hristophe Chevreton et Sinicha Knezevic se sont connus en travaillant dans l’immobilier et le bâtiment à Lyon, en France. Mais ce qu’ils sont à présent en train de bâtir porte sur une architecture aux dimensions bien plus mesurées que leurs travaux de l’époque. Ou plutôt de «rebâtir», car les associés ont décidé de relancer une marque historique suisse, Eska, fondée en 1918 et disparue dans les années 1980.
«Nous sommes des passionnés d’horlogerie et nous avions envie de tenter l’aventure entrepreneuriale dans la montre, explique Christophe Chevreton. Face à nous se posaient deux options: soit lancer une micro-marque soit réveiller une belle endormie.»
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- Christophe Chevreton et Sinicha Knezevic ont relancé Eska Watches en 2024.
Comment leur choix s’est-il porté sur Eska? «Nous connaissions tous deux la marque, car nous sommes de grands fans du vintage des années 1950 et nous savions qu’il y avait une belle profondeur de gamme dans l’historique de cette société. L’avantage est que nous sommes très complémentaires dans nos intérêts.»
Débuts sur Kickstarter
La marque est redéposée en 2022 et les travaux démarrent l’année suivante en dessinant de premières esquisses sur la table de la cuisine – comme il se doit pour une start-up horlogère! Le choix de la montre pour la première réinterprétation se porte sur le plus recherché des modèles Eska: l’Amphibian 600. La montre de plongée datant de 1959, étanche à 600 pieds (180 mètres), avec lunette unidirectionnelle à rebours et cadran sandwich aux points cardinaux «oversized», est modernisée, testée à l’impression 3D, ses dimensions sont adaptées de 37 mm à 40 mm, la lunette bakélite d’époque est remplacée. La montre, désormais étanche à 250 mètres, est équipée du mouvement automatique Seiko NH38.
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- Le modèle Amphibian 250 White Shark, réinterprétation de l’Amphibian 600 de 1959.
Les associés mettent en ligne leur campagne Kickstarter avec ce premier modèle, l’Amphibian 250, en janvier 2024: «Nous avions pour objectif de vendre 300 montres en un mois, nous l’avons atteint en 24 heures. Sur ces plateformes, le plus important est le travail de préparation et de mobilisation réalisé en amont. Finalement, nous avons trouvé preneur pour 500 montres à 888 euros, majoritairement en France, et avons livré les modèles en juin 2024.»
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- Elle a été suivie de la Black Shark.
Stratégie de montée en gamme progressive
Immédiatement après cette campagne réussie, Eska sort à l’été 2024 une variation de ce modèle, l’Amphibian 250 White Shark, cette fois équipée d’un mouvement suisse Sellita SW200, à 825 € HT, désormais commercialisée directement sur le site de la marque.
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- La série limitée Red Viper a connu un grand succès en ligne.
«Nous avons pour stratégie de constamment proposer des upgrades, à chaque nouvelle série, ce qui arrive rapidement depuis notre lancement», souligne Sinicha Knezevic. La marque dévoile une série limitée à 136 exemplaires à cadran rouge de sa montre de plongée, baptisée la Red Viper. La White Shark est proposée dans une livrée noire et devient la Black Shark. Elle vient aussi d’être lancée en vert sous le nom de Green Turtle.
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- La version Green Turtle de l’Amphibian 250.
Après Kickstarter, après son site de e-commerce (qui reste sa première plateforme de vente), Eska étend sa présence dans la distribution physique avec un réseau de détaillants en France et en Belgique: Antoine de Macedo à Paris, Frojo à Marseille, Kronology à Lyon, Artisan du Temps à Bruxelles, Horel à Borseaux – elle participe aussi au Time Fest dans cette même ville.
Se rattacher à un vaste patrimoine
Cette année, Eska lance un chronographe Heritage, l’occasion de revenir sur l’histoire de la marque, dont on trouve de nombreuses traces dans les archives d’Europa Star, numérisées depuis les années 1930.
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- Annonce pour Eska dans notre édition pour l’Amérique latine, 1943.
- ⒸArchives Europa Star 1943
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- L’Argentine est un marché-clé pour la marque: Eska en couverture de notre édition dédiée en 1947.
