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Stephen McDonnell, le bon génie du calibre de MB&F

PORTRAIT

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janvier 2023


Stephen McDonnell, le bon génie du calibre de MB&F

Consacrée l’an dernier par l’Aiguille d’or du Grand Prix d’Horlogerie de Genève, la LM Sequential EVO de MB&F offre une vision totalement neuve du chronographe. Nous avons voulu en connaître la genèse et le fonctionnement en rencontrant le créateur du vingtième calibre de la marque et «Friend» de longue date, l’horloger nord-irlandais Stephen McDonnell.

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B&F produit des «machines» horlogères différentes et originales depuis 2005. La marque, largement plébiscitée par les amateurs de belle horlogerie depuis sa création, a aussi été récompensée par de nombreux prix lors du Grand Prix d’Horlogerie de Genève, cérémonie incontournable du monde horloger.

Pas moins de sept prix lui ont ainsi été décernés: deux en 2021, pour la LMX en tant que meilleure montre à complication pour Homme et la LM SE Eddy Jaquet Tour du Monde en 80 jours dans la catégorie Métiers d’arts; en 2019, le Prix de la complication pour Dame a été décerné à la LM FlyingT; en 2016, la Legacy Machine Perpetual a obtenu le Prix de la montre calendrier; en 2012, la Legacy Machine N°1 a été doublement récompensée avec le Prix du public et le Prix de la montre Homme, tandis qu’en 2010, la HM4 Thunderbolt avait remporté le Prix de la montre design.

Il ne manquait à MB&F que la récompense ultime, la fameuse et très convoitée Aiguille d’or. C’est désormais chose faite avec la LM Sequential EVO primée l’an dernier!

Comment la montre est-elle née? Quelles ont été les difficultés surmontées? En quoi ce double chronographe est-il une amélioration horlogère – et à quoi sert-il? Stephen McDonnell nous éclaire avec passion et authenticité.

Il ne manquait à MB&F que la récompense ultime, la fameuse et très convoitée Aiguille d’or. C’est désormais chose faite avec la LM Sequential EVO primée l’an dernier!

Installé à Belfast en Irlande du Nord, Stephen McDonnell a passé 14 ans en Suisse où il s'est formé au WOSTEP, avant de retourner sur sa terre natale où il opère depuis son atelier indépendant. Il est notamment reconnu pour sa collaboration de longue date avec MB&F.
Installé à Belfast en Irlande du Nord, Stephen McDonnell a passé 14 ans en Suisse où il s’est formé au WOSTEP, avant de retourner sur sa terre natale où il opère depuis son atelier indépendant. Il est notamment reconnu pour sa collaboration de longue date avec MB&F.

Petits défis entre amis

L’horloger d’Irlande du Nord est installé bien loin de l’écosystème suisse mais il n’en reste pas moins un habitué des défis micro-mécaniques. C’est lui qui mène bien souvent MB&F vers de nouvelles contrées techniques, qui semblaient pourtant avoir été écartées par la marque. En 2015, il invente par exemple la LM Perpetual alors que Max Büsser, le fondateur de la marque, surnommait les calendriers perpétuels des «boomerangs» car ceux-ci reviennent souvent dans les ateliers peu après leur lancement, par manque de fiabilité. Le chronographe faisait lui aussi partie de ces catégories évincées par la marque: Max Büsser ne souhaitait en effet pas d’aiguille des secondes dans ses créations. Mais l’histoire en a voulu autrement…

Le calibre imaginé par Stephen McDonnell, passionné de course automobile, associe des fonctions qui n'étaient jusque-là permises que par la juxtaposition de plusieurs chronographes.
Le calibre imaginé par Stephen McDonnell, passionné de course automobile, associe des fonctions qui n’étaient jusque-là permises que par la juxtaposition de plusieurs chronographes.

