Le marché secondaire


Watchfinder et le tournant du marché de l’occasion

PRE-OWNED

juillet 2018


Watchfinder et le tournant du marché de l'occasion

La montre d’occasion est la «Next Big Thing» pour l’industrie horlogère. Le rachat de la plateforme de montres d’occasion britannique par le groupe Richemont «légitime» un marché du pre-owned qui échappe encore largement au segment officiel et a longtemps été uniquement assimilé à l’économie parallèle. Sonnées par l’explosion de la montre de seconde main, les marques veulent reprendre le contrôle des opérations. Et y trouveront aussi une occasion en or pour revaloriser leurs (gros) stocks d’invendus. Voici la première phase.

L

e 1er juin, Richemont annonçait le rachat de 100% du site de montres d’occasion britannique Watchfinder.co.uk. Etablie il y a un peu plus de 15 ans et employant quelque 200 personnes, la plateforme s’est affirmée sous l’impulsion de son co-fondateur Stuart Hennell comme l’un des plus grands acteurs du genre pre-owned, avec plusieurs traits particuliers qui la distinguent d’autres géants du secteur comme Chrono24 ou Chronext: elle dispose de huit boutiques au Royaume-Uni et surtout d’un centre de service à Maidstone, agréé par des marques comme Omega, IWC, Cartier, Audemars Piguet et Officine Panerai. Son chiffre d’affaires dépasse les 100 millions de francs.


Online et offline, Watchfinder a réussi à susciter une forme de reconnaissance officielle de la part de marques bien établies, en plus de choisir une stratégie combinant briques et clics, le fameux «omnichannel» qui est sur toutes les lèvres de l’industrie. Cela alors même que le marché parallèle de la montre d’occasion était surtout vu comme un débouché à prix cassé pour les stocks d’invendus fournis en douce par les détaillants. Ce qu’il est... sans doute toujours! Mais cette fois coopté par les marques elles-mêmes, qui se rendent bien compte de ce dont elles peuvent en tirer. Quand on ne peut pas lutter, mieux vaut intégrer...

Watchfinder a réussi à susciter une forme de reconnaissance officielle de la part de marques bien établies, en plus de choisir une stratégie combinant briques et clics, le fameux «omnichannel».

Watchfinder et le tournant du marché de l'occasion

Le début d’une nouvelle ère

Le rachat de Watchfinder par Richemont est donc un tournant pour le marché de l’occasion, qui entre désormais dans l’orbite officielle des marques. La montre est un objet idéal pour ce type de marché, qui n’est pas près de disparaître, mais commence seulement sa croissance. En plus de collectionneurs sincères, il est également le rendez-vous d’investisseurs et de dealers semi-officiels. Pour l’industrie, il est désormais temps de «nettoyer la vitrine»... Ce n’est que le début du grand nettoyage, qui passera sans doute par force rachats et alliances.

La disruption causée par internet n’a pas tant profité à la montre neuve qu’à la montre d’occasion. Le marché officiel ne fait que valider cette nouvelle réalité.

Watchfinder et le tournant du marché de l'occasion

La planète de l’occasion est en mouvement, comme le montre l’installation récente de WatchBox en Suisse (lire ici) ou la volonté de Chrono24 de nouer des partenariats avec les marques (lire ici). Mouvement qui s’inscrit plus largement dans la vague du vintage, qui voit le vieux et le neuf ne faire plus qu’un, dans une «danse économico-sociale» entre temps long et temps court (comme nous le décrivions ici).


Plusieurs autres signaux confirment ce tournant et la légitimation progressive du marché de l’occasion en horlogerie, cooptation en vigueur depuis longtemps dans le secteur automobile. Comme le commentait Johann Rupert, le président de Richemont, lors de l’annonce du rachat de Watchfinder, il s’agit d’«un segment de l’industrie complémentaire, en croissance et encore relativement non structuré». Nouveaux éléments de langage, passant de la concurrence à la complémentarité; opportunités alors que le marché de l’occasion n’a pas connu le recul du neuf; enfin, concentration et réorganisation en vue pour ce qui ressemble pour l’heure encore largement à une «jungle digitale»...

A noter que le fils du président de Richemont, Anton Rupert Jr., a été nommé directeur de Watchfinder.

Pour l’industrie, il est désormais temps de «nettoyer la vitrine»... Ce n’est que le début d’un grand nettoyage qui passera sans doute par force rachats et alliances.

Watchfinder et le tournant du marché de l'occasion

Pre-owned ou never worn?

Si l’on «défend» volontiers le marché de l’occasion comme le paradis de collectionneurs, la réalité est qu’une majorité de montres écoulées par ce medium sont quasiment ou carrément neuves. Outre une «optimisation» de la gestion des stocks et un meilleur contrôle de son identité de marque, c’est la possibilité, aussi, de toucher d’autres clientèles qui ne mettraient jamais les pieds en boutique.

«Un segment de l’industrie complémentaire, en croissance et encore relativement non structuré», comme le présente Johann Rupert.

Au sein de Richemont, Vacheron Constantin possède déjà son service spécialisé en pre-owned (voir sur Instagram ici). Du côté d’autres grands acteurs, Georges Kern insistait récemment auprès de nos confrères de Fratello Watches sur la «nécessité urgente de structurer le marché secondaire, aujourd’hui totalement dominé par le marché gris». Chez Audemars Piguet, François-Henry Bennhamias a déjà annoncé que la marque lancerait une activité de deuxième main cette année.

Et cela concerne également les petites marques... et les médias. Max Büsser vient en effet de lancer son propre service de pre-owned, comme le décrit Pierre Maillard dans son article «Vintage d’avant-garde». Et une bonne partie des médias spécialisés en horlogerie, comme Hodinkee ou Revolution, sont en train de se muer en plateformes de vente de seconde main.

Une bonne partie des médias spécialisés en horlogerie, comme Hodinkee ou Revolution, sont en train de se muer en plateformes de vente de seconde main.

Watchfinder et le tournant du marché de l'occasion

La disruption causée par internet n’a pas tant profité à la montre neuve (bien au contraire) qu’à la montre d’occasion, revalorisée à bon prix auprès de nouvelles générations «hipstérisées». Le marché officiel ne fait que valider cette nouvelle réalité.

Cela a donc commencé par le mariage en secondes noces de la «belle» Watchfinder (qui fait aujourd’hui de Richemont l’un des plus gros revendeurs de Rolex d’occasion). Son co-fondateur Lloyd Amsdon expliquait dans un entretien au Financial Times comment il avait simplement capitalisé sur les observations faites via un premier site d’occasion lancé dans le secteur automobile: «J’y ai vu comment des Ferrari et Porsche de deuxième main étaient revendues par le réseau de concessionnaires. Les similarités avec l’horlogerie étaient nombreuses. (...) Nous avons rapidement réalisé que personne ne voulait parler d’échange [de montres]. C’est devenu le coeur de notre business.»

La grande Histoire humaine n’est souvent que recyclage... de montres comme d’idées!