a scène se passe l’an dernier, en marge du salon Watches and Wonders de Genève: Bernard Arnault, le président de LVMH, visite La Fabrique du Temps, écrin dédié à la production horlogère de Louis Vuitton, que le plus jeune de ses fils, Jean, a récemment rejointe. A l’initiative du tout puissant visiteur, la conversation s’engage sur une rare «pépite» horlogère, détenue par le groupe mais dormante: la marque Daniel Roth, du nom d’un des premiers artisans du renouveau de la scène horlogère traditionnelle suite à la crise du quartz.

Une marque dont LVMH avait héritée en 2011 suite à son acquisition de Bulgari, qui avait elle-même repris dix ans plus tôt les marques Gerald Genta et Daniel Roth.

Le soin du détail, une caractéristique de l’horlogerie de Daniel Roth que l’on retrouve sur le modèle Tourbillon Souscription qui signe le retour de la marque en scène. Toujours établi dans la Vallée de Joux, le créateur aujourd’hui septuagénaire fait office de consultant informel pour cette relance.

On ne pourra révéler tout le détail de la conversation qui suit: mais à la fin de celle-ci, la marque Daniel Roth est transférée du côté de La Fabrique du Temps Louis Vuitton. Et cela tombe bien: non seulement Jean Arnault, 24 ans, nourrit une passion sincère pour la belle horlogerie artisanale mais la manufacture horlogère de Louis Vuitton réunit les compétences nécessaires pour répondre aux exigences élevées de la production historique de Daniel Roth.

Elle le doit en grand partie à son duo de maîtres-horlogers, qui ont contribué à faire s’élever l’horlogerie Louis Vuitton vers la stratosphère des hautes complications: avec la renaissance de Daniel Roth, Enrico Barbasini et Michel Navas ont un nouveau projet à la mesure de leur goût pour l’horlogerie la plus raffinée.

Tous les ingrédients semblent ainsi réunis pour faire renaître la belle endormie, mais un élément est peut-être encore plus important que tous les autres: la volonté exprimée de respecter l’œuvre de Daniel Roth, aujourd’hui proche des 80 ans, installé sur les rives du Lac de Joux avec sa femme et son fils – en famille, ils produisent entre deux et trois pièces par an, sous un nouveau nom (lire notre portrait ici).

Il y a deux ans, nous nous rendions dans la Vallée de Joux à la rencontre de Daniel Roth: aujourd’hui, le maître-horloger produit une poignée de modèles chaque année en famille, avec sa femme et son fils, depuis son établi dans l’attique de sa maison au bord du Lac de Joux.

©Europa Star Archives

Daniel Roth dans son établi

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S’il n’occupe pas de rôle formel dans le projet, Daniel Roth tient lieu de consultant de choix pour assurer la réussite ce retour aux sources mêmes de son œuvre. L’occasion de réparer une forme d’injustice historique envers cet horloger sensible, au tempérament à la fois timide, malicieux et charmant, ce fils de vendeur de Bibles niçois devenu maître-horloger dans l’arc jurassien, qui n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’il aurait pourtant amplement méritée.

Car son œuvre est considérable: après des débuts chez Audemars Piguet, où il se prend de passion pour la montre ultra-fine, il participe activement à la renaissance de Breguet pour le compte des frères Chaumet en réimplantant en 1976 un atelier au Brassus. Durant plus d’une décennie, il contribue à remettre l’inventeur du tourbillon sur la carte de l’horlogerie contemporaine, en adaptant cette complication à la montre-bracelet. Est-ce dès lors un hasard si en 1988, lorsqu’il se met à son compte, son choix se porte sur une horlogerie ultra-fine avec le tourbillon pour marqueur technique et esthétique?

«La montre objet d’art»: la devise de Daniel Roth prédit la renaissance de l’horlogerie mécanique en tant qu’art à part entière, à laquelle il a fortement contribué. Article de 1992 dans Europa Star.

