Baselworld


A l’heure du «Basel-bashing»

BASELWORLD 2018

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mars 2018


A l'heure du «Basel-bashing»

Et si on arrêtait de dramatiser? Le «Basel-bashing» a atteint des sommets. A l’ère numérique, les salons horlogers doivent tous changer de fonctionnement. Comme les médias. Comme les marques elles-mêmes. Et c’est tout à fait normal.

Y

aura-t-il un pilote pour sauver la foire de Bâle? Depuis deux ans, grosso modo depuis la réelle explosion du numérique dans l’horlogerie, qui a coïncidé avec la crise chinoise, ce qui reste comme le plus important salon du monde horloger n’a trouvé que peu de défenseurs. L’événement se serait enfoncé dans le déni, le décalage, la décrépitude. Les journalistes reçoivent depuis le début de l’année de la part de l’organisation des interviews (ou plutôt des communiqués) de grands patrons promouvant l’importance de la foire. Mais le côté propagandiste béat de l’opération a plutôt l’effet d’enfoncer le clou que de remonter l’image du salon. Ce n’est pas avec de grosses ficelles ni avec de lourds sabots qu’on séduira les adeptes du luxe à l’ère de la transparence, de l’ironie et de la lassitude face au politiquement correct.

Pourtant, j’ai envie de défendre Baselworld. Malgré l’arrogance certaine dont a fait preuve l’organisation, corollaire à la rente monopolistique dont elle a longtemps bénéficié. Malgré son approche «froide», actionnariale, d’une manifestation qui devrait justement être un point «chaud» de l’année horlogère, celui du rassemblement, nécessaire alors que tout se fait aujourd’hui à distance. Une approche qui tranche tellement avec celle de l’équipe de la Fondation de la Haute Horlogerie, la concurrente au vent en poupe, à la fois abordable, décomplexée et professionnelle.

Malgré, enfin et surtout, la mise en place d’une véritable surenchère (dans le sens premier) des prix durant la manifestation, d’un autre âge tant les modes de consommation ont changé, cruel révélateur d’un décalage... Partout, des fissures craquèlent l’édifice. Face aux taxis explosant le compteur, Uber. Face aux hôtels prohibitifs, Airbnb. Face aux additions à 300%, TripAdvisor. Face aux stands uniformisés et onéreux, des concept stores extra-muros.

Reproduction sur aquarelle datant de 1806 de la Danse des Morts de Bâle, réalisée en 1440

La frustration accumulée a été telle que la réaction n’en est que plus disproportionnée. Baselworld serait «fini», menacé de disparition définitive, complètement dépassé. Dédramatisons pour commencer la menace de disparition de la manifestation. Au moins dans les deux prochaines années (selon nos informations sur les engagements pris par les exposants les plus importants)... Laissons-lui le bénéfice du doute, l’occasion de remonter la pente. L’heure de la réaction doit en effet sonner. Car la profession a toujours besoin d’un grand moment de catharsis, de symbiose, de poignées de mains, d’effervescence. Mais différemment.

Tant qu’elle conservera sa colonne vertébrale, composée des Swatch Group, LVMH, Rolex, Patek Philippe et autres Japonais, pour les plus importants d’entre eux – la foire continuera d’attirer si ce n’est des milliers comme autrefois, du moins quelques centaines d’autres acteurs de l’écosystème. Le noyau dur est là, qui continue de le soutenir concrètement, même si c’est du bout des lèvres.

Mais proposer un stand à prix élevé ne suffit plus. Les émissaires de Baselworld ont sans doute sillonné la planète en quête de bonnes pratiques en matière de salons horlogers. Espérons qu’ils aient pris exemple sur la Dubai Watch Week, qui semble avoir elle-même bien inspiré le SIHH et son nouveau corollaire américain Watches & Wonders. C’est-à-dire: un vrai programme de réflexions et de conférences sans langue de bois, l’intégration des montres vintage prisées des fameux millenials, des espaces interactifs (et pas seulement sur le stand de Samsung)... Bref, passer par le culturel, dans le sens de ce qui fait le sel de la culture horlogère si attractive pour des millions de personnes dans le monde, pour faciliter le commercial. Et ne pas poser un simple vernis sur un stress organisationnel et financier. Le changement doit se sentir dans les tripes!

Chez Europa Star, nous aimons venir à Bâle depuis quatre générations. Nous y tenons cette année notre stand pour la 80ème année consécutive. Mon arrière-grand-père, horloger- éditeur ou éditeur-horloger (c’est selon), y tenait déjà un stand dans les années 1930. Mais comme nous autres médias, comme les marques elles-mêmes, la manifestation doit s’adapter. Car le trésor sur lequel elle était assise n’existe plus. Nous savons cette douleur inévitable à toute transition. Mais on sous-estime aussi trop souvent la résilience des acteurs de cette industrie, qui n’en sont en 2018 ni à leur dernière plongée, ni à leur dernier sursaut. Le temps dira si le prochain sursaut sera celui de Bâle...