a cinquième édition des Geneva Watch Days vient de se terminer sur une note très positive, ayant réuni 52 marques participantes et près de 1’500 professionnels de l’horlogerie, dont 650 média et 250 détaillants venus du monde entier sur les berges du lac Léman. Ouvert au grand public, le Pavillon a reçu 13’800 visiteurs, soit une fréquentation en hausse de plus de 70% par rapport à l’an dernier. Cet évènement, qui avait commencé comme une simple idée pour pallier l’annulation des salons horlogers pendant la crise du covid, est en train de devenir un rendez-vous horloger incontournable en ville de Genève.
A l’origine de cette idée, on retrouve Jean-Christophe Babin, le CEO de Bvlgari et actuel président des Geneva Watch Days. En 2020, il avait réuni autour de lui cinq marques fondatrices - Bvlgari, Breitling, Ulysse Nardin, MB&F et De Bethune - autour d’une même pensée: créer un salon horloger, malgré les contraintes du covid. Pour contourner les restrictions, il a eu l’idée de mettre sur pied un événement décentralisé avec une structure très légère, laissant la responsabilité aux marques participantes de présenter leurs produits dans des suites d’hôtels, dans leurs manufactures ou dans leurs boutiques. Un pari gagnant.
Nous avons rencontré Jean-Christophe Babin pendant les présentations afin de revenir sur la genèse de l’événement et son avenir.
- Jean-Christophe Babin avec la conseillère d’Etat genevoise Delphine Bachmann durant les Geneva Watch Days
Europa Star: Comment est née l’idée de créer les Geneva Watch Days?
Jean-Christophe Babin: Elle est venue suite à l’annulation en 2020 des salons horlogers Baselworld et SIHH à cause du covid. Leurs dirigeants avaient déclaré, en les annulant, que les prochaines éditions auraient lieu en 2021. Cela créait donc un vide de deux ans sans présentation. Je me suis dit que l’horlogerie, malgré le covid, avait absolument besoin de visibilité, qu’on ne pouvait pas se passer d’un salon horloger et qu’il fallait essayer d’en tenir un tout en intégrant les contraintes du covid, qui, on l’a vu par la suite, ont eu des conséquences extrêmement positives.
Quelles sont ces conséquences positives?
Le covid nous contraignait à ne pas exposer dans un espace clos et dense. Cela nous obligeait donc à inventer un modèle qui soit décentralisé. Et seule cette décentralisation nous permettait d’ajuster la date par rapport au covid. Si l’on choisit d’exposer à Palexpo, par exemple, on doit s’en tenir à une date prédéterminée. Lorsque l’on passe des accords avec des hôtels, comme pendant les Geneva Watch Days, il est possible de s’arranger sans pénalité en cas de report de date pour des raisons externes, car cet événement est un «win-win» pour tous. Pour ceux qui choisissent d’exposer dans leur manufacture ou leur boutique, cette formule flexible est très avantageuse, car elle permet de modifier facilement la date à la dernière minute.
Comment avez-vous rallié les autres marques à votre idée?
En temps de covid, il fallait songer à un modèle qui soit financièrement extrêmement raisonnable parce que, du fait de l’épidémie, tout le monde avait perdu beaucoup d’affaires et il fallait économiser. Le format devait être décentralisé mais autogéré pour éviter les frais de gestion. Un samedi matin, j’ai appelé mes collègues CEO - Patrick Pruniaux d’Ulysse Nardin, Georges Kern de Breitling, Max Büsser de MB&F et Pierre Jacques de De Bethune - en leur exposant mon idée. Ils m’ont répondu qu’ils étaient partants. Comme ils représentaient des marques indépendantes, ils pouvaient prendre cette décision sans en référer à qui que ce soit. Bvlgari appartient à un groupe mais nous avons toujours eu la liberté de faire nos propres choix.
Dès le lundi, j’ai appelé les autorités à la fois sanitaires et économiques du canton et de la ville de Genève pour leur dire que nous voulions faire un salon horloger à la rotonde du Mont-Blanc car nous pouvions y envisager une structure montable et démontable nous permettant d’être agiles. Ils ont été extrêmement réceptifs. Ils en ont parlé pendant le Grand Conseil et quatre jours plus tard, ils sont revenus vers moi en me disant que c’était ok.
Une fois que vous avez reçu l’accord de la ville et du canton de Genève, comment avez-vous fait pour donner vie à l’événement?
