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Reset: comment cinq horlogers ont réussi leur retour sur scène

STRATÉGIE

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janvier 2023


Reset: comment cinq horlogers ont réussi leur retour sur scène

On a assisté récemment à la «renaissance» parfois assez spectaculaire de marques et de maisons dont on pensait qu’elles étaient, pour de très diverses raisons, en déclin voire en voie de disparition ou confrontées à d’insolubles problèmes économiques. Et voici qu’elles ressurgissent au premier plan, se retrouvent au centre des conversations, gagnent ou regagnent la faveur de la clientèle. Comment, pourquoi, par quels chemins y sont-elles parvenues? Europa Star a tenté de répondre à ces questions. Comme on le verra, les réponses diffèrent notablement, preuve qu’il n’existe pas de solution miracle mais des formules bien diverses, strictement et adéquatement appliquées en fonction de la nature profonde des marques en question.

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reubel Forsey, Parmigiani Fleurier, Zenith, Louis Erard, Doxa… autant de marques bien différentes, mais qui ont pour point commun d’avoir récemment réussi leur reset.

Leur situation respective de départ? Greubel Forsey, au pinacle de la haute horlogerie de précision et de l’excellence décorative mais nécessitant une restructuration de son offre et de son réseau commercial; Parmigiani Fleurier, reconnue pour son originalité stylistique, ses mouvements propriétaires et sa bienfacture, mais présentée comme un casse-tête financier pour ses propriétaires; Zenith, marque et manufacture historique, ex-belle endormie réveillée à coups de millions mais qui n’avait pourtant pas encore retrouvé son lustre d’antan; Louis Erard, spécialiste de la montre mécanique chic et abordable, mais active sur un segment désormais en déliquescence et ne laissant que peu de place aux indépendants; Doxa, pionnière de la montre-instrument, mais risquant de tomber dans un oubli progressif.

Un trait commun à toutes ces marques: la nomination d’un nouveau CEO et – c’est à noter – un CEO doté d’une très solide expérience et d’une profonde culture horlogère (et non pas parachuté d’une grande école de commerce).

Soit, chez Greubel Forsey, Antonio Calce (Piaget, Panerai, Corum, Girard-Perregaux); chez Parmigiani Fleurier, Guido Terreni (20 ans chez Bulgari dont 10 ans à la tête de la division horlogère); chez Zenith, Julien Tornare (Raymond Weil puis 17 ans chez Vacheron Constantin); chez Louis Erard,  Manuel Emch (Jaquet Droz, Swatch, Romain Jerome); chez Doxa, Jan Edöcs (Omega, Swatch Group, Milus, Hanhart).

Greubel Forsey, Parmigiani Fleurier, Zenith, Louis Erard, Doxa… autant de marques bien différentes, mais qui ont pour point commun d’avoir récemment réussi leur reset.


Reset: comment cinq horlogers ont réussi leur retour sur scène

1. ÉTAT DES LIEUX ET DIAGNOSTIC

Quelles que soient les différences profondes entre ces marques à redresser, tout commence par un état des lieux, condition préalable à tout diagnostic.


GREUBEL FORSEY

Commençons par l’exemple d’Antonio Calce et de Greubel Forsey. A son arrivée en août 2020, à la demande de Robert Greubel, il trouve une situation difficile, dont il est parfaitement conscient, que le Covid seul n’explique pas. Deux mois auparavant, et pour la première fois, Greubel Forsey a licencié 12 personnes sur un total de 100 employés qui produisent 100 montres par an.

De fait, depuis sa création par Robert Greubel et Stephen Forsey en 2004, la marque Greubel Forsey a certes acquis une réputation exceptionnelle tant du point de vue de ses recherches mécaniques et chronométriques de pointe que par la très haute tenue de ses finitions, mais elle était loin d’avoir atteint tout son potentiel. C’est en réalité la société CompliTime, créée par les mêmes deux hommes mais détachée de Greubel Forsey, qui fait office de «vache à lait». Extrêmement discrète, CompliTime œuvre en toute confidentialité pour les plus grandes marques horlogères auxquelles elle offre des services de pointe en conception, construction, réalisation de prototypes et premières séries. Parmi toutes les réalisations effectuées, CompliTime a l’autorisation de ne dévoiler publiquement que le Planétaire de Richard Mille et l’Histoire de Tourbillon d’Harry Winston, entre bien d’autres conceptions de très haut vol.

Antonio Calce, Greubel Forsey
Antonio Calce, Greubel Forsey

Pour autant, Greubel Forsey souffre en soi de plusieurs handicaps: la marque, très pointue, est positionnée à une très haute altitude, au-delà des CHF 400’000, mais confinée dans une hyper-niche – recherche chronométrique absolue et finitions superlatives – que seul un public très spécialisé, très rare, vieillissant sans doute, est en mesure de pleinement apprécier. Selon Antonio Calce, en plein accord avec Robert Greubel, à ce stade de son diagnostic, soit on continue dans ce positionnement de niche absolue et l’offre ne concernerait qu’environ 50 collectionneurs dans le monde, soit on repense intégralement le modèle d’affaires, notamment en élargissant et diversifiant l’offre. Une manière aussi d’intégrer plus profondément les métiers et de développer encore le savoir-faire.

Une option qu’il imagine parfaitement réaliste car la marque ne manque pas d’atouts: «Il y a ici un savoir-faire absolument extraordinaire, un outil sublime, une force d’innovation exceptionnelle, une excellence artisanale rare, un degré d’intégration très élevé… Il y a tout pour aller de l’avant! Et, nous confie-t-il en aparté, je tiens Robert Greubel pour un génie horloger.»

