epuis les années 1980 et le succès de Blancpain, des entrepreneurs tentent de relancer des marques horlogères basées sur l’exploitation de noms anciens. Or, il apparaît extrêmement difficile de connaître un succès à long terme. De nombreuses marques ne parviennent pas à trouver leur marché et disparaissent assez rapidement, comme le souligne le résultat d’une recherche à paraître (Pierre-Yves Donzé & Harry Guhl, Luxury Brand Management and Brand Revival, Bloomsbury, parution en 2025).
Les archives d’Europa Star représentent une source majeure pour comprendre les enjeux liés à la relance de marques et les difficultés, parfois insurmontables, rencontrées par ces dernières. Je prends ici l’exemple de Léon Hatot, qui est discuté plus longuement dans l’étude précitée.
Léon Hatot est un horloger français de la première partie du 20ème siècle. Né en 1883, il est diplômé de l’École d’horlogerie de Besançon et ouvre en 1905 dans cette ville un petit atelier spécialisé dans la gravure de boîtiers de montres. En 1911, il reprend la Maison Bredillard, une petite entreprise basée à Paris et engagée dans le développement de montres et d’horloges d’art. Durant l’entre-deux-guerres, l’atelier parisien commercialise ses propres produits et fournit des joailliers de renom.
Parallèlement, à Besançon, Hatot entreprend d’intenses recherches dans deux domaines principaux: les montres automatiques et les horloges électriques. Après sa mort, en 1953, la société Léon Hatot a été poursuivie, mais elle a connu de graves difficultés financières. Elle doit alors céder ses brevets à d’autres entreprises. La maison Hatot est mentionnée dans certaines éditions d’Europa Star comme l’un de nombreux petits fabricants d’horlogerie français qui peinent à survivre, au cours des années 1970 et 1980.
- ©Archives Europa Star 1982
- ©Archives Europa Star 1986
Lorsque Swatch Group acquiert la marque, en 1999, ce sont les activités de joaillerie qui retiennent son attention. C’est la marque rêvée pour lancer une marque de montres-bijoux qui manque au portefeuille du groupe. Une société est fondée sous la direction d’Arlette-Elsa Emch.
- ©Archives Europa Star 1999
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- ©Archives Europa Star 2001
Emch avait rejoint le Swatch Group en 1992 en tant que responsable de la communication, avant d’être nommée en 1997 présidente de CK Watch. Elle a amené le Swatch Group à se lancer dans le développement de collections de bijoux pour ses différentes marques et a pris la tête d’une nouvelle société créée à cet effet en 2000, Dress Your Body (DYB).
- ©Archives Europa Star 2001
- ©Archives Europa Star 2008
Pour Léon Hatot, elle voulait une nouvelle marque de montres et de bijoux «entièrement et extrêmement féminine». Swatch Group affirme en 2004 que Léon Hatot est «la seule et unique marque de joaillerie haut de gamme exclusivement dédiée aux femmes».
- ©Archives Europa Star 2004
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- ©Archives Europa Star 2005
L’objectif était de lancer des montres joaillières inspirées de l’Art déco et de constituer un patrimoine à partir des 5’000 dessins acquis lors d’une vente aux enchères chez Christie’s. Selon Emch, «ces croquis et dessins témoignent des valeurs d’une époque où ces créations glorifiaient la féminité». Une première série de montres et de bijoux a été présentée au public en 2004.
Pendant quelques années, l’entreprise a continué à développer à la fois des bijoux artistiques à prix élevé pour renforcer la notoriété de la marque et des montres-bijoux fabriquées en plus grandes séries. La cible initiale de la marque était le segment du luxe exclusif, avec des prix d’entrée de gamme à 5’900 francs et un prix moyen de 15’000 francs.
Cependant, malgré son entrée sur le marché chinois en 2007, le succès est difficile à atteindre. Ceci amène l’entreprise à drastiquement baisser ses prix et à lancer une nouvelle collection visant un public beaucoup plus large, à l’image des modèles Heartbreaker ou La Garçonne. Il y a cependant une rupture importante avec le message premier de l’inspiration Art déco.
- ©Archives Europa Star 2008
- ©Archives Europa Star 2008
Ce repositionnement ne suffit pas à améliorer les ventes et Léon Hatot est mis en stand-by en 2009. Swatch Group a également cherché d’autres opportunités pour s’engager dans le segment des montres de joaillerie de luxe. En 2007, il a signé un accord avec Tiffany & Co. pour la production de montres sous licence. Toutefois, des désaccords ont conduit à la fin de la coopération en 2011. Deux ans plus tard, en 2013, Swatch Group a racheté Harry Winston. La marque Léon Hatot appartient toujours au Swatch Group, mais elle n’est plus exploitée.
Comment expliquer l’échec de la renaissance de Léon Hatot? Les journaux suisses ont affirmé que la crise financière mondiale avait eu un impact négatif sur les ventes de bijoux. Cependant, la crise a eu un impact très limité sur Swatch Group de manière générale. De plus, certaines marques de joaillerie, comme Piaget, ont bien résisté.
La crise n’est donc pas une raison suffisante pour expliquer l’échec de Léon Hatot. Deux autres facteurs ont joué un rôle majeur: la difficulté de lancer de nouvelles marques sur le marché très conservateur de la joaillerie et les faiblesses de la stratégie de la marque, dont l’identité a fortement varié au fil des années.
- ©Archives Europa Star 2014
- ©Archives Europa Star 2014
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