YT fête ses dix ans cette année. Une goutte d’eau dans la grande histoire de l’horlogerie. Mais la marque horlogère «fluidique» a déjà affiché des visages bien distincts sur la décennie passée. On l’a découverte en 2012 comme une marque de la nouvelle génération – celle qui, entre la renaissance de la montre mécanique des années 1990 et le retour au néo-vintage conservateur de ces dernières années, a fait exploser tous les codes de l’horlogerie, tant en termes de design que de construction du mouvement.

Dans le cas de HYT, cela passait par l’affichage fluidique de l’heure, avec l’usage de micro-capillaires. Le côté ludique de cette application et son potentiel de développement lui promettaient un bel avenir, alors que la communauté de collectionneurs «portait» les marques indépendantes sortant des sentiers battus.

Davide Cerrato, CEO et directeur de la création de HYT

L’histoire n’a pas été aussi fluide que prévu: peut-être que si HYT était née une décennie plus tôt, en pleine explosion d’une horlogerie mondialisée audacieuse, elle aurait eu le temps de se développer avant que cette «bulle» ne se referme quelque peu, au profit de valeurs sûres de l’histoire horlogère. Mais des problèmes de stabilisation de la technologie entachant la réputation de la marque, de même qu’une complexité de la communication et des revirements stratégiques, ont conduit à des difficultés exacerbées par l’irruption de la pandémie puis à une faillite en 2021.

Le renouveau de HYT commence avec le modèle Hastroid. Sur cette version, baptisée «Green Nebula», le ton vert des indications horaires et du fluide contraste avec le boîtier noir en carbone et titane.

Un groupe d’amoureux de la marque, composé d’anciens dirigeants et de nouveaux investisseurs, s’est néanmoins rapidement décidé à la reprendre. A la tête de HYT, on retrouve aujourd’hui un profil bien connu: Davide Cerrato, qui au cours de sa carrière horlogère a oscillé entre horlogerie XXL (Panerai) et néo-vintage (Tudor et Montblanc), associant les deux grandes tendances de ces dernières décennies. Certains autres horlogers indépendants, qui ont connu des difficultés durant la dernière décennie, ont bien remonté la pente, au point de voir leur cote en forte hausse sur le marché secondaire – on peut penser à un De Bethune ou Laurent Ferrier. HYT suivra-t-elle leurs traces? Entretien.

Europa Star: Comment le redémarrage de HYT s’est-il enclenché?

Davide Cerrato: Tout s’est passé plutôt rapidement. La société a fait faillite en mars 2021 et dès juin 2021, une nouvelle structure,  Kairos Technology Switzerland, a été créée par un groupe d’investisseurs privés pour reprendre et assurer l’avenir de HYT. Moi-même j’ai rejoint l’aventure le 1er juillet 2021, j’étais le premier employé de la nouvelle organisation! Aujourd’hui, nous avons constitué une équipe de dix personnes, avec un mélange de personnes qui étaient déjà là lors des précédents chapitres de l’histoire de HYT et de nouveaux employés, une association de jeunes horlogers fougueux et de personnes d’expérience.

Quelles ont été les principales étapes de ce travail de «reconstruction»?

L’été passé, nous avons reconstitué un réseau solide de fournisseurs en Suisse. C’est la base. Certains sont des fournisseurs historiques comme TEC Group d’Arnaud Faivre pour le mouvement. D’autres sont de nouveaux partenaires, que j’ai amenés de mon réseau, comme Efteor pour l’habillage. Cela nous a permis de poser de nouveaux principes de design, plus «horlogers» qu’auparavant, et une nouvelle stratégie, plus exclusive. Ce qui s’est traduit par le lancement de la première montre de nouvelle génération, la Hastroid, et par un nouveau réseau commercial basé sur une vingtaine de partenaires dans le monde, contre jusqu’à une soixantaine auparavant.

«Nous adoptons des codes plus horlogers, une narration plus horlogère, qui parle aux collectionneurs, et nous remontons la valeur et les prix des créations.»

En arrivant, vous avez, j’imagine, mené un audit de ce qui n’avait pas marché...