A ce stade de son diagnostic, soit on continue dans ce positionnement de niche absolue et l’offre ne concernerait qu’environ 50 collectionneurs dans le monde, soit on repense intégralement le modèle d’affaires.


PARMIGIANI FLEURIER

Guido Terreni arrive chez Parmigiani Fleurier le 26 janvier 2021, après avoir brillamment réussi à donner au joaillier Bulgari une véritable identité horlogère et à installer la marque dans les premiers rangs, remportant au passage de nombreux prix. Ce qui l’attire chez Parmigiani Fleurier, ce sont les racines profondément culturelles de la marque. Son prestige est élevé, elle est reconnue pour son identité de rupture mais ses racines proviennent de la restauration, un art dont Michel Parmigiani est un des plus éminents représentants. Guido Terreni loue et admire sa profonde connaissance historique, tant mécanique que décorative: «Michel connaît par cœur toutes les finitions de l’histoire horlogère», nous avoue-t-il, admiratif.

Guido Terreni, Parmigiani Fleurier
Guido Terreni, Parmigiani Fleurier

Autre atout essentiel, Parmigiani Fleurier est adossé à un puissant et rare pôle industriel horloger, constitué dès les années 2000 par la Fondation de Famille Sandoz, riche propriétaire de l’ensemble. Un pôle qui forme une manufacture complète, totalement intégrée, regroupant les mouvements mécaniques d’excellence de Vaucher Manufacture (créée en 2003 à Fleurier); Atokalpa (Alle, décembre 2000), en mesure de produire tous les éléments entrant dans la composition de l’oscillateur, soit une vingtaine de composants dont le balancier-spiral, l’ancre et le rouage d’échappement; Elwin (Moutier, janvier 2001), spécialisée dans la micromécanique de haute précision, le décolletage et la production de composants spécifiques, souvent compliqués; Les Artisans Boîtiers (La Chaux-de-Fonds, mai 2000), riche d’un savoir-faire dans l’élaboration de boîtiers de montre haut de gamme; et Quadrance & Habillage (La Chaux-de-Fonds, décembre 2005), spécialisée dans le cadran haut de gamme artisanal.

Mais Parmigiani Fleurier, malgré son haut niveau de reconnaissance, n’a jamais fait de profit depuis bientôt 25 ans (sauf durant un seul exercice, semble-t-il). Pire, ses pertes, estimées à 22 millions de francs suisses en 2019, après les 18 millions de pertes en 2018, pèsent sur l’ensemble du groupe qui, par ailleurs, est bénéficiaire. Des bruits circulent, le tout serait à vendre. Guido Terreni a vu «l’urgence des chiffres».

Et, par ailleurs, il constate que, selon ses propres mots, «la marque a perdu l’intérêt du public, comme si elle n’avait plus le sens du marché». Un détail le frappe: alors que la marque va fêter ses 25 ans, rien n’a été prévu pour cet important anniversaire, aucun plan à ce sujet. Que faire?

«La marque a perdu l’intérêt du public, comme si elle n’avait plus le sens du marché».


ZENITH

Mandaté par Jean-Claude Biver, alors grand pilote de l’horlogerie LVMH, Julien Tornare est nommé à la tête de Zenith en mai 2017. Il y découvre une marque en petite forme, un peu perdue, un peu poussiéreuse. Elle a vécu plusieurs changements de direction drastiques, n’est plus rentable et, en perte de vitesse, n’a plus d’orientation claire.

Son produit phare, le mouvement El Primero, est plus connu que la marque elle-même. La vénérable manufacture du Locle, fondée en 1865, est riche d’une formidable histoire séculaire mais elle ne correspond plus aux standards de la production actuelle. Étagée sur les flancs d’une abrupte colline, elle est composée de 18 bâtiments divers qui rendent complexe la gestion des flux de production. Son marketing est du même acabit. Elle manque de visibilité dans ses points de vente, son matériel promotionnel est lui aussi un peu vieillot, son réseau de vente en baisse de tonus.

Julien Tornare, Zenith
Julien Tornare, Zenith

Bref, il y a du pain sur la planche pour qu’elle retrouve dynamisme et rentabilité.

Mais elle a encore d’importants atouts, à commencer par la richesse de son patrimoine et par le fait qu’elle produit ses propres mouvements, d’excellente facture, dont le célèbre El Primero – sur lequel, cependant, toute la stratégie ne saurait se reposer. Pour Julien Tornare, la première tâche est de trouver la bonne façon de développer son potentiel dormant, de remotiver les équipes, au demeurant excellentes, et de remettre la marque elle-même au centre du jeu. L’héritage est fort, mais il date essentiellement du XXème siècle. Il faut donc trouver le moyen de propulser la marque dans le XXIème siècle. Les «anciens» ne lui disent pas autre chose: alors qu’il réunit les huit personnes encore vivantes qui, autour de Charles Vermot, ont œuvré à la création du très novateur mouvement El Primero, premier et historique chronographe à remontage automatique et battant à 36’000 alternance/h, sorti en 1969, il s’attend à ce que ces octogénaires soient purement nostalgiques du passé. Mais c’est tout le contraire qui se passe. Ils lui disent qu’ils étaient les novateurs de l’époque, des «startuppers» avant l’heure, et le poussent à aller de l’avant. De son propre aveu, cette rencontre le «conforte dans la stratégie» qu’il entend mettre en mouvement pour redonner à Zenith toute la place que le nom mérite dans le concert des marques du XXIème siècle. Il échafaude alors un plan de bataille qui va s’attaquer à tous les fronts en même temps.

Son produit phare, le mouvement El Primero, est plus connu que la marque elle-même. La vénérable manufacture du Locle est riche d’une formidable histoire séculaire mais elle ne correspond plus aux standards de la production actuelle.