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Le début des années 1990 consacre l’âge d’or de l’horlogerie Daniel Roth. Trente ans plus tard, le nom de l’horloger fait un retour très remarqué.

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Contemporain de George Daniels, ce précurseur de la néo-horlogerie indépendante fait partie de cette génération de maîtres-horlogers amoureux de la grand tradition, résistants aux bouleversements commerciaux et technologiques des années 1980 et qui ont réinventé la montre classique pour mieux la préserver. En cela, ils ont posé les bases de la scène horlogère telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec son accent sur la légitimité patrimoniale, l’artisanat, les finitions exigeantes et l’esthétique classique.

Le tourbillon double face de Daniel Roth, celui avec qui tout a commencé, est aujourd’hui relancé dans une interprétation contemporaine, très fidèle à l’originale.

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Classique en apparence, mais avec un «twist». Et ce pas de côté, pour Daniel Roth, sera son boîtier à double ellipse reconnaissable parmi tous. En 1988, le grand détaillant londonien William Asprey lui commande un tourbillon double face mécanique avec affichage spécial des secondes, à raison de 25 exemplaires. Aujourd’hui, cette commande peut sembler «standard», alors que le tourbillon s’est imposé comme la reine des complications. Mais à l’époque, il n’en était rien: il s’agissait d’une prise de risque considérable, auprès d’un atelier qui venait tout juste de se lancer et alors que l’horlogerie mécanique commençait seulement à se reconstruire après la crise du quartz.

Grâce à cette forme de «souscription», le maître-horloger a pu financer le lancement de sa marque et de sa vision. Et c’est avec ce même tourbillon, référence 2187 (puis C187), dont l’élégante symétrie a marqué l’histoire, que la renaissance contemporaine de Daniel Roth est opérée aujourd’hui à La Fabrique du Temps. Un retour aux origines voulu comme un signe de respect au créateur à l’esthétique singulière, dont la boîte en double ellipse associe le cercle et le carré.

«Nous avons repris ce premier design de la boîte, à un détail près: les cornes, que nous avons assouplies et arrondies pour marquer cette nouvelle ère de Daniel Roth, souligne Jean Arnault, qui a passé du temps avec le créateur, dans la Vallée de Joux comme à Genève. Nous voulons respecter l’histoire, le design et l’héritage de la marque, tout en lui apportant une touche de modernité.» Ces cornes sont aussi une manière de signer cette nouvelle époque qui s’ouvre à présent, alors qu’au fil de ses reprises par différents acquéreurs à la fin des années 1990, le catalogue de la marque est devenu quelque peu diffus, avec des références encore à ce jour difficiles à classifier.

Limitée à seulement 20 exemplaires, la Tourbillon Souscription s’inspire du modèle original de 1988, tout en intégrant de subtils ajustements: le plus important d’entre eux concerne les cornes, qui ont été remodelées en un élégant arc descendant. Le cadran est fourni par Comblémine, la société d’un autre maître-horloger: Kari Voutilainen.

Le Tourbillon Souscription présenté ce printemps marque ainsi la première étape du renouveau de Daniel Roth, un maître-horloger que Jean Arnault qualifie de «héros de l’histoire horlogère, le premier à s’être véritablement lancé en indépendant». L’ancien slogan de la marque, «La montre objet d’art», pourrait d’ailleurs tout aussi bien être la devise de l’horlogerie contemporaine dans son ensemble. Mais à l’époque, cela n’était en rien une évidence…

«Quand le premier tourbillon de Daniel Roth a été présenté, cela a été un vrai choc pour nous, se souvient encore bien Enrico Barbasini, qui travaillait chez Gerald Genta à l’époque. Les finitions étaient superlatives, bien au-dessus de tout ce qui était proposé ailleurs, dans un paysage de l’horlogerie mécanique qui faisait figure de désert à ce moment. Il nous a tous pris de court.»