- ⒸArchives Europa Star 1947
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- ⒸArchives Europa Star 1947
La production de la marque, née au moment où la montre-bracelet commence tout juste à se populariser et qui traverse le siècle jusqu’à l’apparition de la montre électronique, est vaste: Eska se positionne en effet comme une marque généraliste suisse exportant dans le monde entier, dont les créations vont du classicisme trois aiguilles aux complications (calendrier complet, phases de lune ou encore chronographes) en passant par des cadrans en émail cloisonné et des métiers d’art, jusqu’à – on l’a vu – participer à l’essor de la montre de plongée d’inspiration professionnelle dans les années 1950.
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- Les débuts du Space Age et la fascination croissante pour l’exploration spatiale se font sentir dans cette annonce Eska.
- ⒸArchives Europa Star 1955
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- Eska expose au salon Montres et Bijoux de Genève en 1954.
- ⒸArchives Europa Star 1954
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- Annonce Eska en 1956 dans notre édition pour l’Extrême-Orient: les liens entre statut social et montre sont mis en avant - précurseur de ce que nous connaissons aujourd’hui dans la branche.
- ⒸArchives Europa Star 1956
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- Modèles Eska de 1961.
- ⒸArchives Europa Star 1961
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- A côté d’Eska, la marque opérait aussi Royce, comme le montre cette intéressante version de l’Amphibian de 1970.
- ⒸArchives Europa Star 1970
«Eska» vient de la phonétique des initiales de son fondateur Silvan Kocher (1867-1947) - à noter que Sinicha Knezevic porte les mêmes initiales! La marque fondée à Selzach en 1918 s’installe à Granges en 1937. Deux fils de Silvan, Erwin (1895-1970), qui créa à Granges sa propre entreprise en 1958, et Silvan (1897-1968) reprirent la firme. Leur frère Edgar (1907-1984) émigra au Brésil en 1929 où il créa un empire économique (fabrication de montres, équipements pour voitures, câbles).
Eska demeurera active à Granges jusqu’à la cession de ses activités en 1987. Les repreneurs actuels ont identifié et analysé plus de 250 modèles dans son catalogue – de quoi nourrir de nombreuses réinterprétations.
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- ⒸArchives Europa Star 1979
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- ⒸArchives Europa Star 1979
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- Eska mise en particulier sur le marché brésilien, comme l’illustre cet article Europa Star de 1979 sur les 50 ans de la présence de la marque au Brésil, où l’on voit le Edgar Kocher (1907-1984), fils de Silvan Kocher, lui-même installé dans le pays, aux côtés de Pelé.
- ⒸArchives Europa Star 1979
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- Le marché amércain est également important pour Eska et Royce. Dans ce reportage de 1961, on aperçoit less nouvelles générations de la famille Kocher: Silvan, fils du fondateur qui portait le même prénom, et Erich.
- ⒸArchives Europa Star 1961
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- Hommage à Silvan Kocher (1897-1968), le fils du fondateur d’Eska, en 1968 dans Europa Star. Il occupa également d’importantes fonctions au sein de la Fédération horlogère suisse.
- ⒸArchives Europa Star 1968
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- ⒸArchives Europa Star 1969
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- ⒸArchives Europa Star 1981
Certains modèles Eska ont réalisé de belles performances aux enchères, à l’image d’une montre-bracelet de 1950 en or rose à cadran en émail cloisonné et motif de caravelle, adjugée pour plus de 40’000 euros chez Christie’s à New York en 2023.
Après avoir fait ressurgir plusieurs modèles de plongée Amphibian, Eska ouvre un nouveau chapitre dans sa renaissance avec le chronographe Heritage SK25 à cadran en émail, s’inspirant quant à lui de l’univers automobile dans une configuration bi-compax très néo-vintage, disponible sur cadran beige ou noir.
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- Le chronographe Heritage SK25, équipé d’un mouvement La Joux-Perret.
Un modèle qui représente aussi un saut en gamme, comme le veut la stratégie définie par Eska, à 2’075 € HT avec le calibre L113 de La Joux-Perret. Toutes les montres sont assemblées à Besançon, contribuant aussi à la bonne dynamique actuelle des marques françaises.
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- Eska avec Mireille Darc en couverture d’Europa Star en 1982.