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1950-2020: les voix de chaque décennie

ÉDITORIAL

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janvier 2020


1950-2020: les voix de chaque décennie

Alors que des vœux s’imposent en 2020, un exercice était tentant: observer ce qu’ont donc bien pu écrire mes prédécesseurs au moment d’entrer dans chaque nouvelle décennie depuis 1950. Un retour en arrière qui est désormais grandement facilité par la numérisation de nos archives*. Quels messages souhaitaient-ils donner à leurs lecteurs? Que peut-on en retenir? En voici les traits saillants, qui reflètent bien l’esprit de chaque décennie. Leurs écrits restent remarquablement pertinents, alors que, on le sait, «on est toujours plus intelligent après»…

1950-2020: les voix de chaque décennie

1950 L’immédiat après-guerre. Publiées en premier lieu «afin de diffuser des informations sur l’horlogerie, la bijouterie et les métiers et industries apparentés», nos revues embrassent également un objectif plus large et plus ambitieux. L’éditorialiste exprime en effet la conviction que «par l’échange de biens et de services par-delà les mers et les frontières, les hommes et les femmes peuvent s’entraider et aider les nations à vivre ensemble dans la paix et une prospérité croissante». Avec le retour au calme, le commerce reprend son cours (ou vice versa).
1950-2020: les voix de chaque décennie

1960 Dans cet effort de reconstruction de l’après-guerre, la constitution d’un marché commun européen résonne comme une perspective alléchante pour la branche horlogère. «L’apparition de cette étoile dans la constellation européenne marque le début d’une ère nouvelle»: ainsi commence le premier éditorial de la décennie. Et de poursuivre: «L’’Europe toute entière, à en croire les Américains, se trouve au seuil de la plus forte expansion de son histoire. Ces perspectives sont celles d’un vaste marché de 300 millions de consommateurs au pouvoir d’achat de plus en plus élevé.»
1950-2020: les voix de chaque décennie

1970 La montre électronique débarque. Et avec cette révolution technologique survient l’une des plus grandes crises transformatrices de l’industrie. «Ceux qui, il y a quelques années seulement, ne croyaient pas en l’avenir de la montre électronique ont dû se rendre à l’évidence que dans l’industrie horlogère comme dans tout autre domaine, la roue du progrès ne peut être arrêtée.»
1950-2020: les voix de chaque décennie

1980 Un choc visuel d’abord, avec la couleur qui s’impose de plus en plus dans les publications. Et surtout, la ferme croyance que malgré la «situation difficile sur les marchés mondiaux des métaux précieux», l’horlogerie suisse peut elle aussi reprendre des couleurs. Un accroissement sensible de visiteurs de la branche est ainsi observé lors de l’édition 1980 de la Foire de Bâle. «Aux dernières nouvelles, on parle d’une internationalisation complète de la foire. Verrons-nous déjà en 1981 des exposants japonais?» La Suisse n’est plus le seul poumon horloger mondial.
1950-2020: les voix de chaque décennie

1990 Dans son éditorial, Valentin Philibert s’intéresse à un produit quelque peu sorti des radars face à la montre-bracelet: la bonne vieille horloge. Et de souligner la différence qui se creuse «entre les horloges banales et bas de gamme produites par la plupart des concurrents étrangers (à quelques exceptions près), et les créations suisses». Avec la «hausse du niveau de vie de la plupart des pays importateurs et pour autant qu’ils restent de véritables objets d’art», les produits suisses peuvent justifier «leur prix relativement élevé». De moins en moins de volumes, de plus en plus de valeur: le futur de l’horlogerie suisse se dessine. Cette tendance se poursuit de nos jours.
1950-2020: les voix de chaque décennie

2000 Une grande édition spéciale avec une rétrospective des montres les plus importantes du 20ème siècle et un éditorial signé Pierre Maillard. Celui-ci s’interroge sur les mystères de la notion même de Temps, au cœur de la branche chargée de le mesurer: «En entrant dans le nouveau millénaire, nous devons comprendre que l’an 2000 n’est qu’une illusion, une invention d’un calendrier humain, une ligne de démarcation arbitraire.»
1950-2020: les voix de chaque décennie

2010 «Les horlogers ont-ils retenu quelque chose?», se demande Pierre Maillard dans son éditorial qui ouvrait la décennie tout juste achevée. Le monde horloger faisait alors encore directement les frais de la crise financière. «De plus en plus déconnecté de la réalité», le monde financier ne semble «avoir tiré aucune leçon de cette crise dévastatrice» et prêt à s’engager dans une nouvelle bulle. Les horlogers sauront-ils se montrer plus vertueux que les banquiers? Le risque est bien de «s’éloigner de ce qui se passe dans le monde réel». Le prix moyen des montres présentées au Grand Prix d’Horlogerie de Genève cette année-là ne suscite guère l’optimisme quant à un retour au réel: 236’800 CHF. Un éditorial prémonitoire du difficile rappel à la réalité qui semble rattraper la branche depuis cinq ans…

2020 Et maintenant, alors que nous entrons dans cette nouvelle décennie, notre message est simple: construisons ensemble une communauté horlogère mondiale basée sur une passion authentique, humaine, et des valeurs communes. L’industrie se fragmente. Les visionnaires disparaissent. La boussole semble avoir été perdue. Comme l’ont montré les voix de mes prédécesseurs, l’individualisme de court terme ne peut pas constituer une base solide pour bâtir l’avenir d’un objet qui fascine tant de personnes en Suisse et dans le monde.

*Pour accéder à 100’000 pages d’archives Europa Star depuis 1950, rendez-vous sur www.europastar.com/club