étymologie du mot provient de l’association de deux racines grecques: chronos (le temps) et grapho (l’écriture). Ecrire le temps, c’est aussi retranscrire l’histoire du monde.
A LA NAISSANCE DU CHRONOGRAPHE
Une histoire d’astronomie…
Les avancées et les progrès scientifiques de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, notamment en astronomie, en médecine, ingénierie et industrie nécessitent la mesure des fractions de seconde. Dans ce domaine comme dans d’autres, inventeurs et solutions apportées sont multiples.
- Chronographe au soixantième de seconde de Louis Moinet. Instrument à très haute fréquence: 216 000 alternances/heure, 30 hz. Échappement en rubis de Moinet. Le retour à zéro des compteurs s’effectue à l’aide d’un stylet correcteur indépendant. Au dos du chronographe, indicateur de réserve de marche, environ 30 heures. Platine supérieure signée Louis Moinet. D. 57,7 mm; ép. 9 mm.
Féru d’astronomie, l’horloger parisien Louis Moinet (1768-1853) imagine, après les essais infructueux de John Arnold, un appareil mesurant les soixantièmes de seconde qu’il nomme compteur de tierces. Celle-ci est la troisième subdivision en base 60 de l’heure après la minute et la seconde et utilisée en astronomie. Ce compteur a été réalisé avec la collaboration d’un horloger des ateliers d’Abraham Louis Breguet en 1815- 1816. De par ses performances, son ergonomie et la lisibilité de son cadran, cet instrument préfigure avec un siècle d’avance les réalisations chronométriques aux cinquantième et centième de seconde par Heuer en 1916.
Comme noté dans son Traité d’horlogerie, Louis Moinet informe que son compteur de tierces conçu à des fins astronomiques est mis à la disposition de quiconque désirerait le produire en nombre. Cette offre semble être restée sans suite. Il s’agissait pourtant bel et bien du premier chronographe.
… et une histoire de chevaux
Le Jockey Club est fondé en Angleterre en 1751. À la fin du XVIIIe siècle, la haute société anglaise découvre les compétitions, où hommes, chevaux ou chiens se disputent la victoire. Les spectateurs parient sur le vainqueur. À la même époque, les éleveurs cherchent à mesurer les performances de leurs chevaux. Le 4 novembre 1799, Ralph Gout fait breveter en Angleterre une montre-podomètre, appareil destiné à compter le nombre de pas effectués par un piéton ou un équidé en un temps donné. Accrochée à la selle d’un cheval, elle totalise le nombre de pas de la monture ou, fixée à la jambe, celui d’un marcheur. Solidaire d’une roue de voiture, elle peut en compter les rotations.
- Chronographe encreur de Nicolas Mathieu Rieussec, Paris, 1821. (Copie contemporaine) Demi-frère de Nicolas Joseph Rieussec, l’un des membres fondateurs du Jockey Club de France et de la Société d’encouragement pour l’amélioration de la race des chevaux, Nicolas Mathieu Rieussec testa l’invention de son chronographe en 1821 sur un champ de course.
Le 1er septembre 1821, Nicolas Mathieu Rieussec (1781-1866), horloger du roi, chronomètre à l’aide d’un appareil de son invention une série de compétitions de chevaux, organisée sur le Champ de Mars à Paris. Le procès-verbal de l’Académie Royale des Sciences daté du 15 octobre 1821 et signé par Antoine- Louis Breguet et Gaspard de Prony relate que Nicolas Mathieu Rieussec a présenté à cette date un «garde-temps ou compteur de chemin parcouru », dénommé «chronographe à secondes» par l’Académie. Le 9 mars 1822, il obtient pour ce dernier un brevet de cinq ans. L’appareil porte bien son nom puisqu’il dépose une goutte d’encre sur le cadran en émail au début et à la fin de chaque mesure. L’abandon du marquage à l’encre conduira au chronoscope (improprement appelé chronographe), d’abord de poche, puis bracelet.
Dès lors, l’histoire s’accélère. En Angleterre, Frédérick Louis Fatton (1812-1876), élève d’Abraham Louis Breguet et établi à Londres, obtient le 9 février 1822 un brevet (no 4645) pour un dispositif de chronographe encreur, puis le 27 septembre 1822 un deuxième pour un système à cadran fixe.
AU COURS DE SON HISTOIRE, LE CHRONOGRAPHE EST SUR TOUS LES FRONTS
Le Chronographe et l’art médical
Dès l’Antiquité, les médecins grecs, alexandrins et romains, s’aperçoivent que la vie humaine est soumise au rythme régulier du pouls. Vers 300 avant JC, Hérophile de Chalcédon découvre que le cœur en est à l’origine et élabore une méthode de comptage de ses battements et de sa cadence au moyen de la clepsydre. Au premier et au deuxième siècle de notre ère, le médecin grec Discoride souligne à son tour l’importance de la clepsydre en médecine, et Galien de Pergame s’en sert pour mesurer fièvre et pouls.