Nous avons créé une association et des équipes pour s’occuper de la sécurité, du développement, du site internet, de la partie logistique, de contacter d’autres marques qui pouvaient être intéressées. Nous étions 12 marques au départ. Nous voulions que l’évènement soit ouvert au public et surtout que les coûts soient réduits. Nous avons reporté la date trois fois: le salon devait se tenir fin mai 2020 et finalement nous l’avons fait fin août. Le covid, en Suisse et en Europe, était arrivé à des niveaux acceptables et les réunions publiques étaient de nouveau permises. Nous avons organisé le salon en prenant d’extrêmes précautions sécuritaires et sanitaires. Le report n’a entraîné aucun coût supplémentaire,car dès le départ nous avions passé des accords avec les hôtels et les restaurateurs: on gagnait ensemble et on perdait ensemble. Nous nous sommes tous adaptés aux contraintes du covid.
Le retour fut positif puisque vous en êtes à la cinquième édition...
Quelques mois plus tard, le feedback des marques participantes était extraordinaire et nous avons décidé de le refaire l’année suivante. D’autres marques nous ont appelés: en 2021, nous sommes passés à une vingtaine de marques. Ce fut un succès: il y avait de plus en plus de détaillants et de journalistes, et l’événement prenait une dimension internationale. De fil en aiguille, cela a fait boule de neige jusqu’à ce que nous atteignions cette année 52 marques participantes, tout en respectant les mêmes principes fondamentaux que nous avions établis dès le premier jour: un événement autogéré, ouvert au public, accessible à toutes les marques et avec des tarifs adaptés à la réalité de chacun.
- Phillips a tenu une vente aux enchères caritative durant l’événement.
C’est-à-dire?
Il existe cinq niveaux de prix pour participer: 10’000, 20’000, 30’000, 50’000 et 90’000 CHF. Le premier prix s’applique aux petites marques qui n’ont pas encore beaucoup de ressources, tandis que le dernier est destiné aux grandes maisons comme Bvlgari ou Breitling. Cependant, quel que soit le prix payé, chaque participant bénéficie des mêmes droits: accès aux espaces communs, à toutes les activités sous le chapiteau, à l’exposition des produits, aux conférences de presse, aux symposiums, aux cocktails, et au restaurant le soir.
Ce qui reste à la charge des marques, c’est de décider où elles vont exposer et de recevoir leurs clients. Si une entreprise choisit de le faire dans sa manufacture ou dans sa boutique, le coût de l’événement frôle le zéro. Si comme Bvlgari, on choisit d’exposer dans un grand hôtel, le coût est très élevé. Cela découle de notre position en tant que grande marque horlogère et joaillière; nous souhaitons maintenir un certain standing et estimons que nous pouvons nous le permettre. C’est ainsi qu’un salon, né des contingences de la pandémie, est devenu un véritable concept innovant. À tel point que cette année les Geneva Watch Days comptent 52 marques, allant de maisons légendaires comme Breguet ou Blancpain à des entreprises institutionnelles comme Bvlgari ou Breitling, en passant par des noms émblématiques comme Daniel Roth, ainsi que de toutes jeunes marques.
C’est un événement qui offre à la fois une diversité, une convivialité, une mutualisation totalement unique dans le monde horloger, dans la mesure aussi où toutes les soirées sont multimarques. Les journalistes, les invités, les collectionneurs, peuvent rencontrer tous les patrons de marque qu’ils veulent, de façon décontractée et conviviale. Nous avons également ajouté des activités telles qu’une vente aux enchères au profit de l’Ecole d’Horlogerie de Genève, ainsi que des symposiums, etc.
- La tente principale des Geneva Watch Days. Nouveauté: une Glassbox attenante dans laquelle se tenaient tables rondes, forums et conférences.
C’est beaucoup plus qu’un salon horloger...
Oui, c’est un événement horloger avec des moments pédagogiques, culturels, des visites de manufactures et bien plus encore. Nous accueillons des collectionneurs, le public, et bien sûr, nous exposons et vendons des montres. Avec toutes les activités prévues, il est difficile de participer à tout. Le soutien initial de la ville et du canton s’est élargi à la Chambre de Commerce, à la Fondation de la Haute Horlogerie, au Grand Prix d’Horlogerie de Genève, à la Fédération horlogère suisse. Cet événement devient de plus en plus un rendez-vous incontournable et complémentaire de Watches and Wonders. Les marques participantes sont différentes en grande partie, la période aussi. Il n’y a pas de contrainte d’espace: l’an prochain, nous pourrions réunir jusqu’à 80 marques si nous le souhaitons. C’est une structure très flexible et légère, qui laisse une grande liberté à chaque marque, tout en générant une grande collégialité, sans subir l’influence de grandes marques ou de grands groupes.
