omme dans Europa Star 4/25 sur les Grands Maîtres de l’Horlogerie, on pourrait commencer cette histoire, celle d’Universal Genève, par «Il était une fois…». Il était une fois, donc en 1894 au Locle en Suisse, deux horlogers originaires de la région, Ulysse-Georges Perret et Numa-Émile Descombes, qui fondent leur entreprise et déposent la marque «Universal Watch».
En 1895, un jeune horloger au nom prestigieux rejoint l’entreprise, Louis-Edouard Berthoud. Suite à la disparition subite de Numa-Émile Descombes en 1897, Perret décide d’associer Berthoud à l’entreprise et celle-ci devient Perret & Berthoud à cette date. Moins de dix ans plus tard, en 1906, leurs montres récoltent déjà leur première reconnaissance qualitative avec une médaille d’or à l’exposition internationale de Milan, symbolisant l’esprit pionnier de la marque dans sa recherche de précision.
Dès 1914, Perret & Berthoud sont récompensés par un bulletin de 1ère classe du Bureau Officiel de Contrôle du Locle, ancêtre du COSC, attestant de la qualité chronométrique de leurs montres. À la demande de l’armée italienne, l’entreprise produit, vers 1917, ses premières montres-bracelets chronographes, plantant ainsi les bases d’une célébrité mondiale à venir, ce à quoi son nom semblait la prédestiner dès sa création.
De Genève vers le monde entier
Forts d’une gamme complète de montres aussi élégantes que précises, les deux associés décident de s’installer à Genève en 1919 pour asseoir encore plus leur prestige en associant leurs noms à la renommée de la Cité de Calvin. Dès 1921, leur siège ouvre sur la prestigieuse Rue du Rhône, au numéro 43.
Raoul Perret, fils de Georges-Ulysse, rejoint l’entreprise à l’âge de 22 ans, en 1923. À 31 ans, en 1932, il devient directeur de Perret & Berthoud alors que le statut d’horloger est en pleine mutation. Décision est prise de devenir une véritable manufacture fabriquant ses propres ébauches. Un choix audacieux mais en accord avec l’esprit de la marque, qui souhaite maîtriser librement la création de ses mouvements.
À la mort de son père, un an plus tard, le jeune Georges Perret fait le pari, qui s’avèrera gagnant, de spécialiser la marque dans le chronographe et les montres de qualité genevoise, ainsi que de miser sur l’expansion internationale vers l’Europe et les Amériques.
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- ©Archives Europa Star
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- Une visite d’Universal Genève parue dans Europa Star en 1956, ainsi qu’une réunion des distributeurs internationaux en 1961.
Créativité visionnaire
C’est à cette époque qu’apparaissent les premiers modèles qui feront de la marque Universal Genève l’icône qu’elle est encore de nos jours. En 1933, elle dépose un brevet pour l’Universal Genève Ideo, plus connue sous le surnom de Cabriolet – une des premières montres réversibles de l’horlogerie avec sa charnière à 12 heures. Elle ne sera produite que quelques années mais marquera les esprits.
Puis en 1934, c’est la Compur qui est déposée et une gamme complète de chronographes à deux poussoirs est lancée à Bâle en 1935, faisant d’Universal Genève – plus précisément Universal Watch Genève, dont la mention apparaîtra dès lors le plus souvent – l’un des pionniers de ce style qui révolutionnera à jamais l’histoire du chronographe. C’est le début de la désormais incontournable Compax qui prête encore aujourd’hui son nom à la disposition des sous-compteurs de tous les chronographes et est à l’origine de l’apparition des doubles boutons poussoirs.
Tout s’accélère alors. Démontrant à nouveau son esprit pionnier, Universal développe aussi sa publicité qui paraît régulièrement dans la presse tant professionnelle que grand public. En 1940, l’entreprise Perret & Berthoud prend officiellement le nom de «Manufacture des montres Universal». L’année suivante, en 1941, la marque ouvre une deuxième manufacture à la pointe de la technologie aux Ponts-de-Martel.
Malgré le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, la compagnie poursuit son expansion en établissant Universal Geneva Watch Co. à New York, accentuant encore sa dimension internationale. Avec l’arrivée de la Tri-Compax, chronographe, calendrier et phase de lune, en 1944, Universal connait un succès retentissant. La marque introduit ensuite ses premiers mouvements à remontage automatique dès 1948 ainsi que des montres «habillées» avec cadran en émail cloisonné. Et le meilleur reste à venir.