LOUIS ERARD

Fin 2018, début 2019, Alain Spinedi, qui dirige alors Louis Erard, appelle à la rescousse Manuel Emch, devenu consultant stratégique et créatif avec sa structure Le Büro: la marque prend l’eau, son modèle semble dépassé, faut-il néanmoins continuer et, si oui, comment assurer sa pérennité?

Louis Erard a été fondée en 1931, a connu certains succès, des hauts et des bas, mais en 2003, elle est en pleine déliquescence et n’emploie plus que sept personnes au Noirmont, dans le Jura suisse. Alain Spinedi la reprend alors avec une quinzaine d’actionnaires et va réussir à la relancer avec une stratégie qui fait mouche: proposer une montre mécanique suisse, de qualité, à un prix très abordable. Son fer de lance, qui va devenir le symbole de la marque: le rare et très graphique affichage à régulateur. «Au départ en 2004, expliquait-il en 2020 à Europa Star, notre positionnement en entrée de gamme de la montre mécanique suisse était le bon. Et pendant 10 ans il l’est resté, avec environ 20’000 montres par an. Mais il a été progressivement mis à mal, par de nombreux facteurs conjugués.» Le vent tourne vers 2014.

Manuel Emch, Louis Erard
Manuel Emch, Louis Erard

“Si au début l’ascension est rapide, la question du prix ne saurait être l’unique argument de vente, d’autant plus qu’entre-temps, d’autres sont venus se positionner dans le même type d’offre. Louis Erard est devenue une marque générique.”

Manuel Emch liste les divers facteurs qui ont mis à mal la stratégie jusqu’alors gagnante de Louis Erard. Effectivement, dès 2014, la marque va voir son identité se dissoudre pour diverses raisons: sous le choc de l’annonce de Swatch Group de ne plus livrer de mouvements mécaniques ETA dans les années à venir et, dans l’intervalle, de renchérir leur coût (par exemple, le Valjoux 150 d’ETA est augmenté de 300 CHF, en même temps que le franc suisse se renforçait nettement), Louis Erard est contraint de revenir au quartz – alors que toute son identité reposait sur une offre mécanique. Par ailleurs, explique-t-il, «si au début l’ascension est rapide, la question du prix ne saurait être l’unique argument de vente, d’autant plus qu’entre-temps, d’autres sont venus se positionner dans le même type d’offre. Il en a résulté une fuite en avant, avec une multiplication de produits et de collections jusqu’à arriver à plus de 350 références. S’en est suivie logiquement une dilution complète de l’image et de l’historique de la marque. Louis Erard est devenue une marque générique. S’y ajoute un problème économique de marges. Bref, le modèle commercial ne faisait plus sens et dès 2012-2013, la marque perdait de l’argent.»

Aux yeux de Manuel Emch, pour assurer à la marque une pérennité, il fallait en passer par un reset complet. Il fallait tout nettoyer.


DOXA

C’est début 2019 que Jan Edöcs arrive à la tête de Doxa. Natif de Bienne, l’homme a une longue expérience horlogère derrière lui, qui l‘a fait passer par Omega, Swatch, Milus qu’il redresse, et bénéficie d’une connaissance approfondie des marchés, et plus spécifiquement de Hong Kong, de la Chine (auprès des groupes Peacemark puis Chow Tai Fook) et des USA. En 2018, il rentre en Suisse et rencontre la famille Jenny, propriétaire de l’importante entreprise de private label Walca qui a racheté Doxa en 1997.

Créée au Locle en 1889, Doxa a une riche histoire mais court le risque de devenir «une marque de musée, comme le dit Jan Edöcs. Il y avait encore des fans et des collectionneurs mais ils se faisaient tous vieux.» La marque s’est dispersée depuis longtemps et n’a plus vraiment d’image. Elle n’a plus non plus de véritable distribution et ne vend ses montres plus qu’en ligne. Le risque était grand qu’elle disparaisse.

Jan Edöcs, Doxa
Jan Edöcs, Doxa

Mais derrière cette façade un peu déprimée, la marque recelait des trésors, et notamment une véritable icône alors un peu oubliée, la Doxa SUB, première montre de plongée aux spécifications professionnelles mais abordable pour le grand public. Avec une innovation brevetée, sa lunette tournante destinée à calculer les temps de plongée, et un visage marquant avec la couleur orange de son cadran. Sortie en 1967 à Bâle, elle est adoptée par le Commandant Cousteau qui va la populariser dans le monde entier. En 1968, elle devient la Doxa SUB 300T, première montre de plongée à comporter une valve à hélium. Une véritable légende.

«Le timing était parfait, explique Jan Edöcs. La vogue des montres-instruments vintage battait son plein, la SUB 300 avait une vraie histoire, une forte légitimité et je voyais aussi un boulevard qui pouvait s’ouvrir dans la distribution physique en plus de la présence dans la vente en ligne depuis plus de dix ans.» Il suffisait de prendre les bonnes décisions et de passer à l’action. Et côté production, Doxa pouvait compter sur son «bras armé» Walca, qui avait déjà produit des millions de montres pour ses clients en private label. Mais le temps presse: objectif Bâle 2019.

Créée au Locle en 1889, Doxa a une riche histoire mais court le risque de devenir «une marque de musée, comme le dit Jan Edöcs.


