omment faire vivre les archives et... vivre des archives?
Vacheron Constantin a élaboré une formule inédite: via sa ligne des Collectionneurs, la marque rachète, restaure et revend ses propres garde-temps vintage – datant d’avant 1970. Un compte Instagram dédié, @thehourlounge, a même été établi dans ce but, la maison ayant bien saisi que les réseaux sociaux étaient aujourd’hui le premier vecteur d’information – voire de vente – en ce qui concerne les modèles d’antan.
- Christian Selmoni, directeur Style et Patrimoine chez Vacheron Constantin
«Une maison classique comme la nôtre se nourrit naturellement d’éléments du passé, souligne Christian Selmoni, directeur Style et Patrimoine chez Vacheron Constantin. Notre entreprise a aujourd’hui 263 ans d’histoire continue et documentée. Il y a une constance dans le style: cette conscience provient des archives qui représentent pour nous une mine d’or à plus d’un titre.»
Les archives de la marque équivalent à 420 mètres linéaires de papier, soit 4 millions de pages, et 200’000 lettres de correspondance. Sa collection privée comprend 1’500 pièces horlogères depuis le 18ème siècle. Une petite dizaine d’«enquêteurs» sont employés par Vacheron Constantin pour entretenir, préserver, sauvegarder et ultimement numériser ce vaste corpus – un travail de longue haleine: la marque en est à l’heure actuelle à environ 10% de numérisation du total de ses archives.
- Montre de poche à répétition à quarts datée 1812, or rose 18 carats, lunette cannelée, boîtiers et boîtiers guillochés, centre et dos gravés, cadran en émail. Collection privée Vacheron Constantin.
Le pouvoir du vintage sur les réseaux sociaux
«Nos documents remontent jusqu’à la première montre fabriquée et vendue, précise Christian Selmoni. Les archives ont de nombreuses utilités, qu’il s’agisse de présenter notre héritage aux clients ou d’entretenir et de restaurer des pièces à leur intention.» Vacheron Constantin offre aujourd’hui une garantie de deux ans sur les modèles de la série des Collectionneurs, qui sont proposés dans son réseau de boutiques lors d’événements dédiés. Toutes les pièces sont accompagnées de documents attestant de l’origine et de l’histoire de la montre, provenant directement du travail effectué par le département du patrimoine. Des documents qui, en lien avec les équipes du service après-vente, permettent aussi de refaire ex nihilo des composants disparus ou trop altérés.
- Une montre-bracelet Vacheron Constantin de 1921.
«La clientèle pour ce genre de produits est vraiment globale, souligne Christian Selmoni. Nous venons par exemple de vendre à un client coréen, via Instagram, une montre de poche datant de 1924 qui servait au chronométrage de courses de chevaux.»
Vacheron Constantin choisit donc internaliser la revente de ses garde-temps historiques. Une forme de contrôle direct sur son héritage, qui aujourd’hui fait des émules. A travers son service Patrimoine créé en 2016, F.P. Journe rachète, restaure et revend également ses montres anciennes. On peut d’ailleurs voir très précisément sur son site les modèles que l’horloger recherche. Même une marque aussi contemporaine que MB&F, fondée en 2005, restaure depuis cette année elle-même ses propres productions «anciennes» (façon de parler). D’autres maisons vont sans doute suivre le mouvement. Au sein du groupe Richemont, qui vient de racheter la plateforme de vente de montres d’occasion Watchfinder, Vacheron Constantin est en effet pour l’heure la seule maison qui réalise ce travail.
- Les ateliers de la société en 1900
Montée en puissance des archivistes
Le département des archives joue également un rôle de garant dans la légitimité des rééditions, réinterprétations et relances de modèles historiques, comme c’est le cas cette année autour de la collection Fiftysix, dont le nom trahit bien les origines... Les catalogues de 1956 sont d’ailleurs mis à disposition par les archives de la marque pour accompagner le lancement du modèle sur les marchés. «Il arrive aussi que nous mettions notre veto sur certains développements en cours, précise Christian Selmoni. Depuis quelques années, notre rôle a vraiment gagné en puissance au sein de la maison. Le patrimoine est passé du statut de simple prestataire de services à véritable outil de vente, de promotion et de communication.»
Avec des travaux aussi aboutis sur son héritage, pourquoi ne pas ouvrir un musée? Le concurrent direct Patek Philippe a établi ce qui est sans doute aujourd’hui la référence muséale mondiale dans la capitale globale de l’horlogerie – et qui s’impose d’autant plus que le Musée d’horlogerie de Genève a fermé en 2002 suite à un grave cambriolage. «Ouvrir un musée n’est pas si évident, répond Christian Selmoni. De nombreuses questions légales se posent. Nous optons plutôt pour un redéploiement des visites de notre site à Plan-les-Ouates en incluant le patrimoine. Nous sommes aussi en train de développer des solutions innovantes en collaboration avec l’EPFL pour créer des expériences en trois dimensions autour de nos archives et de notre collection privée.»
La bataille de l’archive ne fait que commencer!