- Pascal Ravessoud (FHH), Patrick Pruniaux (Girard-Perregaux, Ulysse Nardin), Jean-Christophe Babin (Bvlgari), Aurélie Streit (FHH)
Avec le départ d’Antoine Pin de Bvlgari, qui devient CEO de TAG Heuer et était le président des Geneva Watch Days, qui en a repris la présidence?
J’ai repris la présidence de l’événement, mais les décisions importantes ont été prises en 2020. Les fondamentaux sont là, ils sont bons. À l’origine, ils étaient adaptés aux circonstances sanitaires exceptionnelles. Avec le temps, nous avons constaté que le concept avait un réel potentiel. Nous avons donc décidé de le consolider et d’apporter chaque année des nouveautés pour enrichir l’événement. Notre objectif est d’attirer de plus en plus de marques, de collectionneurs, de détaillants et de journalistes.
Vous évoquez les avantages de cette structure par rapport à un salon qui se tient dans un seul lieu, mais y a-t-il des inconvénients?
Il y a un petit inconvénient qui est potentiellement climatique: comme il faut marcher d’une marque à l’autre, mieux vaut que le temps soit beau. Mais nous avons été bénis car depuis cinq ans, il a fait beau tous les ans. La majeure partie des gens y voient au contraire un avantage parce qu’ils sortent de Bvlgari, ils font 200 mètres, et ils se retrouvent chez Breitling. C’est une aération agréable. Nous sommes situés face au Jet d’eau et au Mont-Blanc: le cadre est exceptionnel! Le pavillon le soir est un enchantement. Nous nous trouvons au plus bel endroit de Genève et d’un point de vue logistique, tous les grands hôtels de Genève sont ici. Il n’est pas nécessaire de devoir se rendre dans un lieu le matin et d’en revenir le soir. Il n’y a pratiquement aucun inconvénient.
Pour une petite marque, cet événement représente une opportunité précieuse pour gagner en visibilité, crédibilité et notoriété, des aspects qu’elle aurait du mal à atteindre seule avec un investissement modeste. Ce salon enrichit le monde de l’horlogerie en offrant une diversité et une créativité qui augmentent la désirabilité des produits. Les grandes marques continuent d’innover, ce qui est excellent, mais il est également fantastique de voir de nouvelles marques émerger chaque année avec des propositions inédites. Cela dynamise le marché et ravive l’intérêt pour l’horlogerie mécanique, transformant ce qui pourrait être un achat occasionnel en une passion durable, essentielle pour le développement du secteur.
- La conférence de presse des Geneva Watch Days
Vous avez fait un preview de l’événement à Zurich cette année. Quel est l’avenir du concept: a-t-il vocation de s’exporter à Paris, à New York par exemple, un peu comme Art Basel?
Nous avons organisé un preview à Zurich parce que la Suisse alémanique est dominante à la fois démographiquement et économiquement, or l’horlogerie est vécue, à part à Schaffhouse, comme étant très romande. C’est un peu dommage parce que c’est un des secteurs les plus importants de l’économie suisse. Il était donc très important de l’impliquer. Nous avons eu de très bons retours mais c’était un événement à petite échelle. Si l’on devait s’exporter, par exemple à Shanghai, nous devrions le faire à une autre échelle, ce qui exigerait une organisation très renforcée. C’est faisable mais cela demanderait que l’on se structure plus. Or est-ce que l’on a envie de se structurer plus?
En tant que président, il serait nécessaire de nommer cinq à six personnes pour s’occuper de l’organisation de manière continue. Cela entraînerait des coûts d’entrée plus élevés, ce qui pourrait exclure les petites marques, qui ont peut-être davantage besoin d’une présence à Shanghai mais ne pourraient pas suivre financièrement. Nous préférons donc consolider ce que nous avons établi à Genève et maintenant à Zurich avant d’envisager une évolution qui exigerait une nouvelle structure. L’organisation actuelle a l’avantage d’être très légère, avec des prises de décision rapides et une atmosphère conviviale. Je ne suis pas sûr que nous puissions garder cet esprit avec une structure plus permanente.