2. DÉCISIONS ET ACTIONS

Etat des lieux effectué et diagnostic tiré, il faut passer aux décisions, prélude à l’action. Ce qui frappe dans les exemples de reset que nous examinons, c’est la vitesse à laquelle ces repositionnements se sont généralement opérés. Certes, les navires qu’il faut faire virer de bord sont de tailles diverses et il est plus aisé et plus rapide de manœuvrer un petit esquif qu’un gros cargo comme une manufacture…


GREUBEL FORSEY

Chez Greubel Forsey, Antonio Calce est devenu actionnaire aux côtés de Robert Greubel, majoritaire, et de Stephen Forsey. Richemont, qui détenait 20% depuis 2006, leur cède ses actions. «Cette indépendance retrouvée permettra de définir les prochaines étapes de développement et de maturité en toute liberté. Une entreprise n’est jamais aussi libre que lorsqu’elle détient 100% de son capital», déclare alors Antonio Calce.

A ses yeux, «l’essence est là, le savoir-faire est extraordinaire mais il n’est pas utilisé à plein». Construire une marque horlogère est une «globalité», qu’il voit comme les cinq doigts de la main: invention et innovation; horlogerie et finitions main; performance et fiabilité; architecture et design; rareté et exclusivité.

Pour élargir l’assise de la marque et conquérir un public plus jeune, tout en respectant ces cinq commandements, il faut créer une autre catégorie de produits, exclusifs mais à un prix situé entre CHF 150’000 et CHF 300’000. Quant aux produits excédant CHF 400’000, ils seront limités à 11 pièces par an et par modèle. Une façon de maintenir de la rareté.

Il faut continuer à proposer de l’innovation et de l’excellence, mais sous d’autres formes en rendant les produits plus attractifs, plus portables aussi.

Sans renoncer un instant à l’exigence de précision et de fiabilité, il faut ajouter «d’autres ingrédients». Il faut continuer à proposer de l’innovation et de l’excellence, mais sous d’autres formes en rendant les produits plus attractifs, plus portables aussi. On doit ressentir le luxe qu’ils incarnent, en percevoir la valeur, notamment à travers leurs terminaisons.

Quant aux calibres, la décision est prise de limiter leur cycle de vie. Par exemple, la GMT sortie en 2022 finira son cycle en 2024, avec 66 pièces produites en tout et pour tout. Un signe adressé aux collectionneurs et aux connaisseurs.

Antonio Calce entend ainsi lancer un processus continu d’innovation et d’excellence, avec pour but essentiel d’assurer la pérennité de la marque – mais pérenniser implique d’avoir une activité soutenue. Dans cet esprit, il entend poursuivre et approfondir encore l’intégration de la production. Greubel Forsey a fait l’acquisition des terrains environnants et projette d’y construire un nouveau bâtiment, dans le même esprit que l’étonnant et emblématique bâtiment actuel.

Et à ses yeux, la gestion du personnel est un des éléments-clé du puzzle qu’il est en train de rassembler: «Greubel Forsey réunit un ensemble de connaissances, de matière grise, de métiers et de savoir-faire exceptionnels. Cependant, le but n’est pas de courir après la croissance à tout prix mais plutôt de viser encore plus d’excellence. Y parvenir est une question d’alchimie et d’intégration croisée des métiers, ce qui présuppose d’excellentes conditions de travail, de la souplesse. Nous voulons sortir des sentiers battus, aussi bien dans nos produits que dans nos façons de faire. C’est un processus continu qui est désormais lancé. Et si tout cela est rendu possible, c’est parce que Robert Greubel et moi-même avons une très grande complicité, qu’il me fait confiance et que j’ai aussi une très bonne entente avec Stephen Forsey, le troisième actionnaire.»


PARMIGIANI FLEURIER

Chez Parmigiani Fleurier, Guido Terreni commence par «tout stopper». Il impose une période de réflexion (on est en plein Covid ce qui, paradoxalement, lui rend service). Sa première tâche est de demander à ses équipes: «Qui est Parmigiani Fleurier? A qui vendons-nous nos produits?» Un constat s’impose rapidement: Parmigiani Fleurier n’est pas une marque ostentatoire, son territoire est dans un chic discret. Elle s’adresse donc à une clientèle compétente, indépendante d’esprit, cultivée, raffinée.

Or, qu’est-ce que ce type de clientèle – dans les 30 à 40 ans – aimerait porter aujourd’hui? L’élégance est à leurs yeux une qualité primordiale, mais c’est une élégance moins formelle qu’auparavant et qui s’adapte à toutes les circonstances. Un produit créatif mais pur, d’aspect dépouillé, conçu avec un soin extrême. Parmigiani Fleurier a une déjà riche histoire et ne doit en rien copier quiconque, elle doit interpréter à sa manière ce besoin. La période s’y prête: historiquement, un fort momentum s’exerce en faveur des indépendants, dans un marché du luxe dont l’importance grandit sans cesse.

Parmigiani Fleurier Tonda GMT Rattrapante
Parmigiani Fleurier Tonda GMT Rattrapante

Fort de ces constats, Guido Terreni et ses équipes se mettent rapidement au travail en se penchant sur tous les détails du produit et en redéfinissant un à un ses codes esthétiques fondamentaux. Le but est de construire entre les différents produits une cohérence stylistique totale et parfaitement reconnaissable. Le modèle Tonda va servir de base, mais son boîtier sera finement retravaillé car il ne s’adaptait pas très bien aux bracelets métal, qui seront désormais semi-intégrés, créant une continuité stylistique parfaite, identique entre métal, cuir ou autres matériaux.

La première collection, avec ses 25 animations, est dessinée en trois semaines. Huit mois plus tard, les premiers prototypes sont prêts

La lunette est finement moletée, en plan incliné, devenant un signe identitaire aussi subtil que marquant. Les finitions du cadran sont revues, la minuterie est rabaissée et le guillochage, qui a toujours été présent mais était très classique, est miniaturisé, formant là aussi une fine tapisserie. Le logo, qui n’était qu’un poinçon assez invisible, est une cartouche en forme d’ellipse qui suit les règles du nombre d’or cher à Michel Parmigiani. Le choix des couleurs est d’une grande sobriété mais aucune de celles-ci n’est banale. Les bracelets sont d’une grande souplesse. Enfin, le moteur lui-même est et reste 100% maison, avec son micro-rotor de 3 mm.

