ujourd’hui, la denrée la plus importante pour garantir la cote à long terme des créations d’une marque horlogère, sur un marché de collectionneurs-millionnaires (les «collectionnaires») où le neuf et le «secondaire» ont fusionné, est la continuité créative et stratégique, soit la cohérence et la stabilité – ce qui, à son tour, valide la valeur à laquelle une marque peut prétendre pour ses nouveautés. Bien des marques le savent, peu l’appliquent dans les faits: changements de dirigeants, de segment, de style, de communication, incohérences historiques, réactivité affolée face aux inévitables bouleversements du monde…

Quelques-uns en ont au contraire fait un dogme. La cohérence stratégique, même et peut-être justement lorsque les conditions sont adverses, garantit une forme de sérénité, ancrée sur un patrimoine fort. Bien sûr, l’adaptation est nécessaire, alors que le monde change – mais plus que dans toute autre industrie, une forme de patience et surtout de confiance est requise en horlogerie qui, après tout, n’a eu de cesse de chercher à se démarquer de la fast fashion ces trente dernières années pour s’arrimer aux rivages «intemporels» du grand luxe.

La naissance de la marque Parmigiani Fleurier, telle que présentée en 1996 dans Europa Star.

©Archives Europa Star 1996

Après un feuilleton qui a fait bruisser les coulisses pendant plusieurs années, on peut donc se réjouir d’une issue qui consacre le travail réalisé tout en mettant fin à quelques incertitudes: le pôle horloger de la Fondation de famille  Sandoz appartient désormais à… la Fondation de famille  Sandoz.

Un épilogue enfin trouvé?

Une nouvelle génération étant arrivée au pouvoir dans la fondation, une démarche avait été entreprise pour trouver un éventuel repreneur de ce pôle qui comprend un magnifique outil industriel et artisanal, sur lequel peut compter l’unique marque de cette structure, Parmigiani Fleurier (retracez dans nos archives les racines de ce pôle horloger à travers cet entretien de 2003 avec Michel Parmigiani).

Un portrait de Michel Parmigiani, d’abord restaurateur émerite avant le création de sa marque avec le soutien de la Fondation de famille  Sandoz.

©Archives Europa Star 1998

En juin dernier, la fondation émettait le communiqué suivant: «Ces dernières années, la Fondation et le management du Pôle ont été à même de développer des perspectives réalistes pour le pôle et ont su retourner une situation gravement déficitaire. L’amélioration de la santé financière du Pôle horloger et ses perspectives de développement se sont confirmées en dépit de la situation économique complexe actuelle. Les discussions de reprise ont cependant confirmé que la structure juridique historique du Pôle ne permet pas une transmission dans des conditions usuelles du marché.»

Les conditions ont de fait été particulières ces dernières années, puisque la fondation avait entrepris ces démarches de reprise de son pôle horloger au moment même où, bénéficiant de plusieurs conditions très favorables, le marché horloger connaissait un essor quasiment jamais vu dans le monde entier, avec une vague de collectionnite touchant toutes les strates de la population et tous les segments, de la MoonSwatch à la Tonda PF, entraînant également une demande accrue pour les capacités industrielles du pôle de la fondation, comme celles de Vaucher Manufacture dans le mouvement (fournissant notamment Richard Mille et Audemars Piguet) ou Atokalpa dans l’organe réglant (dont Patek Philippe et Chopard sont coactionnaires).

Rencontre avec Guido Terreni, alors tout juste installé à son poste, sur sa vision pour Parmigiani Fleurier, en 2021 dans Europa Star.

©Archives Europa Star 2021

A ce titre il est intéressant de relire l’un de nos articles sur l’activité de Jean-Noël Lefèvre, arrivé en 2019 à la tête de Vaucher Manufacture, dont Hermès est également actionnaire: le fabricant de mouvements a quadruplé ses volumes et doublé son chiffre d’affaires en quelques années.

Travail de fond

En parallèle, chez Parmigiani Fleurier, Guido Terreni, arrivé à la tête de la marque en 2021 après de longues années chez Bvlgari, soit pile au moment de cet essor, entreprenait un nécessaire travail de refonte créative des collections de la marque, autour de cette notion de «quiet luxury» qui allait devenir si recherchée, assurant, en homme de style, une forme de traduction de l’élégance «sartoriale» en horlogerie (lire notre article dédié ici).

