innovation technologique n’est pas toujours visible au porteur de la montre. Elle se cache bien souvent dans des mécanismes complexes, se coule dans des alliages, transforme des modes de production. Mais en ce qui concerne la nouvelle aiguille à longueur variable de la Reine de Naples Coeur 9825, elle est là, sous nos yeux, gracieuse et étonnante.
Sans doute qu’en horlogerie la forme ovale a toujours été minoritaire à cause de l’impossibilité géométrique de faire coïncider aiguilles des minutes et pourtour intérieur d’un boîtier de forme. Pour y parvenir, la clé réside bien évidemment dans la flexibilité des aiguilles qui devraient varier leur longueur pour pouvoir adapter leur course à la forme ovoïde de la montre.
Des solutions pour y parvenir existent. On en connaît quelques rares, et on pense notamment à l’Ovale Pantographe de Parmigiani Fleurier. Une solution inspirée d’une montre de poche ovale de Vardon et Stedmann, restaurée chez Parmigiani Fleurier. Sa flexibilité repose sur le principe du pantographe, soit deux aiguilles télescopiques montées en parallélogramme qui suivent dans leur déplacement la forme elliptique du cadran. La construction affiche finement sa mécanique inspirée des travaux d’un certain Gustave Eiffel.
La solution développée par Breguet pour sa belle ovale Reine de Naples est tout autre. Sa flexibilité joue sur la souplesse et l’élasticité plutôt que sur l’articulation d’éléments rigides.
En horlogerie la forme ovale a toujours été minoritaire à cause de l’impossibilité géométrique de faire coïncider aiguilles des minutes et pourtour intérieur d’un boîtier de forme. Mais des solutions pour y parvenir existent.
Le coeur de la Reine
Au-delà de l’aspect scientifique et technique qui se cache derrière l’aiguille des minutes de la Reine de Naples, force est de commencer par admirer la beauté et la finesse que cette aiguille flexible apporte à cette montre née ovoïde, inspirée de ce que l’on pense être la première montre destinée à être portée au poignet, en l’occurrence celui de la Reine de Naples. Indiquer les minutes qui passent par un coeur léger qui enfle et se replie est une belle réussite poétique aussi bien qu’une performance horlogère.
Mais derrière ce coeur, il y a une batterie de «chirurgiens» qui ont conjugué concepts, calculs, recherche en matériaux, tests, prototypes pour que la minute respire en suivant exactement l’ovale de la montre.
Guidages flexibles
A la base de la réflexion théorique, on retrouve ces fameux guidages flexibles (théorisés notamment par Simon Henein dès 2001, aujourd’hui à la tête de l’Instant-Lab de l’EPFL) dont les développements ont donné lieu à nombre de récentes innovations, notamment dans la régulation. Ces guidages flexibles ont introduit tout un nouveau champ dans la mécanique horlogère.
Appliqués ici à une aiguille à longueur variable, ils apportent une solution esthétique, visible, à un problème technique.
L’aiguille est réalisée par procédé LIGA dans un alliage en nickel-phosphore, un matériau stable et résistant, retenu pour sa souplesse et sa limite d’élasticité élevée. Elle est composée d’une pointe en forme de coeur, reliée à deux lames comportant chacune une partie flexible, une partie rigide et un canon. Le tout est extrêmement fin, les parties flexibles ayant l’épaisseur d’un demi-cheveu.
En montant l’aiguille sur le mouvement, ses deux canons sont superposés l’un sur l’autre sur le même axe et sont actionnés par deux chaussées co-axiales. L’aiguille ne tourne pas. Elle ne fait «que» changer de forme et de longueur par une rotation identique de chaque bras mais de sens opposé. Elle peut passer ainsi d’une longueur minimale de 7,7 mm à une longueur maximale de 16,8 mm. Un principe d’aiguille variable désormais breveté.
L’aiguille est composée d’une pointe en forme de coeur, reliée à deux lames comportant chacune une partie flexible (de l’épaisseur d’un demi-cheveu), une partie rigide et un canon.