Le temps des icônes
L’année 1954 marque un nouveau tournant pour Universal Genève. Le jeune Gérald Genta, qui deviendra la référence du design moderne de l’horlogerie, livre sa première création mythique, la Polerouter. Celle-ci est commandée par la Scandinavian Airline System pour le personnel de son vol entre Copenhague et Los Angeles, passant au-dessus du Pôle Nord, d’où elle tirera son nom. Elle se présente sous la forme d’une montre à secteurs, épurée, avec plusieurs textures de cadran, un design intemporel offrant en outre une résistance aux champs magnétiques inédite. En 1955, le mouvement révolutionnaire à micro-rotor est breveté et équipe finalement la montre en 1958. Il permet d’obtenir des montres de plus en plus plates. Le culte Polerouter est né.
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- Universal Genève Compax vintage des années 1960.
À cette époque, la marque inaugure sa nouvelle manufacture à Carouge en 1956. Viennent ensuite les montres chronographes «Nina Rindt» et Tri Compax «Eric Clapton», des favoris des collectionneurs encore de nos jours. Grâce à son mouvement micro-rotor de 4,1 mm seulement – record de l’époque –, Universal se lance dans la production de montres extra-plates.
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- Nina Rindt
Poussant encore plus loin sa démarche, Universal introduit en 1966 son calibre 66 à micro-rotor d’une épaisseur de 2,5 mm, connu pour être l’un des calibres les plus fins au monde. Il animera les séries extra-plates White Shadow, Gilt Shadow et Golden Shadow, respectivement en acier, plaqué or et or, et gardera son titre de mouvement à remontage automatique le plus fin jusqu’en 1978. C’est dans ces mêmes années 1960 qu’apparaît le fameux slogan de la marque «Le Couturier de la Montre».
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- Universal Genève dévoile un hommage à «la Nina» Compax. Dans les années 1960, Nina Rindt, épouse du champion Jochen Rindt, est devenue une icône de style inattendue du paddock de Formule 1. La version Universal Genève Compax qu’elle utilisait est devenue l’un des garde-temps vintage les plus collectionnés du 20e siècle.
Changements de propriétaire
À partir de 1966, Universal Genève prend un virage un peu différent. À cette date, l’entreprise est reprise par le groupe américain Bulova Watch Co. et la marque se tourne vers l’électronique avec les fameux calibres Accutron à diapason qui équiperont la gamme Unisonic, sortie en 1968. Puis en 1970, ce sont les montres Uniquartz qui font leur apparition.
Un an plus tard, Raoul Perret quitte la société, suivi en 1977 par René Perret. Ceci marque la fin de la présence des fondateurs dans l’entreprise. Mais la crise du quartz fait rage et Bulova cède 27% de ses parts de la société au groupe hongkongais Stelux Holdings en 1976. Les changements se poursuivent quand Diether Kübel-Wilsdorf rachète une partie de l’entreprise avec l’aide de Muraki Trading, distributeur d’Universal au Japon, et Holzer Watch, distributeur de la marque aux Etats-Unis.
La marque survit ensuite jusqu’en 1986 où le groupe rachète toute la société, mais ses tentatives de relance feront long feu. La marque, devenue Universal Genève SA en 2001, toujours sous propriété hongkongaises, est ensuite emmenée par Stuart Wood, en 2002, pour une énième relance, mais celle-ci n’aboutira pas. La version contemporaine de la glorieuse marque tombe lentement dans l’oubli – mais le souvenir de la gloire d’Universal Genève reste très vivace.
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- La célèbre Tri-Compax présentée dans Europa Star en 1952.
- ©Archives Europa Star
Retrouver sa superbe
Aujourd’hui, Universal Genève garde une aura très particulière auprès des amateurs de chronographes vintage et d’histoire horlogère, comme en témoignent les prix qui se maintiennent sur le marché de l’occasion. La belle endormie semble appelée à se réveiller et à retrouver sa superbe de l’époque avec la reprise annoncée, fin décembre 2023, par Breitling et son groupe d’investisseurs Partners Group et CVC Capital. Les prochaines années s’annoncent ainsi décisives pour la place d’Universal Genève dans le grand récit de l’horlogerie – suisse et universelle.
Entretien
«IMAGINER OÙ LE COUTURIER DE LA MONTRE SERAIT AUJOURD’HUI»
Pour Georges Kern, le directeur de Breitling qui supervise la relance d’Universal Genève, la marque a la capacité de se différencier même sur un segment du haut de gamme déjà très occupé dans l’horlogerie suisse.
Europa Star: Universal Genève est une marque appréciée des collectionneurs. Sa reprise et sa relance représentent un nouveau défi important pour vous, au potentiel énorme mais qui s’accompagne aussi de grandes responsabilités. Par où commencez-vous?