Un périmètre bien défini, qui allait justement – pour revenir à l’introduction de cet article – assurer une grande cohérence, une grande lisibilité et donc les débuts d’une belle continuité de style et de stratégie pour la marque, qui ne s’est pas démentie depuis lors, avec une rentabilité enfin trouvée.

Guido Terreni dirige Parmigiani Fleurier depuis 2021.

Ces conditions-cadres qui ont fortement évolué, associées à des débats internes au sein d’une fondation multigénérationnelle qui comprend d’autres investissements dans le luxe, notamment dans l’hôtellerie avec notamment le Beau Rivage Palace, le Lausanne Palace et le Château d’Ouchy, auront abouti à la décision communiquée en juin.

La Tonda PF Chronographe Sport est façonnée cette année en Cermet: CER pour céramique et MET pour métal. Pour la première fois, ce matériau composite contemporain, léger et inrayable est utilisé pour façonner intègralement un garde-temps: boîtier, lunette cannelée, couronne et poussoirs et boucle de bracelet. Un modèle équipé du mouvement PF070 à haute fréquence (36’000Vph) certifié COSC, automatique à chronographe intégré.

Certes, le contexte macroéconomique s’est depuis lors fortement détérioré pour l’horlogerie suisse (droits de douanes américains, faiblesse persistante de la demande chinoise, soit de grandes incertitudes sur les deux marchés qui ont assuré son envol au 21^ème siècle), mais le travail mené en quelques années a assuré des bases beaucoup plus saines au regroupement de compétences essentielles au tissu horloger qu’est ce pôle, dont l’avenir ne concerne pas uniquement la Fondation de famille  Sandoz, mais qui voit un engagement direct des plus belles marques du circuit horloger, d’Audemars Piguet à Richard Mille et de Chopard à Hermès et Patek Philippe.

Donner une direction claire

Nous avions retrouvé Guido Terreni lors de Watches and Wonders pour évoquer les nouveautés de cette année et l’empreinte qu’il a donnée à Parmgiani Fleurier depuis son arrivée. «Nous nous adressons à un client non ostentatoire, nous avait-il dit. Nous sommes encore au début de cette histoire, que nous allons poursuivre, avec ce style caractéristique épuré, pour aller vers le très haut de gamme, vers une clientèle plus féminine également. Se raccrocher à une tradition ne doit pas être une cage: Parmigiani Fleurier l’a prouvé avant tout le monde avec le modèle Bugatti Type 370 et son axe de mouvement transversal révolutionnaire, en 2004 déjà. Ce qui est important, c’est de proposer des créations qui ont un sens et une direction clairs.»

Le nouveau modèle Tonda PF Chronographe, avec cadran Mineral Blue, mouvement manufacture intégré certifié COSC et boîtier en cier inoxydable poli et satiné avec lunette moletée en platine 950, redimensionné à 40 mm.

A 74 ans, Michel Parmigiani, celui par qui tout a commencé en 1996 (et bien avant en tant que restaurateur horloger de grand talent, légataire d’une tradition classique en des années difficiles pour l’horlogerie suisse), conserve un rôle de président honoraire. «Sans sa présence à nos côtés encore aujourd’hui, j’aurais pris plus de temps à vraiment comprendre l’âme de la marque», souligne Guido Terreni.

Loin des affichages traditionnels, L’Armoriale à répétition minute inverse les rôles: son cadran principal est dédié aux métiers rares, avec un travail en émail Grand Feu translucide, tandis que l’heure est dissimulée au dos, sur un cadran secret réservé à son propriétaire: un disque de jade blanc du Guatemala accueille des aiguilles en or rose glissant sur un affichage minimaliste

Celui-ci a démarré la refonte de Parmigiani Fleurier avec la GMT Rattrapante et la Tonda PF, suivie de la version Sport en 2023 et de la Toric en 2024. «Nous avons reconsrtruit une marque complète dans l’offre, sur un design sport-chic de raffinement, en cherchant à dessiner la montre la plus élégante possible.»

Lancée en 2021, symbole du renouveau de la marque, la collection Tonda PF est présentée dans une nouvelle version de 36 mm, avec cadran Stone Blue guilloché en motif Grain d’Orge et lunette moletée en platine 950 cerclant la boîte en acier, signature de la collection.

En 2022, Parmigiani Fleurier a introduit une première mondiale, la Tonda PF GMT Rattrapante, offrant une élégance et une fluidité inédites pour une complication GMT. Elle est présentée cette année dans une nouvelle version de 40 mm avec cadran en Verzasca Green, inspiré par les eaux cristallines et riches en minéraux de la vallée de Verzasca.