Mise en mouvement
L’aiguille est en soi flexible, mais encore faut-il la mettre en mouvement. Toute la complexité de la recherche se trouve là. Pour actionner l’aiguille et modifier sa forme et sa longueur, chaque bras doit pouvoir être actionné indépendamment. Le mouvement de base, via la chaussée, entraîne le système d’actionnement de l’aiguille en actionnant la rotation d’un angle défini. Le mécanisme d’une planche additionnelle convertit l’angle d’entrée en une rotation du canon droit de l’aiguille et une autre rotation du canon gauche.
On vous épargne la complexité des calculs nécessaires pour parvenir à l’exactitude de l’indication, calculs qui dépendent à la fois des propriétés de déformation de l’aiguille elle-même et de la variation de la longueur souhaitée qui dépend de la courbe de la forme ovoïde du cadran. En plus du calcul de cette équation, il faut évaluer aussi la vitesse de rotation non constante des canons de l’aiguille.
- L’aiguille des minutes (indiquée par le coeur) passe ainsi de 60 minutes à 20 minutes. Le parcours accompli par le bras droit et le bras gauche diffèrent (flèche verte et flèche rouge).
Le mécanisme d’actionnement
Les ingénieurs et horlogers de Breguet ont étudié plusieurs types possibles d’actionnement de l’aiguille. Une des pistes développées jusqu’à un prototype testé et fonctionnel a été de travailler à partir d’un double train de rouages de forme. Mais bien que ce prototype ait rempli son cahier des charges, offrant un fonctionnement simple, robuste et précis, cette piste (qui fait l’objet d’une demande de brevet) a été écartée du fait des limitations intrinsèques aux rouages de forme: une «modulation des déplacements angulaires des bras de l’aiguille» soumise à des variations trop abruptes nécessiterait des rouages dont la «non-circularité» serait trop extrême.
Autre problème: une telle construction de rouages de forme n’est pas facilement modifiable ou adaptable. Pour l’entraîner, «le système repose sur un support tournant, solidaire de la chaussée (ndlr le pignon qui commande la minuterie) du mouvement de base». Ce support entraîne à chacune de ses rotations deux chaussées solidaires des deux bras de l’aiguille. Elles interagissent avec un satellite qui porte un palpeur. Ce palpeur est lui-même en interaction avec la came, seul élément fixe de l’ensemble.
L’aiguille ne tourne pas. Elle ne fait «que» changer de forme et de longueur par une rotation identique de chaque bras mais de sens opposé. Elle peut passer ainsi d’une longueur minimale de 7,7 mm à une longueur maximale de 16,8 mm.
- Cadran du prototype avec actionnement par rouages de forme. On constate que l’aiguille accomplit une trajectoire non circulaire mais qui n’épouse pas la périphérie du cadran. Fort de ces enseignements, le mode d’actionnement de l’aiguille à longueur variable qui sera retenu est celui d’un actionnement à came qui va permettre de suivre précisément la périphérie ovoïde du cadran. Pour y parvenir, l’aiguille devra être plus grande et lors de leur trajectoire le ratio entre la longueur des deux bras devra atteindre une valeur proche de 2.2, ce qui «dépasse les possibilités techniques des rouages de forme», cantonnés à un ratio de 1.6.
Détailler le fonctionnement précis du mécanisme, qui doit varier entre les angles respectifs des deux bras de la souple aiguille «à longueur variable», prendrait trop de place dans le cadre de cet article, entre calculs d’angle de rotation, pivotement du satellite, interactions avec la came. L’aiguille est en permanence sous tension et maintient le palpeur contre la came. (Pour plus de détails, nous vous renvoyons aux Actes de la Journée d’Étude 2021 de la Société Suisse de Chronométrie SSC)
Simple et robuste, composé de peu d’éléments, capable de répondre à des modifications de design en changeant uniquement la géométrie de la came, d’un assemblage «relativement aisé», ce système a passé tous les tests d’homologation pour une validation finale. Il fait l’objet du dépôt de deux brevets. Pour cette recherche, Breguet a collaboré avec Nivarox, Asulab et ETA, toutes entreprises du Swatch Group.
Mais au résultat, c’est avant tout la délicate grâce de cette aiguille à nulle autre pareille qui retiendra l’admiration voire l’émotion. Comme quoi, l’innovation technologique peut aussi produire de la poésie.