La première collection, avec ses 25 animations, est dessinée en trois semaines. Huit mois plus tard, les premiers prototypes sont prêts. Au mois d’avril 2022, lors du salon Watches and Wonders, Parmigiani Fleurier présente la Tonda PF Skeleton, la Tonda PF Flying Tourbillon, la Tonda GT Chronograph en versions Grande Date et Calendrier Annuel ainsi qu’une première mondiale qui marque tout particulièrement les esprits, la Tonda PF GMT Rattrapante.


ZENITH

Chez Zenith, Julien Tornare s’attaque à ses différents chantiers qu’il convient de travailler en parallèle. Son objectif, rappelons-le, est de remettre Zenith sur les rails du XXIème siècle. Symboliquement, il commence par «replacer le logo étoilé de Zenith au centre» et lance un nouveau slogan «Time to reach your star» qui s’adresse autant au public qu’à ses équipes. La marque ne doit plus être éclipsée par ses réalisations passées, mais celles-ci doivent contribuer à son nouveau rayonnement. Il va donc retravailler toute l’histoire de la marque, mettre en valeur ses fondamentaux, parmi lesquels l’innovation et la quête de précision sont les marqueurs les plus forts. Cette histoire va être au cœur de la célébration des 50 ans d’El Primero en 2019. Pour autant, il ne s’agit aucunement de rééditer les réalisations du passé mais de s’appuyer sur l’histoire et les conquêtes de la marque pour la propulser en avant. Car même si la vogue du vintage est alors puissante, il ne s’agit pas de faire de Zenith une marque vintage.

Au niveau des produits, un constat s’impose: la marque propose beaucoup trop de références. Un trop grand nombre de modèles et de calibres ont été lancés et perdurent, certains végétant. La marque est bien trop dispersée. Concentrer devient le mot-clé. Une concentration qui va déboucher sur quatre lignes de produits: Defy, Chronomaster, Elite, Pilot, complétés par la collection Zenith Icons, organisée en collections capsules thématiques constituées de «montres rares, convoitées, acquises, restaurées et certifiées». De quoi activer la fièvre des collectionneurs.

Zenith Defy Chronomaster Sport
Zenith Defy Chronomaster Sport

De la même façon, marketing et communication doivent être totalement dépoussiérés pour pouvoir répondre à la nouvelle ambition et transmettre le message d’une marque certes historique, enracinée mais tournée vers le présent, un présent irrigué par son histoire.

Une autre question délicate à laquelle il faut aussi s’affronter: le taux de retour au service après-vente est trop élevé. Les processus de fiabilisation des montres doivent être complétement repensés. Pour y parvenir, les flux, les modes de production et de contrôle sont revus de fond en comble. Un «gros boulot» sur la manufacture se mène de 2017 à 2019. En 2017, selon les mots de Julien Tornare, il y avait «le feu à la maison» mais dès 2019, Zenith va prendre un virage positif et commencer à renouer avec le succès.

Là-dessus arrive le Covid. «Paradoxa-lement, avoue Julien Tornare, même si je suis conscient que beaucoup en ont souffert, cette période de suspension nous a permis d’accélérer notre transformation en cours, elle nous a fait gagner du temps.» Elle a notamment permis d’implémenter le e-commerce, qui était au programme, en quelques mois seulement au lieu des deux ans planifiés.

Reset: comment cinq horlogers ont réussi leur retour sur scène

A ses yeux, le mouvement d’innovation qu’il souhaite insuffler à la maison ne concerne pas seulement les produits eux-mêmes, ni la seule amélioration de la production, mais une foule de petits détails, de «petits cailloux à semer» selon son expression. Julien Tornare se met à l’écoute, il se veut ouvert, recherche une certaine transparence. Il faut réinsuffler dynamisme et fierté aux équipes. Être innovant s’applique donc aussi aux façons de travailler, au management, à de micro-initiatives qui peuvent sembler secondaires mais qui participent à l’ensemble du travail sur la marque. Il va promouvoir l’ouverture de la manufacture au public, avec la réalisation d’un parcours didactique très fréquenté, ou, autre exemple, la création d’un vaste potager sur les toits de la manufacture où chacun peut aller cueillir des produits frais… Un changement d’ambiance, un changement d’époque.

Car même si la vogue du vintage est alors puissante, il ne s’agit pas de faire de Zenith une marque vintage.


LOUIS ERARD

Chez Louis Erard, Manuel Emch commence son «grand nettoyage». L’idée centrale est de «revenir aux sources avec la proposition de valeur la plus forte possible, qui n’existe pas dans cette gamme de prix abordable». Essentiellement, il s’agit de travailler désormais sur l’offre et non plus sur la demande. Toute la force doit être mise sur le produit, avec une véritable proposition de valeur, une très nette différenciation, une forte identité. Et celle-ci est toute prête: le Régulateur en sera le fer de lance. Pour devenir pérenne, la croissance ne sera pas linéaire mais s’effectuera par paliers, au fil d’un programme régulier, très précisément élaboré.

Au sein de Louis Erard, Manuel Emch (dont le métier de base est designer industriel) se définit non pas tant comme un CEO ordinaire que comme un «curateur» artistique. Et c’est en tant que tel qu’il va organiser le nouveau déploiement de la marque.

