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Roger Dubuis nous a quittés

octobre 2017


Roger Dubuis nous a quittés

Fondateur et âme horlogère de la marque qui porte son nom, Roger Dubuis est décédé vendredi 13 octobre, à l’âge de 80 ans. Hommage.

L

a dernière fois que nous avions rencontré Roger Dubuis, c’était à Bâle, devant les portes de «Baselworld». C’était toujours un grand plaisir que de croiser cet homme modeste, courtois, discret comme le sont bien des grands et vrais horlogers.

Avec un sourire un peu retenu et dubitatif, toujours à-demi mots, il nous avait dit être assez abasourdi par la démesure des stands horlogers, un « toujours plus » qui ressemblait fort à une fuite en avant qui le faisait hausser des épaules. La vanité n’était pas son fort.

Après une longue carrière chez Patek Philippe, ce n’est qu’à l’aube de la retraite, en 1995, qu’il avait « osé » lancer sa propre marque. D’emblée, la proposition avait marqué les esprits, notamment grâce à son mouvement à indication bi-rétrograde, dont il avait déposé le brevet presque 10 ans auparavant (le 3 septembre 1986 sous le No. 666.591).

Roger Dubuis nous a quittés
Roger Dubuis, Horloger Genevois (1938 - 2017), « Sympathie », Répétition Minutes, Calendrier Perpétuel Bi-Retrograde No. 06/09. Edition limitée de 9 pièces, 1998.

Associé à Carlos Dias, qui imposa un style en rupture totale avec les penchants marqués de Roger Dubuis pour le grand classicisme horloger, la marque fit figure de pionnière d’une « nouvelle » horlogerie à l’esthétique plus tapageuse (on se souvient notamment de ses montres en forme de croix suisse).

On sentit assez rapidement que Roger Dubuis était quelque peu mal à l’aise - sans bien sûr le dire - avec les penchants baroques de son doué et inventif associé portugais qui, parti « du bas de l’échelle » (il était serveur dans une pizzeria), voyait les choses en grand. En trop grand?

Dès 2001, Carlos Dias se lance dans la construction d’une manufacture totalement intégrée, préfigurant ainsi la grande vague de la verticalisation. En dix ans, la maison crée et met en production une trentaine de mouvements manufacture, labellisés pour la plupart Poinçon de Genève. Une course en avant qui prend peu à peu une allure dangereuse. En 2003, Roger Dubuis himself se retire et prend officiellement sa retraite. L’aventure, de plus en plus folle, va perdurer jusqu’au dépôt de bilan en 2008. Date à laquelle Richemont prend le relais, rachète la marque et la manufacture et découvre l’ampleur des pertes cumulées et des dépenses dispendieuses: un « jeu de l’avion » au propre comme au figuré (la maison possédait effectivement deux avions).

En 2011, Jean-Marc Pontroué, exfiltré de Montblanc, prend la direction de la maison et rappelle Roger Dubuis. Il devient ambassadeur de son propre nom - qui ne lui appartient plus - et on lui ménage au sein de la manufacture, un atelier d’où il supervisera la mise au point des mouvements les plus compliqués. Mais l’esthétique flamboyante des modèles-phares qui sont alors lancés avec fracas et l’image tapageuse, entre fric-frac de gentlemen à Monaco et chevaliers de l’Excalibur, que la marque se donne contrastent avec la pondération et la mesure qui sont les siennes.

Son infinie politesse, son humilité - comme s’il relativisait sans cesse la portée de son travail - ne cadraient que fort peu avec l’horlogerie financiarisée et mondialisée qui était devenue la règle.

Il « faisait le job », comme on dit, mais on sentait qu’il ne parvenait pas toujours à adhérer pleinement à la démesure qui avait saisi l’horlogerie et dont son nom était désormais un des représentants les plus flamboyants.

Alors, son humanité se manifestait avec timidité, colorant ses joues de rouge à l’heure des confidences.

A sa famille, à ses amis, à ses pairs horlogers de la grande tradition, nous présentons nos plus sincères condoléances. Son nom restera gravé parmi les grands horlogers. Et son souvenir en nos coeurs.