Georges Kern: Nous avons racheté Universal Genève pour son histoire et ses produits. Il est impensable de reprendre une telle marque et de ne pas travailler à partir de son patrimoine. La vraie difficulté est de se projeter à travers le temps et d’essayer d’envisager ce que serait cette marque, le Couturier de la Montre, aujourd’hui aujourd’hui si elle avait continué sur sa lancée. C’est là que réside le premier grand défi. Évidemment que la Polerouter sera là, que la Compax et la Tri-Compax réapparaitront également, que la Cabriolet va renaître. La vraie question est ce qu’aurait fait Gérald Genta 30 ans plus tard. Imaginez si Porsche avait arrêté la 911 dans les années 1980 et la relançait de nos jours!
Le second défi est de différencier la marque pour ne pas refaire ce que les autres font, tant au niveau des produits, des collections, que de la communication ou de la distribution en boutique. Pour chaque élément, nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvons nous différencier et apporter une vraie valeur ajoutée au marché. Nous voulons faire un lancement qui explicite sans équivoque notre vision de la marque dès le premier jour, qui impose le nouveau style Universal Genève immédiatement.
Après votre reprise de Breitling en 2017, vous avez remanié la marque avec une nouvelle stratégie pour sortir du «tout pilote» et l’élargir à d’autres univers, sur terre et en mer. Pour Universal Genève, vous avez commencé en lançant trois modèles uniques SAS Polerouter pour célébrer le 70ème anniversaire du premier vol de la compagnie aérienne au-dessus du pôle Nord en 1954. Etait-ce pour «sonder le marché» ou la première phase d’une stratégie axée sur ce modèle emblématique? Et quel sera, justement, le rayon d’action d’Universal Genève?
Le rachat devait être annoncé publiquement dès 2023 car l’ancien propriétaire était côté en bourse. Il fallait gérer la transition de la communication. Le jubilé de la Polerouter en 2024 était une bonne occasion de parler d’Universal Genève. Nous venons également de lancer une réédition de la Compax dans une toute nouvelle boîte avec un calibre vintage et un bracelet Bund confectionné par le maroquinier japonais Satoru Hosoi, installé à Paris et Meilleur Ouvrier de France, en hommage à la Compax «Nina Rindt» de l’époque.
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- Universal Genève ramène «la Nina» pour la toute première fois en or blanc et rouge 18 carats, proposée dans une édition ultra-exclusive de deux séries de trois montres Tribute to Compax avec cadran en émail grand feu et Calibre 281 d’époque. Cette nouvelle collection s’articule autour de bracelets Bund fabriqués à la main par le célèbre artisan japonais Satoru Hosoi, qui signe ici sa première collaboration avec une marque horlogère.
Universal Genève dispose d’une très riche histoire. Mais comment définiriez-vous son ADN contemporain?
Si vous regardez le marché du très haut de gamme de manière très objective, vous avez soit de très belles marques très conservatrices, soit des marques plus extravagantes. Au sein de ce haut de gamme, Universal Genève va se situer entre ces deux univers – pas trop conservateur, mais pas ostentatoire non plus. Et la marque s’adressera autant aux hommes qu’aux femmes. Je pense qu’il y a une vraie place à prendre, tant au niveau de l’esthétisme, que de l’image et du ton de marque, dans un segment différent de la dichotomie classique actuelle.
La marque a déjà été reprise et relancée plusieurs fois, en 1966, en 1989 ou encore en 2003, mais sans succès. Pourquoi ces tentatives ont-elles échoué d’après vous? Cela rajoute-t-il une forme de pression à votre mission?
Les relances précédentes étaient toutes petites. Personne ne les a réellement remarquées… et heureusement, j’ajouterais! L’aura historique de la marque reste intacte. De toute ma carrière, je n’ai jamais été aussi sollicité par autant de collectionneurs qu’autour de cette marque. Il y a une passion quasi inexplicable pour Universal Genève et elle n’a jamais été affaiblie. Les relances antérieures ont souvent eu lieu en Asie avec des produits qui n’avaient rien à voir avec l’héritage Universal Genève. Notre stratégie est totalement différente.
Les tensions actuelles sur le marché horloger (droits de douanes américains, instabilité politique en Europe, demande chinoise en berne) affectent-elles votre stratégie pour Universal Genève?
En 30 ans dans l’industrie, j’ai vécu beaucoup de crises. Il y en aura d’autres. Celle-ci est peut-être plus intense car longue et multifactorielle, mais nous nous en remettrons. L’important est d’être meilleur que les autres sur votre segment pour gagner des parts de marché. Vous ne pouvez pas maîtriser les facteurs extérieurs. Il faut se concentrer sur ce que vous pouvez influencer. Faire de meilleurs produits, avec de meilleurs mouvements, distribués dans de plus belles boutiques. Toute notre attention porte sur ces facteurs déterminants.