Il va commencer par réduire drastiquement le nombre de références, qui vont passer d’environ 350 à quelques dizaines seulement. Il va standardiser la production en ne travaillant que sur deux boîtiers différents et trois mouvements de base Sellita, éliminant toute fuite en avant et tout risque de qualité. L’offre est subdivisée en trois collections: Excellence (avec des pièces limitées à 99 ou 178 exemplaires); Héritage (avec 7 références) et La Sportive (8 références chronographes).

Au sein de Louis Erard, Manuel Emch se définit non pas tant comme un CEO ordinaire que comme un «curateur» artistique. Et c’est en tant que tel qu’il va organiser le nouveau déploiement de la marque.

La collection Excellence va être à la pointe du renouveau complet de Louis Erard. Animée par une nouvelle sortie quasi mensuelle, elle va marquer les esprits. Excellence repose sur quatre types de collaborations: avec des métiers d’art, des horlogers renommés, des architectes et avec ce que Manuel Emch appelle «l’écosystème» horloger. Le tout affichant des prix imbattables, tant et si bien que nombre de ces éditions limitées se retrouvent en rupture de stock très rapidement.

Le Régulateur Louis Erard x atelier oï
Le Régulateur Louis Erard x atelier oï

Au prix de CHF 2’500, Louis Erard propose ainsi des montres en émail Grand Feu réalisés par le spécialiste Donzé, du guillochage main et bientôt de la marqueterie de bois, voire de l’émail flinqué, paillonné, champlevé. L’affichage Régulateur identitaire et la Petite Seconde sont revus et corrigés par Alain Silberstein, Vianney Halter, le designer Eric Giroud, Massena Lab, Label Noir ou encore les architectes d’Atelier Oï… La même collection propose également des cadrans en malachite, en aventurine ou en lapis-lazuli, toujours au prix de CHF 2’500.

Pour parvenir si rapidement à un tel renouveau, l’organisation a été entièrement revue. Autrefois pyramidale, elle est devenue transversale et collaborative. Il n’existe plus de hiérarchie, tous les collaborateurs (seulement 12 personnes – en dehors des prototypes, l’emboîtage et les finitions sont confiées à un atelier voisin, toujours au Noirmont) ont accès à toutes les informations et sont libres d’organiser leur travail comme ils l’entendent. Le succès va être rapidement au rendez-vous.


DOXA

Chez Doxa, Jan Edöcs et Romeo F. Jenny décident ensemble de tout repenser. Il faut réveiller le marché en le secouant et attirer de nouvelles communautés de fans. Le timing est le bon car la montre-instrument, à touche vintage, est revenue au centre de l’offre horlogère. Les collections courantes de style classique sont totalement abandonnées et tout l’effort va se concentrer sur la montre de plongée, qui est au cœur de l’histoire de Doxa et représente sa légitimité la plus indéniable. Il y a tant de choses à raconter autour des aventures de Doxa et de l’eau…

Jan Edöcs décide de frapper un grand coup à Bâle 2019, qui plus est année du 130ème anniversaire de la marque, en présentant à la surprise générale la SUB 200 T.GRAPH en or 18 carats, avec cadran de l’historique couleur orange, au prix de CHF 74’800 sur l’iconique bracelet «grains de riz» en or et de CHF 49’800 sur un bracelet caoutchouc orange. Du jamais-vu chez Doxa. Le stand ne désemplit pas, tout le monde veut voir ces garde-temps exceptionnels mais l’essentiel se trouve ailleurs: aux visiteurs, Doxa présente et introduit sa collection SUB 200 au prix de… CHF 950. La montre, colorée, sur bracelet caoutchouc, avec mouvement Sellita, est «cool» et vise la catégorie des «desk divers», comme les appelle Jan Edöcs.

Avec cette offre très structurée, Doxa définit précisément son territoire et n’en dérogera pas. «Doxa restera dans l’eau, si je peux m’exprimer ainsi.»

La SUB 200 n’est que le prélude au redéploiement complet de l’offre. Une offre qui se veut claire, facilement compréhensible, qui va s’échelonner rationnellement entre CHF 1’000 et un plafond de CHF 5’000, allant des modèles pour «desk divers» (car l’on sait que le pourcentage de montres de plongée réellement utilisées pour leur fonction première est marginal) aux pièces professionnelles historiques rééditées, soit la SUB 300 de 1967 et la SUB 300T de 1968, avec valve à hélium et étanche à 1’200 m. Chacune de ces collections (à l’exception de la série limitée Doxa Army) se décline identiquement en sept couleurs.

Avec cette offre très structurée, Doxa définit précisément son territoire et n’en dérogera pas. «Doxa restera dans l’eau, si je peux m’exprimer ainsi, car nous avons tant d’histoires à raconter! Le succès fulgurant de la Doxa Army, inspirée d’une montre de 1968 spécialement destinée à une unité secrète de plongeurs de l’armée suisse, et dont l’édition limitée a été épuisée en quelques heures seulement, prouve à lui seul l’attrait renouvelé pour Doxa», se réjouit Jan Edöcs.


3. DISTRIBUTION ET RÉSULTATS

Après l’état des lieux, suivi du diagnostic, vient le temps des décisions et de l’action. Si celle-ci porte en amont sur l’offre, elle va toucher aussi, dans tous les cas illustrés ici, au «nerf de la guerre», c’est-à-dire la distribution. D’elle, de sa capacité à diffuser et écouler la production dépendront in fine les résultats des stratégies mises en œuvre.


GREUBEL FORSEY

Quand Antonio Calce est nommé CEO de Greubel Forsey en août 2020, la marque distribue ses garde-temps à travers un réseau qui comprend environ 50 points de vente. Soit, pour une production de 100 montres par an, une moyenne de 2 montres par point de vente. Pas de quoi créer une émulation, ni aucune rotation. Antonio Calce va s’employer à reconfigurer drastiquement ce réseau. Aujourd’hui, ces points de vente ont été réduits à 30. Mais ce n’est qu’un premier pas car l’objectif final est de limiter la distribution à seulement 12 à 15 points de vente – sous la forme de flagships en collaboration avec les enseignes les plus réputées.