J’ai repris tout l’historique de HYT. Il y a eu deux phases dans l’histoire de la marque depuis sa fondation en 2012 – nous en sommes la troisième. La première phase, de 2012 à 2017, a vu un grand effort être mis sur l’explication technologique de la marque. Au point que celle-ci a pu paraître quelque peu complexe. Or, pendant cette phase-là, il y a eu des difficultés de qualité liées à la stabilisation de la technologie, ce qui a miné le succès de la marque, même si l’accueil lors de son lancement à Baselworld en 2012 avait été fantastique. Elle aurait pu aller beaucoup plus loin dans l’exploration de «complications fluidique», car c’était ce qui suscitait tous les fantasmes et les attentes. Mais les problèmes de stabilisation ont fait qu’elle s’est limitée à la lecture fluidique de l’heure, sans développer d’autres applications.

Puis – et c’est la deuxième grande étape de son histoire – la marque a été réorientée vers une explication beaucoup plus philosophique, celle du «temps fluide». Cela s’est ressenti sur son deign, qui est complètement sorti des codes horlogers. La marque avait besoin de développer le volume de vente et a baissé son prix d’entrée pour toucher de nouveaux clients plus jeunes. L’exercice a réussi en termes de notoriété en ligne, ce dont nous profitons toujours aujourd’hui. Mais en voulant se rapprocher d’une nouvelle clientèle, qui n’avait pas forcément les moyens de s’acheter ses modèles, la marque s’est éloignée des collectionneurs. Elle s’est enfermée dans une niche peu porteuse. Sur ce, le coronavirus est arrivé...

Que faites-vous de ces constats?

Nous revenons là où la marque était au début, avec ce qu’elle suscitait alors de fantasmes et d’attentes. La valeur ajoutée de HYT réside dans l’association de la technologie fluidique et de la mécanique horlogère. Nous adoptons des codes plus horlogers, une narration plus horlogère, qui parle aux collectionneurs, et nous remontons la valeur et les prix des créations (la Hastroid est proposée à 70’000 francs hors TVA, ndlr). Nous avons adopté le thème de l’exploration spatiale, des visionnaires et des aventuriers de notre temps, pour exprimer cette nouvelle expression horlogère, comme moyen de raconter HYT.

La nouvelle HYT Moon Runner, avec son coloris «Supernova Blue», ne sera réalisée qu’à 27 exemplaires. Autour de la Lune se déploient deux disques indicateurs en titane mentionnant les jours et les mois, en plus des indications horaires précisées par une aiguille courant sur une graduation spécifique avec un minuteur de 5 en 5, et les heures rétrogrades matérialisées par le système fluidique. Le prix du modèle est de 120’000 CHF (hors taxes).

On comprend à demi-mot que vous allez élargir la technologie fluidique à des complications?

Oui, nous allons prendre des complications classiques et leur donner une expression complètement différente, beaucoup plus ludique. C’est le grand défi qui nous attend désormais: concrétiser toutes les promesses affichés par HYT à son lancement il y a dix ans. Le fluide n’est plus limité à l’affichage de l’heure. De plus les possibilités de personnalisation sont innombrables car les modèles sont construits avec une idée de modularité.

«C’est le grand défi qui nous attend désormais: concrétiser toutes les promesses affichés par HYT à son lancement il y a dix ans.»

Avec quels principes de design avez-vous conçu votre premier modèle «refondateur», la Hastroid?

Au porter, j’ai remarqué que les modèles d’ancienne génération comportaient certaines limites. Elles étaient volumineuses et lourdes au poignet. La lecture de l’heure était également rendue difficile par les reflets et la complexité de l’affichage. Nous avons d’abord travaillé sur la réduction du poids et du volume pour une ergonomie maximale. Le nouveau modèle arbore un design modulaire épuré, avec une boîte en titane et carbone de 80 grammes contre 130 grammes auparavant. Les cornes sont intégrées pour rendre le porter plus confortables. Le mouvement a aussi été retravaillé pour créer de l’espace, donnant presque une impression de squelettage. Malgré ses 48mm, on a plutôt l’impression d’avoir affaire à un modèle de 44mm ou 45mm. Tout concourt à le rendre plus portable.

Un autre chantier concernait la lisibilité de l’heure. Nous avons eu recours à des contrastes entre le fond et l’index des heures, rehaussés de SuperLuminova, pour l’améliorer. Nous avons ajouté des chiffres pour une lecture immédiate. La grande aiguille des minutes est positionnée au centre du cadran. Enfin, nous avons beaucoup travaillé sur la qualité et la fiabilité qui posaient problème par le passé. Tout le projet a été construit en partenariat avec des fournisseurs de qualité pour un résultat très robuste. Le premier prototype a été envoyé au Laboratoire Dubois et a résisté à 17’000 chocs à force croissante.