es yeux vers les cieux de l’ultra-horlogerie, on peut parfois se laisser prendre à oublier l’importance de l’offre d’entrée de gamme - y compris en Suisse. Un biais cognitif particulièrement poussé en horlogerie, où toutes les marques, mêmes les plus accessibles, ont adopté les codes et la communication du monde du luxe.
L’acteur dominant sur le segment abordable demeure Swatch Group, qui a écrasé la concurrence en termes de volumes en-dessous de 3’000 CHF. A elles trois, Tissot, Swatch et Longines représenteraient au moins la moitié des 17 millions de montres suisses exportées l’an dernier!
- Evolution des volumes d’exportations de l’horlogerie suisse entre 2000 et 2023 (FHS), par catégorie de prix
Chez Tissot, on a beaucoup parlé de la PRX, sa proposition sport-chic qui a rencontré un immense succès ces dernières années. En ce premier semestre 2024, la marque du Locle a présenté une nouvelle version d’un autre de ses piliers, la montre de plongée Seastar.
Mais à nouveau, un biais cognitif semble opérer (dû sans doute à l’écrasante domination esthétique du sport-chic néo-vintage dans l’horlogerie contemporaine), car c’est bien l’ultra-classique modèle Le Locle qui reste la référence numéro un chez Tissot!
Notre entretien avec Sylvain Dolla, son CEO.
Europa Star: L’horlogerie suisse connaît un ralentissement par rapport à un cru 2023 exceptionnel. Vos performances sont-elles corrélées à cette évolution?
Sylvain Dolla: La région Greater China est effectivement plus difficile pour l’horlogerie suisse, mais en ce qui concerne Tissot, je peux vous dire que je suis très content du premier trimestre au niveau global. Les chiffres que je reçois sont au final plutôt décorrélés de ce que j’entends sur le terrain.
Avec l’inflation, croyez-vous à une forme de report d’achats de modèles au-delà de 1’000 CHF à des montres comme les vôtres, en-dessous de cette barre symbolique?
Non, je n’y crois pas et cela ne se vérifie pas. A vrai dire, j’essaie de ne pas trop me laisser influencer par l’environnement général. Nous suivons notre sillon. Nous avons eu un peu d’intuition et beaucoup de chance sur la PRX. La Seastar connaît un grand succès en 40 mm automatique. J’étais ce matin au Locle pour valider les créations 2026. A quoi ressemblera alors le monde? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que si l’on a les bons produits, cela fonctionne.
- La Seastar 1000 Powermatic 80 est désormais proposée dans un diamètre réduit de 40 mm.
Ralentissement chinois, mais perspectives en Inde, que l’on verrait bien en prochain grand débouché pour l’horlogerie suisse, avec l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange l’an prochain.
Aujourd’hui, l’Inde a déjà pour nous la taille d’un marché européen important comme l’Allemagne ou la France. Au vu des centaines de millions de personnes qui y sont vouées à rejoindre la classe moyenne, nous avons une opportunité énorme sur notre segment de prix. Les Indiens adorent la Suisse et ce que le pays véhicule comme image! Jusqu’à présent, la structure de la distribution empêchait de parvenir aux mêmes perspectives qu’en Chine mais les choses changent. Nous sommes présents chez tous les grands détaillants et allons ouvrir des boutiques en propre et développer notre e-commerce.
- Volumes mécaniques vs. quartz, 2000-2023 (FHS)
Vous présentez une nouvelle Seastar. Une manière de rééquilibrer votre portfolio au vu du succès de la PRX?
Détrompez-vous: on a beaucoup parlé de la PRX, mais notre référence numéro un cette année est notre classique Le Locle. En Suisse, la T-Touch est numéro deux en valeur. La Bellissima fonctionne très bien en Asie. S’il y a un créneau que nous devrions encore davantage occuper, c’est d’ailleurs plutôt celui de la montre-bijou, hors Asie. Nous y travaillons.
- La nouvelle boutique Tissot sur la Bahnhofstrasse de Zurich
Tissot est une marque industrielle. Vers quels pôles vont vos plus grands investissements?
Nous investissons beaucoup dans l’énergie solaire, qui va être un sujet toujours plus important. Quelques 20 millions ont été investis dans la nouvelle usine dédiée du groupe à La Chaux-de-Fonds. Et cela ne concerne pas que la T-Touch. Le solaire va être une solution intéressante…
- Visant un large public, Tissot mise fortement sur le sponsoring sportif, notamment le basketball - ici Sabrina Ionescu, meneuse du Liberty de New York en WNBA, ambassadrice de la marque.
Vous dominez votre segment de prix. On aurait de la peine à citer un concurrent de taille en Suisse. Quelle est votre concurrence la plus sérieuse? L’horlogerie japonaise? La montre connectée?
Nous avons des concurrents hors de Suisse en effet, notamment au Japon, et cela reste important d’avoir de la compétition, cela vous pousse à innover. En réalité, comme nous avons une offre très large en tant que «généraliste», sur chaque gamme de produit il y peut y avoir une concurrence spécifique: nous proposons de la montre connectée, de la montre à quartz, de la montre mécanique Powermatic, de la montre certifiée COSC, du solaire... Quand je suis arrivé chez Tissot en 2020, en plein covid, cela a fait partie de mes premières réflexions: est-ce que nous n’avions pas une marque trop large dans son offre? Au final, c’est un atout car nous occupons tout le terrain. En revanche, nous recentrons notre communication, nous sélectionnons bien nos messages.
Avez-vous augmenté vos prix?
Pas en Suisse, mais à l’extérieur pour compenser le franc fort, un point sur lequel il faut rester vigilant.
- Cette année, la collection classique Chemin des Tourelles s’enrichit de nouvelles versions squelettes.
A plus long terme, avez-vous des objectifs chiffrés en termes de volumes?
L’objectif que j’ai pour Tissot, ce sont les 5 millions de montres annuelles, ce qui n’a jamais été encore réalisé dans l’histoire de la marque. Partout, nous avons d’énormes réserves de croissance: nous avons mentionné l’Inde, mais il y a aussi le Mexique, l’Australie, le Royaume-Uni… Nous comptons 11’000 points de vente, des boutiques flagship, des boutiques numériques, du e-commerce chez nos partenaires. Et la caisse de résonnance formidable qu’est le sport, sur lequel nous misons énormément toute l’année, de la NBA au cyclisme en passant par le rugby. Cela remplace les anciennes foires annuelles et c’est plus avantageux financièrement. Nous activons notre communication en permanence et sur tous les marchés.