Universal Genève était connue comme le «couturier de la montre» à partir des années 1960, mais aussi pour sa capacité d’innovation, tant sur le design que les mouvements. Allez-vous essayer de perpétuer ces deux axes?
Nous savons pertinemment que le public nous attend. Que tous se rassurent: ils auront le micro-rotor, dans une version optimisée, avec une évolution technique garantissant les performances d’un mouvement contemporain. Il gardera l’essence du mouvement extra-plat. Mais il aura plus d’amplitude, plus de puissance pour être un vrai calibre moderne, précis et performant. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la créativité esthétique et tout l’univers qui l’accompagne.
La production d’Universal Genève sera-t-elle indépendante de Breitling? Allez-vous construire une nouvelle manufacture pour la marque?
Pour le moment, nous travaillons avec Le Temps Manufacture à Fleurier. Nous développerons nos capacités de production étape par étape. Nous devons déjà nous concentrer sur notre siège de la rue du Rhône et sur l’ouverture des boutiques Universal Genève. Nous verrons ensuite si nous rachetons un outil de production existant ou construisons notre propre site.
On évoque un positionnement à partir de CHF 15’000 pour une montre acier sans complication. Est-ce effectivement la stratégie?
Nous avons une stratégie très claire qui s’apparente à l’univers de la couture. Je ne peux vous en dire plus pour le moment, mais il est juste de dire que les collections commenceront autour de ce prix.
Chez Breitling, vous avez démontré une forte conscience des enjeux ESG (Environnement, Social et de Gouvernance) et la marque est reconnue pour son approche durable et ses efforts pour réduire ses impacts. Adopterez-vous la même stratégie avec Universal Genève?
Nous essayons bien évidemment, mais il s’agit plus d’une philosophie de vie et de business. Chez Breitling nous souhaitons toujours être crédibles et authentiques. Lorsque nous œuvrons à réduire le plastique dans les océans, cela fait du sens de nous associer avec les surfeurs. L’environnement est une constante sur laquelle nous devons travailler pour nous et nos enfants. Nous resterons cohérents, mais n’aurons pas une politique dédiée pour Universal Genève comme, par exemple, les diamants de synthèse pour Breitling.
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- L’an dernier, Universal Genève avait déjà dévoilé trois pièces en hommage à la légendaire Polerouter, avec un boîtier revisité et un mouvement micro-rotor historique.
Comment voyez-vous la marque dans 10 ans? Que faut-il pour que Universal Genève soit à nouveau un succès – ou que vous considériez votre travail comme une relance réussie?
Le succès ne tient pas à un seul élément. Il faut avant tout des produits cohérents. Il est plus aisé de relancer des marques avec des patrimoines forts comme Universal Genève ou Gallet* et sans «poids morts» comme une manufacture obsolète, une distribution erratique ou des produits inadaptés éparpillés dans le marché. L’interruption de la production nous a aidés à planifier une relance réfléchie. Cela nous permet d’arriver avec notre vision pour le long terme de la marque. Passer chez Breitling d’une montre purement «aviation» à des montres plus généralistes a aussi pris du temps.
L’effort de «repositionnement» est bien entendu beaucoup plus important, mais pour le public l’expression d’Universal Genève sera très claire… et fidèle à l’histoire de la marque. Universal Genève, c’est l’horlogerie au service de l’esthétique. Ce n’est pas la forme qui découle de la fonction, c’est plus la fonction qui se met au service de la beauté. C’est ça, l’image de la marque: un mariage harmonieux entre la qualité horlogère et un design hors pair. Cela ne ferait pas de sens de parler uniquement calibres pour Universal Genève. Nous ne sommes pas une marque de cabinotiers. Nous avons certes une identité mouvement forte avec notre micro-rotor, mais notre plus grande force est cette association avec une esthétique unique. Le slogan de «Couturier de la Montre» ne vient pas de nous. Il existe depuis les années 1960. Nous voulons lui rester fidèle.
Avec cette approche, ne risquez-vous pas de perdre cette base de puristes de la marque?
Je ne pense jamais en termes de risque mais plutôt en opportunité. Nous aurons la légitimité horlogère. Mais les fans d’Universal Genève sont aussi des amateurs de la beauté que la marque incarnait déjà à l’époque. Ils sont passionnés tant par le design exceptionnel que la marque a introduit au cours de son histoire que par sa qualité horlogère. De plus, la marque sera autant destinée aux hommes qu’aux femmes, avec des collections dédiées pour chacun, mais également portables par les deux.
*Après Universal Genève en 2023, Breitling a annoncé cette année son acquisition de Gallet, marque fondée en 1826 connue pour son chronométrage de précision prisé des grands voyageurs, qui sera également relancée et positionnée quant à elle sur l’entrée de gamme de ce nouveau portfolio en constitution.