Le nouveau garde-temps reprend les caractéristiques principales de ce modèle révolutionnaire, dans un subtil exercice de modernisation: exécutée en or jaune traditionnel, un métal exclusif à cette édition, la boîte de la Tourbillon Souscription présente naturellement la forme d’une double ellipse. Le cadran est réalisé en or jaune massif et guilloché Clous de Paris à l’image de la montre de 1988. Il a été produit dans les ateliers de Kari Voutilainen, lui-même un grand nom de l’horlogerie indépendante, et sa typographie a été retravaillée dans un style plus épuré.

Si le modèle d’origine présentait une double face selon les vœux de William Asprey, la pièce contemporaine présente une unique face à l’avant qui lui confère une finesse de seulement 9,2 mm. Toujours minutieusement soudées à la main à la carrure du garde-temps, les cornes ont été remodelées en un élégant arc descendant afin d’optimiser l’ergonomie de l’emblématique boîte.

L’art du duo d’horlogers Michel Navas et Enrico Barbasini à La Fabrique du Temps s’exprime pleinement dans le calibre manufacture DR001, à remontage manuel et d’une généreuse réserve de marche de 80 heures, spécialement développé pour la Tourbillon Souscription. Le duo supervisera d’ailleurs personnellement la création de chaque garde-temps Daniel Roth. Ajusté au millimètre près à la boîte, le calibre DR001 est un mouvement de forme aux allures de double ellipse. Une véritable prouesse: rappelons qu’à l’époque le mouvement abrité dans le boîtier caractéristique était rond. Les formes du boîtier et du mouvement s’unissent ainsi pour la première fois.

Le niveau de finitions est à la hauteur du respect attendu pour le maître du genre qu’est Daniel Roth: le mouvement a été entièrement fini main, jusqu’aux têtes de vis à fini miroir. Parmi ses multiples ornements, le pont de la roue animant le tourbillon a été façonné en acier poli noir, tandis que le cliquet d’armage présente lui aussi un fini miroir. Un fond en or massif, frappé d’un numéro unique pour chaque montre, dissimule ce mouvement de haute voltige.

La pièce maîtresse du calibre DR001 reste naturellement son régulateur à tourbillon, qui a été spécialement conçu pour refléter la singularité du mécanisme d’origine. Chaque minute, le tourbillon effectue ainsi une révolution complète lui permettant de marquer les secondes. Sa cage abrite une trotteuse à trois bras bleuis à chaud qui se lit en tandem avec une gradation des secondes en trois zones sur le cadran – un détail signature des montres à tourbillon de la marque.

Tout comme dans la version originale de 1988, le tourbillon s’accompagne d’une caractéristique qui souligne le sens du détail de Daniel Roth: les bras de la trotteuse évoluant en fonction de chaque zone, le plus long d’entre eux nécessite une minuscule entaille dans la paroi interne de la boîte pour pouvoir se frayer un passage. Le tourbillon se pare lui aussi de subtils décors: des Côtes de Genève pour les platines latérales et une terminaison finie dépolie pour la platine sous le tourbillon.

Un portrait de Daniel Roth paru en 1991 dans Europa Star: l’horloger est alors à la tête d’un atelier réunissant les meilleurs savoir-faire de l’époque. Il participe activement à la renaissance de la montre mécanique, qui mènera in fine à la domination de la Haute Horlogerie que l’on connaît aujourd’hui.

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Le tourbillon de Daniel Roth a enfin un successeur. Archive de 1991.

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Dans son mode de fonctionnement, le nouveau projet entend aussi reproduire l’esprit d’origine de la marque. Jean Arnault veut ainsi gérer Daniel Roth «comme une start-up, une marque anti-industrielle par excellence», en rassemblant les meilleurs savoir-faire tout en s’appuyant sur les ressources de la Fabrique du Temps (où quelques guillocheuses supplémentaires sont attendues d’ici la fin de l’année). Il faut dire que la production sera extrêmement limitée: clin d’œil aux débuts de Daniel Roth, la première pièce est proposée en souscription à seulement 20 collectionneurs, pour un prix de 140’000 francs. Aussi, les acquéreurs du modèle devront-ils «souscrire» en versant un acompte lors de leur commande, puis s’acquitter du solde à la livraison de la montre début 2024.