Vers la fin du Moyen Age, des médecins mécaniciens créent des horloges à indications à la fois médicales, astronomiques et astrologiques qu’ils consultent avant de pratiquer leur art. Plusieurs des premières horloges monumentales, indiquant automatiquement les signes du zodiaque et la position des planètes, sont complétées d’un tableau représentant une silhouette humaine nommée l’Aderlassmann, sur lequel sont localisés les points de saignée.
Elles fournissent, ainsi, les corrélations entre périodes de l’année et parties du corps les plus favorables à une intervention chirurgicale. Au cours de la Renaissance, Galilée recommande l’emploi du balancier pendulaire pour mesurer le rythme cardiaque et ses écarts, et construit même un instrument adapté qu’il nomme pulsilogus.
Les recherches des médecins William Harvey et Stephen Hales inaugurent l’ère de la précision de la mesure dans le domaine médical corroborant ainsi la théorie de Sir John Floyer qui stipule la mesure du pouls à l’aide d’une montre dotée d’une aiguille des secondes. A cette fin, il crée un pulsomètre de poche en 1705. Plus tard, la montre à secondes mortes représentera pour le praticien un précieux auxiliaire dans l’établissement des diagnostics. Il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que les horlogers imaginent de véritables chronographes médicaux dont l’originalité ne réside pas dans leur mécanisme mais dans la graduation de leurs cadrans. Le pulsomètre, également appelé sphygmomètre, compte le nombre de pulsations cardiaques par minute. L’asthmomètre, également appelé pneumographe, compte le nombre de respirations par minute. Ces chronographes, dont les fonctions médicales peuvent être regroupées sur le même cadran, conçus au XIXe et durant une partie du XXe siècle, ont été miniaturisés dans les années 1920 afin de pouvoir être portés au poignet.
Le Chronographe et l’ingénieur
L’activité de l’ingénieur est telle qu’elle a historiquement contraint le monde horloger à imaginer des chronographes dotés d’échelles chronométriques adaptées et qui traduisent directement le problème posé.
Ainsi, on a pu voir apparaître:
- Le tachymètre, qui marque la vitesse d’un mobile quelconque exprimée selon les unités locales en vigueur au moment de sa fabrication: miles/heure, verstes, kilomètres/ heure ou autres.
- Le télémètre, qui trouve toute son utilité dans l’art militaire mais aussi auprès des météorologues.
- Le tachoscope, indispensable au bon réglage des machines et au contrôle de la production.
- Le productomètre, qui indique directement le nombre de pièces produites en une heure.
- Le chronographe à rattrapante, aujourd’hui employé dans l’univers sportif mais qui a longtemps servi à évaluer, au cours d’une même expérience, des observations intermédiaires de durées inégales mais commençant toutes au même moment. En fonction de ses recherches, l’ingénieur a besoin d’instruments fractionnant plus ou moins la seconde.
Aussi les échelles chronométriques sont, selon les applications, généralement graduées en centièmes, cinquantièmes, vingtièmes, seizièmes, dixièmes ou cinquièmes de seconde. Dès que la montre eut atteint un degré de précision suffisant quel que soit le taux d’armage de son ressort, les cadrans ont été dotés de totaliseurs de temps mesurés allant généralement jusqu’à trente minutes. Sur les chronographes-bracelet contemporains, un second totaliseur enregistre des mesures de durée maximale de douze heures.
Toutefois, quelques rares modèles de poche ont pu enregistrer un temps mesuré jusqu’à vingt-quatre heures. La majorité de ces chronographes, alors fabriqués par des spécialistes tels notamment A. Lange & Söhne, Glashütte Original, Moser & Co., Union Glashütte, résulte des bouleversements de la technologie et de l’amélioration de la productivité, engendrés par la révolution industrielle. Ils ont grandement aidé Frédérick Winslow Taylor (1856-1915), ingénieur et économiste américain, à concevoir sa méthode scientifique d’organisation du travail.
Quelques uns des chronographes, tous développés au XIXe siècle, ont été transposés sous la forme de montres-bracelets. Expression des besoins de leur époque, certaines graduations, comme par exemple celles des chronographes Omega, rappellent des mesures d’alors: vitesse horaire des pigeons voyageurs, des tramways, hippomobiles, des chevaux au trot ou au galop, temps de développement des épreuves photographiques; d’autres restent auréolées de mystère car nombre d’applications auxquelles elles étaient destinées ont aujourd’hui disparu.
Le Chronographe et le militaire
Le temps est la base fondamentale des calculs de balistique et de l’analyse du tir des armes à feu. Si la mesure de la vitesse élevée des projectiles ne peut être chronométrée à l’aide du chronographe classique, cet instrument doté d’une échelle télémétrique a longtemps été utilisé par les artilleurs pour régler le tir des canons.
Le télémètre est un appareil servant à mesurer la distance qui sépare un observateur d’un phénomène visible et audible. Son principe repose sur la différence entre la vitesse de la lumière et la vitesse du son arbitrairement définie à trois cent trente trois mètres par seconde à une température comprise entre 5 et 10 °C. La distance indiquée sur le cadran et rapportée dans la direction indiquée par une boussole sur une carte d’État-major permet de déterminer l’emplacement du canon ennemi et éventuellement d’ajuster le tir de réponse.