Petit retour en arrière, à la Dubai Watch Week en 2016. MB&F vient tout juste d’être récompensé pour la LM Perpetual et Max Büsser a fait l’acquisition aux enchères d’une montre de poche Tiffany & Co. à chronographe à rattrapante. Il la présente avec enthousiasme à son «Friend» Stephen McDonnell. Lequel lui rétorque: «C’est pas mal, mais tellement limité en terme de chronométrie.» Un peu déçu, le fondateur de MB&F lui répond du tac au tac: «Tu peux faire mieux?» De son regard malicieux, l’horloger émérite lui fait comprendre qu’il y pense depuis longtemps. Le projet démarre ainsi: MB&F fera un chronographe… mais il sera différent.

«Tu peux faire mieux?» De son regard malicieux, l’horloger émérite lui fait comprendre qu’il y pense depuis longtemps. Le projet démarre ainsi: MB&F fera un chronographe… mais il sera différent.

D’où vient donc l’idée qui mènera à la Sequential? Stephen McDonnell est passionné de course automobile, ou plus précisément, comme il le souligne, «de l’arrivée de la chronométrie dans la course. J’ai toujours adoré l’idée de mesurer le temps de chaque tour. Mais avec les seules fonctions start-stop-reset d’un chronographe traditionnel, il est impossible de le faire instantanément. Au début de la chronométrie sportive, Longines, Omega ou Heuer ont contourné le problème en montant plusieurs chronos dans un cadre avec un déclencheur simultané. Ma volonté était d’intégrer cette fonction dans une seule montre, sinon il faudrait porter plusieurs chronos au bras et plusieurs mains pour les actionner en même temps.»

Un double chronographe

Le premier défi à relever était celui de tout chronographe à remontage manuel, qui ne dispose que d’une source d’énergie, celle de son barillet. «Dans un chronographe conventionnel, le déclenchement «start» entraine une perte d’amplitude d’oscillation de 20 à 30° avec un effet direct sur la précision chronométrique globale, souligne l’horloger. Je voulais éliminer ce paradoxe qui voit la précision baisser avec un chronographe enclenché. Ajouter un deuxième chronographe n’aurait fait que doubler la perte d’énergie, la rendant alors totalement inacceptable.»

Stephen McDonnell imagine alors une nouvelle construction pour résoudre cet épineux problème: ainsi naît le premier embrayage vertical empierré! «D’habitude, les pierres censées atténuer la friction sont simplement «chassées» dans les ponts de la platine (souvent en laiton), précise-t-il. Pour la LM Sequential EVO, il fallait les fixer directement autour des pignons en acier trempé. Le sertissage joaillier s’est révélé la meilleure solution pour y arriver. J’ai alors pu constater qu’aucun changement d’amplitude ne se manifestait. Cela a été la clé du projet!»

Le calibre de la LM Sequential EVO de MB&F
Le calibre de la LM Sequential EVO de MB&F

Mais ce ne fut pas le seul écueil dans cette entreprise de longue haleine. Stephen McDonnell développe: «Contrairement à l’architecture traditionnelle d’un chronographe où la distance entre l’axe des secondes et des minutes est très petite, la Sequential déploie ses deux compteurs des minutes sur le haut du cadran, loin de ceux des secondes. Cet éloignement entraîne une potentielle perte d’énergie importante. En outre, la grosse chute d’énergie du déclenchement des chronographes par le sautoir (ressort) traditionnel rendait l’équation très complexe. La solution que j’ai trouvée a été l’utilisation de deux grandes roues sans sautoir.»

«Il n’y a pas eu de moment «eurêka» mais un travail par essais et erreurs pour arriver aux deux larges roues très fines, ajourées, en titane, divisant l’inertie par sept par rapport au premier prototype.»