Cadran en or grené à la main, calendrier épuré avec deux compteurs co-axiaux, finitions soignées sur or: on retrouve bien dans les nouveautés de 2025 ce sens caractéristique du détail de la marque, avec le grand atout que permet une production complètement intégrée aux expertises du pôle horloger de la Fondation de famille  Sandoz. «Cette quête artisanale ne nous empêche pas ‘explorer de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux, poursuit Guido Terreni. Nous avons par exemple recours au Cermet, un matériau qui reflète la lumière de façon très puissante et renforce l’allure très luxueuse. Pour la première fois, nous proposons une montre complètement en Cermet.»

Clientèle exigeante

Les prix pratiqués par Parmigiani Fleurier sont élevés: son nouveau modèle Toric Quantième Perpétuel est proposé à 92’000 CHF en platine, 85’000 CHF en or rose. Trop? «Les marchés comprennent le travail de fond requis pour parvenir à de tels modèles, répond Guido Terreni. A vrai dire, le premier marché à l’avoir compris a été le Japon, où le raffinement esthétique et artisanal est porté aux sommets. Quand je suis arrivé en 2021, la marque comptait plus de 200 points de vente mais proposait ses modèles en consignation. Nous avons réduit ce réseau des deux tiers et rouvert des portes plus intéressantes, pour nous assurer de nous adresser aux bons clients, exigeants, matures et connaisseurs. Nous avons une centaine de points de vente dans le monde aujourd’hui.»

Et de rappeler que l’on «n’achète pas un modèle Parmigiani Fleurier par soif de reconnaissance sociale, mais pour le goût et l’élégance – soit tout ce que l’argent ne peut pas acheter, fruit d’une certaine éducation et d’un parcours horloger abouti, ce qui n’est pas non plus une question d’âge!»

Le modèle Toric Quantième Perpétuel est proposé en deux éditions limitées 50 pièces chacune, en or rose 18 carats ou en platine 950. Fidèle à sa vision minimaliste, Parmigiani Fleurier simplifie le défi esthétique que représente un quantième perpétuel grâce à une conception coaxiale ingénieuse: toutes les informations essentielles – jour et date d’une part, mois et années bissextiles d’autre part – sont harmonieusement regroupées sur deux compteurs positionnés à 4h et 8h. Cette montre rejoint la famille des calendriers Grégorien, Chinois et Musulman déjà proposés par la marque.

Au dos, les larges surfaces en or rose 18 carats font office de ponts, disposés dans une perspective géométrique pure et décorés avec la finition distinctive Côtes de Fleurier.

Au titre des défis, le principal, après des années de refonte stratégique et esthétique de la marque sur fond d’incertitudes quant à l’avenir du pôle horloger auquel elle appartient, est sans nul doute de poursuivre cette trajectoire sans perturbation. Ce qui n’est guère chose aisée, avec une conjoncture de marché qui a le potentiel de couper l’élan pris par de nombreuses marques depuis la sortie de la pandémie.

La Tonda PF Micro-Rotor Platinum Stone Blue, une édition limitée à 25 exemplaires.

«Nous devons continuer à exprimer cette créativité, à présenter la marque avec clarté auprès des clients, des détaillants et de la presse, pour renforcer notre notoriété, notre visibilité et ce qui fait notre singularité à partir du produit», estime le dirigeant. Japon, Etats-Unis et Europe sont les principaux marchés de Parmigiani Fleurier, parmi les plus anciens et traditionnels aussi pour l’horlogerie suisse.

La Tonda PF Skeleton Slate Green introduit une nouvelle dimension chromatique au squelettage, qui met en valeur l’architecture mécanique du calibre PF777.

Mais il ne s’agirait pas d’écarter d’autres marchés plus récents: «Partout, on trouve des clients très avertis, loin du bling-bling, avides de discrétion et de raffinement, qui connaissent la valeur du luxe intimiste. A vrai dire, chaque culture sait exprimer des formes de vivre non ostentatoires, qui requièrent une certaine indépendance d’esprit et de philosophie. Ces valeurs sont universelles et nous cherchons à les retranscrire à travers nos créations.»

Le chronographe Tonda PF Sport, version Sandstone, est paré d’or rose 18 ct et d’un bracelet en caoutchouc texturé Tufo, du nom de ces roches méditerranéennes à la teinte particulière.