Aujourd’hui, cet instrument est devenu pacifique et peut se révéler précieux à tous ceux qui, en mer ou sur terre, veulent se mettre à l’abri à l’approche de l’orage…
Le Chronographe et le scientifique
L’amélioration de la précision des observations astronomiques est due à l’horlogerie en général et au chronographe en particulier.
Jusqu’à la Renaissance, divers instruments aident à l’observation du passage des étoiles aux méridiens. L’utilisation de la lunette astronomique par Galilée à partir de 1609 révolutionne la technique des observations stellaires. Pour déterminer l’heure du passage d’une étoile dans le plan méridien (plan vertical du lieu de l’observation orienté du nord vers le sud), les astronomes utilisent, jusqu’au XIXe siècle, la méthode dite «de l’œil et de l’oreille»: après avoir lu l’heure sur leur pendule ou leur chronomètre dont le balancier bat la seconde, ils en comptent les battements, jusqu’à l’instant du passage de l’étoile au centre du champ de vision de l’appareil, l’œil rivé à leur lunette de visée.
L’invention du chronographe rend cette méthode obsolète, l’observateur n’ayant plus qu’à arrêter, manuellement d’abord, puis à l’aide d’un contact électrique, le chronoscope rapidement doté d’une bande d’enregistrement graphique. C’est grâce, notamment, à des appareils de mesure du temps de plus en plus précis que pourront être décelées certaines caractéristiques de la Terre, dont la forme imparfaitement sphérique et les variations infinitésimales de sa vitesse ont des conséquences sur la détermination de la longitude et de la latitude. La solution à ce problème, vitale pour les marins, est trouvée par l’horloger anglais John Harrison, en 1761, grâce à ses chronomètres de précision.
Un siècle plus tard, au XIXe, le chronographe doté de ses trois fonctions – mise en marche, arrêt et retour à zéro – reste un instrument sans égal pour faire le point, en mer comme sur terre. Complété de boussole, thermomètre et baromètres, il fut l’instrument par excellence des grands explorateurs.
«Aboutissement de progrès horlogers fondamentaux et point de départ de nouvelles recherches, le chronographe, par l’abandon de la piste de l’enregistrement graphique du temps, deviendra au fil des décennies un chronoscope: un temps que l’on peut regarder défiler et compter. D’abord sur une montre de poche puis sur bracelet.
Le chronographe va accompagner pas à pas la révolution industrielle jusque dans l’organisation la plus extrême du travail. Compagnon de l’ingénieur mais aussi de l’astronome, du scientifique, du médecin, de l’artilleur et de l’explorateur, aucun domaine ne lui échappe pour exprimer l’instant présent. Avec l’engouement progressif pour le temps libre, il s’immisce dans toutes les disciplines sportives individuelles ou par équipe et, au-delà de sa fonction première de mesure des temps courts, devient l’un des codes identitaires de l’homme moderne. Un homme qui après avoir maîtrisé la technique et la vitesse, croit maîtriser le temps en arrêtant et en faisant repartir un mécanisme magique, d’un beauté rare et d’une complexité qui reflète l’intelligence humaine.»
Franco Cologni, extrait de la préface Le Chronographe
Le Chronographe et le sportif
La première rencontre universitaire d’aviron entre Oxford et Cambridge se déroule en 1829. À cette occasion, les concurrents sont mesurés au quart de seconde, le balancier des chronographes battant alors à 14 400 alternances à l’heure. Dans le domaine sportif, le cinquième de seconde (18 000 alternances à l’heure) restera longtemps considéré comme étant l’unité la plus basse compatible avec les temps de réaction nécessaires à un chronométreur humain pour mettre en route et arrêter son chronographe.
Aujourd’hui, l’échelle tachymétrique circulaire indique des vitesses généralement comprises entre soixante et quatre cents. Mais la forme en spirale portée sur les montres-bracelets les plus actuelles permet de porter la plage des mesures de vingt à mille kilomètres/ heure.
En 1912, les Jeux Olympiques de Stockholm expérimentent des compteurs photographiques capables de distinguer le dixième de seconde. Le centième de seconde est utilisé en 1924 lors des Jeux Olympiques de Paris. Toutefois, la Fédération Internationale d’Athlétisme amateur, considérant que l’œil humain doit continuer à distinguer le gagnant, refusera de reconnaître la validité de ces résultats. Aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, les chronoscopes manuels sont abandonnés au profit de procédés photographiques et électriques. Toutefois, à partir de 1892 et peut-être même antérieurement, certaines compétitions sportives sont mesurées à l’aide de chronographes à déclenchement électrique, pour lesquels Mathias Hipp (1813- 1893) fait figure de pionnier. Avec eux, débute une autre histoire car leur performance commence là où la technique de l’horlogerie mécanique a atteint ses limites.