Greubel Forsey GMT Balancier Convexe
Greubel Forsey GMT Balancier Convexe

Cette drastique réduction va de pair avec une augmentation progressive des volumes de production. Au final, l’objectif est de parvenir à fournir environ 50 pièces annuellement par point de vente, de façon à pouvoir réussir à absorber de 90% à 95% d’une production qui devrait donc graduellement monter en conséquence. Idéalement, 60% à 65% de l’activité devrait être générée par la nouvelle offre et se situer entre CHF 150’000 et 250’000.

Parallèlement, un effort doit être consenti pour que la valeur de seconde main des montres Greubel Forsey se renforce de façon importante. Pour ce faire, la marque mise sur une «organisation» de la rareté et de l’exclusivité, notamment à travers les pièces les plus importantes, limitées à 11 exemplaires. Pas de quoi donc, volontairement, satisfaire la demande de tous les collectionneurs, qu’on peut estimer à 35 à 40 exemplaires par modèle.

Les premiers résultats de cette stratégie? Avec quatre lancements en 2022, dans un segment de prix un peu plus bas qu’auparavant, en y apportant une nouvelle modernité, plus de jeunesse, le pari semble porter ses premiers fruits. Selon Antonio Calce, depuis 2020, la marque a connu une progression à deux chiffres et le chiffre d’affaires a été doublé, tout comme le nombre de pièces produites, qui, cette année, a atteint 200 exemplaires, et un sell-out qui est passé à 93%.

Au final, l’objectif est de parvenir à fournir environ 50 pièces annuellement par point de vente, de façon à pouvoir réussir à absorber de 90% à 95% d’une production qui devrait donc graduellement monter en conséquence.


PARMIGIANI FLEURIER

A l’arrivée de Guido Terreni chez Parmigiani Fleurier, la marque – dont le prix moyen se situe désormais entre CHF 35’000 et 40’000 – était distribuée dans plus de 200 points de vente. Ceux-ci, drastiquement réduits, sont passés à environ 80 aujourd’hui. La sélection s’est opérée non pas exclusivement sur des questions de prestige de ces points de vente mais aussi sur des critères plus culturels et générationnels car, selon les mots de Guido Terreni, «la distribution doit savoir interagir avec le type de clientèle que nous visons à présent». Une clientèle plurielle, «transversale» dans la société, qui excède de loin les seuls collectionneurs et autres «fous d’horlogerie» mais concerne plus largement une audience raffinée, urbaine, éduquée.

Une clientèle plurielle qui excède de loin les seuls collectionneurs et autres «fous d’horlogerie» mais concerne plus largement une audience raffinée, urbaine, éduquée.

Pour l’atteindre, Guido Terreni croit «fermement dans la distribution multi-marques». La relation entre la marque et le détaillant doit être «donnant-donnant». Aucun rabais ne doit être accordé et, en échange, la marque doit offrir un potentiel de ventes régulières. La «pureté» qui est au centre de l’offre produits doit pouvoir se retrouver dans tous les aspects de la marque, y compris dans sa présentation au sein des points de vente, qui n’entend en rien être invasive mais simple comme une évidence.

Cette distribution est aujourd’hui très équilibrée entre Europe, USA, Japon ou encore Singapour et Malaisie, qui viennent d’être ouverts. Et la Chine? La marque n’y est pas présente et «pour l’instant, ce n’est pas une cible prioritaire». Les premiers résultats de cette stratégie lancée au printemps 2022? Ils sont plus qu’encourageants, à tel point que Guido Terreni explique «ne plus pouvoir suivre la demande qui a explosé. En 2022, nous avons déjà multiplié par cinq le chiffre d’affaires de 2021.»


ZENITH

Quand Julien Tornare arrive chez Zenith en mai 2017, la marque du groupe LVMH n’est pas rentable. Le bruit court alors qu’en 2016 elle aurait perdu 30 millions de francs. Fin 2017, elle n’est toujours pas rentable mais parvient presque à l’équilibre. Au cours de cette première année d’exercice, Julien Tornare et ses équipes se sont démenés. Pas moins de 434 événements ont été organisés un peu partout, 529 rendez-vous de presse ont eu lieu, et lui-même a donné plus de 50 interviews. Fin 2018, son action commence à porter ses fruits. Cette année-là, Zenith connaît une croissance «à deux chiffres» et est en train de parvenir à l’équilibre. Le développement connaît cependant quelques ratés, notamment avec le lancement très attendu de la Defy Lab équipée d’un révolutionnaire oscillateur monolithique en silicium monocristallin qui, malheureusement, fera long feu: difficilement industrialisable, contrairement aux espoirs. Mais cet épisode ne laissera pas de trace durable dans la marche en avant des affaires. Zenith va revenir sur le devant de la scène.

Le réseau de distribution a été entièrement revu, requalifié et donc nettement aminci, passant de 848 points de vente en 2017 à 590 aujourd’hui, dont une trentaine de boutiques alors qu’en 2017 il n’y en avait aucune.

La part du e-commerce, alors inexistante, représente désormais entre 7% et 8% des ventes, un chiffre complémentaire à la distribution traditionnelle mais loin d’être négligeable et qui, surtout, permet d’atteindre une clientèle éloignée des grands centres, que ce soit, par exemple, aux USA ou en Australie. Autre point important, la clientèle s’est nettement rajeunie, passant d’une moyenne d’environ 45 ans à une moyenne de 33 ans. Et petit mais pas anodin détail en passant, Zenith a renoncé à catégoriser ses montres entre masculines et féminines. Toutes s’adressent à tous et toutes.