«La réponse à l’annonce du lancement a été extraordinaire, confiait Jean Arnault quelques jours après avoir dévoilé cette initiative. Des milliers de personnes se sont manifestées.» Comme de plus en plus fréquemment en Haute Horlogerie, le défi principal ne sera donc certainement pas de trouver des acquéreurs mais de déterminer à qui accorder le droit d’acquisition… Pour cela, la marque travaillera avec quelques détaillants parmi les plus réputés, notamment ceux qui ont fait de l’horlogerie indépendante et exclusive une spécialité.

«Que ce soit dans la construction ou dans la terminaison, il n’y a aucun compromis, aucune concession, poursuit Jean Arnault. Cela reflète un certain esprit, celui du 19ème siècle pour ce qui est des finitions des composants. C’est à la fois un honneur et une responsabilité de perpétuer cet héritage. Mais nous mettons la technique au service de l’esthétique: même ce que l’on ne voit pas doit être parfaitement exécuté. Daniel Roth, c’est en quelque sorte la montre de l’horloger pour les horlogers.»

Entretien avec Daniel Roth en 1997 dans Europa Star: certains des propos tenus à l’époque résonnent presque comme des prophéties aujourd’hui... La marque était aussi passée maître dans le chronographe en acier, catégorie qui domine à présent l’imaginaire horloger. Ce qui augure de nombreuses pistes de développement pour la marque tout juste relancée.

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La suite semble être déjà bien assurée, tant le catalogue de Daniel Roth est riche de créations fondatrices de l’horlogerie contemporaine. Après son premier tourbillon, le maître-horloger avait ainsi innové dans le chronographe – autre complication-reine contemporaine – avec son 2147/C147, un chronographe à deux registres équipé du mouvement Lemania 2310, ainsi qu’une édition limitée de pièces spéciales à rattrapante munies d’un calibre Venus 179.

Mentionnons aussi son mouvement automatique 2107/C107 extra-plat, son 2127/C127 rétrograde et son calendrier perpétuel 2117/C117 (élaboré en collaboration avec un autre grand nom de la scène horlogère indépendante, Philippe Dufour), tous abrités dans la boîte aux courbes elliptiques devenue sa marque de fabrique. L’un des ses mécanismes les plus originaux, la fameuse «Papillon», lui a été inspiré par son père qui collectionnait le gracieux insecte, comme il nous le confiant lors d’une visite chez lui, dans sa paisible maison de la Vallée de Joux. Une créature qui s’apprête à reprendre enfin son vol délicat, pour le plus grand plaisir d’un autre type de collectionneurs…

CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES

Mouvement

• Calibre DR001: mouvement mécanique manuel, développé et assemblé par La Fabrique du Temps Louis Vuitton
• Tourbillon 1 minute
• Épaisseur: 4,6 mm
• 206 composants
• 80 heures de réserve de marche
• 21 600 oscillations par heure – 3Hz
• 19 rubis
• Tourbillon: ressort plat
• Cage de tourbillon: 460 mg

Boîte

• Or jaune 18 carats 3N
• Dimensions: 38,6 x 35,5 mm
• Épaisseur: 9,2 mm
• Glace saphir antireflet plate
• Étanche à 30 m
• Entre-cornes: 20 mm

Cadran

• Or jaune 18 carats 3N guilloché Clous de Paris
• Gravures DANIEL ROTH et numéro unique de la montre
• Côtes de Genève sur les platines latérales du Tourbillon
• Platine dépolie en dessous du Tourbillon

Bracelet

• Cuir de veau marron

Boucle

• Boucle ardillon en or jaune 18 carats 3N

Poids de la montre

• Environ 77,5 g