Berlin, le lieu de naissance de Löbner.»
Relation privilégiée avec Bucherer
La marque est pour l’heure diffusée exclusivement par Bucherer, en Suisse, Allemagne, Autriche, France et aux Etats-Unis. Une relation nouée directement par le propriétaire Matthias Duwel, alors que le grand détaillant – repris depuis lors par Rolex – mettait en place son programme Masterworks dédié aux créations de Haute Horlogerie, rares et bien souvent issues de maisons indépendantes comme Löbner. Un segment qui exige un grand travail d’éducation, de la part d’équipes expertes, ce qui est particulièrement pertinent pour une marque en pleine relance dont il faut savoir réexpliquer l’histoire et les particularités.
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- La Sledge Green
«Nous avons entamé un travail de prospection pour étoffer notre présence internationale, explique Emmanuel Dietrich. Cette année, nous avons participé au salon Time to Watches et explorons des marchés très matures comme le Japon ou l’Arabie saoudite. Nous allons aussi participer au salon Windup pour aller directement à la rencontre de nos clients potentiels.»
Outre Löbner, le projet de renaissance de la marque Gerstenberger, du nom d’un horloger de Glashütte, est à l’étude en coulisses. Mais chaque chose en son temps. Car comme disent les Suisses – et c’est particulièrement adapté pour l’horlogerie: «Hâte-toi lentement!»