Zenith X Voutilainen X Phillips Cal. 135-O
Zenith X Voutilainen X Phillips Cal. 135-O

Avec son offre désormais clairement étagée, chacune des quatre collections principales s’appuyant horizontalement sur des références historiques pour proposer en toute cohérence des modèles contemporains, la marque est parvenue à revenir intelligemment au centre du jeu. Après le prix du meilleur chronographe reçu au GPHG 2021 pour son contemporain Chronomaster Sport, Zenith a marqué les esprits des collectionneurs en présentant cette année une collection-capsule Heritage, composée de 10 mouvements du très rare Calibre 135-O, à l’origine destinés uniquement aux Concours de chronométrie, restaurés et décorés main par Kari Voutilainen, dont un onzième, en boîtier niobium, cadran saumon guilloché et mouvement recouvert d’or rose, vient d’être vendu aux enchères par Phillips / Bacs & Russo pour la somme très importante de CHF 315’000, dont tous les bénéfices seront reversés à la Fondation Susan G. Komen contre le cancer du sein.

Un de ces «petits cailloux» semés le long de la nouvelle trajectoire de Zenith, dont l’année 2022, avec une croissance de 35% tous marchés confondus, s’annonce «record», tant en chiffre d’affaires qu’en profit, après une très belle année 2021 qui, selon la banque Morgan Stanley, l’aurait vue enregistrer un chiffre d’affaires d’environ 112 millions de francs suisses. Autre signe, entre 2017 et 2022, le nombre d’employés de Zenith, après avoir fondu, est passé de 220 à 340 collaborateurs.

La clientèle s’est nettement rajeunie, passant d’une moyenne d’environ 45 ans à une moyenne de 33 ans.


LOUIS ERARD

Quand Manuel Emch arrive au secours de Louis Erard, la marque aux 350 références est distribuée dans 400 points de vente, uniquement auprès de détaillants B – en voie de marginalisation – ou C. La marge moyenne accordée est de 60% et il existe vingt listes de prix différentes. «Tout était concentré sur le support de vente», nous explique Manuel Emch. A l’époque, le grand marché historique est la Suisse, tandis que les USA sont quasi inexistants et la Chine absente, mais la marque est présente dans une foule de marchés de seconde importance, comme l’Albanie, la Croatie, le Kazakhstan, etc… Il n’y a rien de digital, aucun fichier presse.

Toute la distribution et son mix ont été réorganisés. Aujourd’hui, il n’y a plus que 100 partenaires dans le monde, dont des leaders prescripteurs (Cellini, The Hour Glass, Chronopassion…), de grands détaillants multi-marques, des plateformes-phare ainsi que des influenceurs. Le mélange entre physique et digital se veut parfaitement équilibré. Quatre mille montres par an, distribuées par cent partenaires, soit 40 montres par partenaire. Les marges sont unifiées mondialement: 35% sur les montres collaboratives, 40% sur les métiers d’art, 50% pour les collections standard.

Tous les représentants reçoivent exactement la même information, il n’y a aucune obligation d’achat et ils font leurs choix eux-mêmes sur les éditions limitées. «Le point de vente devient un point de marketing. L’ambition est de construire ensemble la marque et son image, insiste Manuel Emch. Comme dans l’ensemble de notre organisation, la philosophie est participative et collaborative à tous les étages.»

Le résultat de cette nouvelle stratégie? Une visibilité jamais atteinte jusque là, avec une couverture médiatique qui a explosé, un marché secondaire qui «commence à monter» et, surtout, dès 2020 la marque redevient «très profitable».

«Le point de vente devient un point de marketing. L’ambition est de construire ensemble la marque et son image.»


DOXA

Quand Jan Edöcs reprend en main la direction de Doxa, la marque, pionnière dans le digital, ne vend plus ses montres que via internet et, à quelques exceptions près, n’a plus de présence physique sur les marchés. Grand connaisseur du marché américain, Jan Edöcs va renverser la situation. Une filiale est ouverte aux USA et un accord passé avec Watches of Switzerland, qui couvre en exclusivité la distribution physique sur tout le marché américain. A terme, l’ambition est d’y ouvrir 85 à 90 magasins, avec entre un et deux détaillants au maximum par grande ville.

«Nous prenons le temps de monter pas à pas, de façon à contrôler pleinement notre distribution.»

En tout, la marque est passée de 0 à 90 points de vente, dont les USA, le Royaume-Uni, le Moyen-Orient. En 2022, Doxa a ouvert l’ensemble du Moyen-Orient avec l’inauguration, le même jour, de sa présence aux Émirats arabes unis, en Arabie Saoudite, au Koweït et à Bahreïn. L’année prochaine, ce sera au tour du Qatar. En Europe, la marque est d’ores et déjà présente en Espagne et en Allemagne. En ligne, la marque ne vend ses montres qu’à travers sa propre plateforme inaugurée en 2001.

DOXA Army
DOXA Army

«Nous pratiquons partout le même prix, que ce soit physiquement ou sur notre plateforme, insiste Jan Edöcs. Nous prenons le temps de monter pas à pas, de façon à contrôler pleinement notre distribution. Dans notre viseur, nous avons prochainement le Japon mais nous y avançons de façon raisonnable, en attendant d’avoir la structure nécessaire, nous créons d’abord le bruit… Quant à la Chine, elle viendra en dernier. Y entrer sans préalable coûterait trop cher. Il nous faut d’abord éduquer la future clientèle chinoise au monde de la plongée.»

Les résultats sont-ils là? «En 2022, nous avons déjà vendu 10’000 montres», nous répond Jan Edöcs avec un large sourire.

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