Mais une mauvaise surprise l’attendait. Il laissa tourner son premier prototype une nuit entière… pour constater que les chronographes avaient gagné 10 minutes sur le mouvement de base! L’inertie des roues influait en effet sur les embrayages et désynchronisait la montre. La solution résidait dans le renforcement des embrayages et la baisse du poids des grandes roues. «Il n’y a pas eu de moment «eurêka» cette fois-ci – contrairement à la LM Perpetual – mais un travail par essais et erreurs pour arriver aux deux larges roues très fines, ajourées, en titane, divisant l’inertie par sept par rapport au premier prototype», souligne l’horloger.

Stephen McDonnell, le bon génie du calibre de MB&F

Une présentation du «Twinverter»

Ce vingtième calibre de la marque intègre donc, dans un mouvement unique, deux chronographes à roues à colonnes, ainsi qu’un commutateur binaire révolutionnaire baptisé «Twinverter». Stephen McDonnell en précise le fonctionnement: «Chaque chronographe dispose de ses deux boutons poussoirs indépendants (start-stop et reset) et peut être actionné séparément. Le Twinverter est actionné par le cinquième poussoir situé à 9h. Comme son nom le suggère, il inverse l’état des deux chronographes simultanément et instantanément. Les deux à l’arrêt démarrent; les deux en marche s’arrêtent; l’un enclenché, l’autre à l’arrêt, s’inversent. Il permet ainsi de multiples modes de chronométrage – dont les modes rattrapante et compteur de tours — une combinaison inédite dans un chronographe.»

De fait, la prise en main est d’une facilité déconcertante. Mesurer les temps au tour devient un jeu d’enfant avec une seule manipulation à chaque fois, le temps de noter le tour puis de remettre le chronographe à zéro.

Stephen McDonnell, le bon génie du calibre de MB&F

«Le Twinverter est actionné par le cinquième poussoir situé à 9h. Comme son nom le suggère, il inverse l’état des deux chronographes simultanément et instantanément.»

L’inventif horloger détaille les différentes mesures de temps que permet la LM Sequential EVO: «En mode indépendant, on mesure la durée de plusieurs événements avec démarrages et arrêts distincts, même lorsque les événements se chevauchent dans le temps, comme faire cuire des pâtes et des œufs. En mode simultané, on mesure les durées respectives de deux événements qui commencent simultanément, mais se terminent à des moments différents, avec l’avantage de pouvoir dépasser la minute d’écart contrairement à une rattrapante traditionnelle. Le mode séquentiel (ou mode compteur de tours) permet de mesurer les durées intermédiaires d’un événement continu à étapes multiples, avec configuration pour des durées intermédiaires supérieures à une minute. Enfin, le mode cumulatif offre la possibilité de mesurer les durées cumulées respectives de deux événements discontinus, comme dans une partie d’échecs.»

Stephen McDonnell, le bon génie du calibre de MB&F

Une montre d’exception... pour tous les jours

Dans son boîtier en zirconium de 44mm, ce garde-temps exceptionnel se révèle extrêmement facile à porter, léger et ergonomique. Le bracelet intégré en caoutchouc épouse parfaitement la courbe du poignet. La glace saphir a été retravaillée pour gagner en finesse et en épaisseur et se glisse aisément sous une manche.

En outre, la montre est étanche à 80 mètres et équipée du système d’amortissement FlexRing, développé par MB&F pour atténuer les influences extérieures des chocs sur la mécanique. Tout est fait pour pouvoir utiliser cet objet horloger hors du commun dans la vie courante… si tant est que l’on puisse débourser les CHF 160’000 requis pour l’acquérir dans l’une de ses deux versions, avec cadran orange atomique ou noir charbon.

En tout état de cause, la montre chronographe à rattrapante à l’origine du défi initial est bel et bien largement améliorée, tant dans sa précision que dans sa versatilité. Stephen McDonnell a relevé son défi, Max Büsser en est ravi – et les amateurs d’horlogerie superlative aussi!

L’inventif horloger détaille les différentes mesures de temps que permet la LM Sequential EVO. Elles sont nombreuses.