i l’essentiel de l’attention se concentre aujourd’hui sur l’innovation dans le mouvement mécanique, le calibre quartz n’en connaît pas moins des développements. Et l’un des plus prometteurs nous vient de France: la société SilMach, établie à Besançon, a récemment dévoilé le fruit de vingt ans de recherches, avec le lancement d’un «coeur silicium», le micro-moteur le plus petit et autonome au monde.
Ce micro-moteur révolutionnaire vise à remplacer le moteur Lavet, utilisé dans les montres électroniques depuis les années 1960*. Ce composant de quatre pièces entourant un cœur monolithique en silicium offre comme avantages une taille minuscule (de loin le plus petit micromoteur de sa catégorie au monde), une insensibilité aux champs magnétiques, un fonctionnement sans lubrifiant ainsi qu’une plus grande robustesse et durabilité.
Alimenté par une pile, le cœur silicium se distingue également par sa «frugalité énergétique, qui offre une autonomie de batterie inatteignable pour les moteurs de montres traditionnelles», souligne la société. Sa précision permet un pilotage des aiguilles pas-à-pas, dans les deux sens (horaire et anti-horaire), avec des accélérations et des décélérations fluides, permettant ainsi un mouvement rétrograde des deux aiguilles.
Ce cœur silicium se révèle ainsi particulièrement adapté aux montres hybrides (à aiguilles) connectées, car le moteur, de plus faible encombrement qu’un moteur Lavet, peut-être soudé sur les cartes électroniques comme un composant électronique standard, grâce à la technologie automatisée de montage en surface (SMT). Cette caractéristique ouvre la voie à une production locale de mouvements de montres électroniques de pointe en France, alors que les moteurs Lavet actuels nécessitent un assemblage manuel dans des pays à bas coûts de main d’oeuvre, principalement en Asie.
Entre Tokyo et Besançon
Pierre-François Louvigné, Co-CEO & CSO, nous a récemment partagé la genèse de ce développement à fort potentiel. SilMach (pour «Silicium Machinery») a été lancée dès 2003 par Patrice Minotti, ancien directeur du laboratoire du CNRS dédié à la micromécanique, établi à Besançon. En ce début de millénaire, le silicium s’affirme comme un matériau du futur, essentiel à maîtriser. C’est ainsi qu’une équipe de cinq personnes quitte Besançon pour le Japon: durant deux ans, ils sont mandatés pour créer un laboratoire «mixte» avec l’université de Tokyo, spécialiste de la discipline. Un transfert de compétences sur le travail du silicium en salle blanche qui, vingt ans plus tard, aboutira sur le lancement de ce nouveau micro-moteur à fort potentiel.
«A l’issue de ce séjour, Patrice Minotti et son équipe ont acquis la conviction qu’il y avait une piste technique pour remplacer le moteur Lavet grâce au silicium, relève Pierre-François Louvigné. Le laboratoire japonais travaillait sur l’application du silicium, mais pas dans les domaines de la micromécanique ou de l’horlogerie. C’est à son retour qu’il a fondé SilMach pour explorer cette voie.»
- Le coeur silicium de SilMach est le micro-moteur le plus petit et autonome au monde.
Rapidement, un premier brevet est déposé, mais plusieurs années sont nécessaires pour faire maturer cette technologie, afin qu’elle soit techniquement opérationnelle mais aussi économiquement viable. Le développement au même moment de nouvelles puces microélectroniques en silicium (ASIC pour «Application-Specific Integrated Circuit»), développées aux Etats-Unis et d’une taille de l’ordre du millimètre carré, accélèrent fortement la recherche en permettant de miniaturiser les commandes des futurs micro-moteurs SilMach.
«Nous réalisons quelque chose d’assez particulier en mariant des éléments en silicium tels que des actionneurs et des roues micro-dentées avec des composants horlogers traditionnels», souligne Pierre-François Louvigné. Dès le début de la société, c’est le marché horloger qui est ciblé spécifiquement, même si les applications potentielles sont nombreuses dans d’autres domaines en plein essor (santé, medtech, implants, micro-machines).
Le développement de techniques d’assemblage propres a été la dernière phase de développement du projet: «Pour cela, nous avons identifié des machines que l’on pouvait détourner pour de l’hybridation entre technologies silicium et micro-mécanique. Une marque leader dans la manipulation de puces silicium dans le domaine micro-électronique a accepté de travailler avec nous en ce sens.»
- Ce micro-moteur révolutionnaire vise à remplacer le moteur Lavet, utilisé dans les montres électroniques à aiguilles depuis les années 1960.
Détrôner un demi-siècle de domination?
Au sein d’un mouvement horloger électronique, le micro-moteur de SilMach est exclusivement destiné à remplacer le moteur Lavet – la base temps reste donnée par le quartz. «Aujourd’hui, sur une montre quartz ou connectée, on ne trouve que de la micro-électronique, à l’exception du moteur Lavet, poursuit Pierre-François Louvigné. C’était la seule incohérence.» En mode B2B, la société propose le moteur simple, mais aussi du conseil en industrialisation et chaîne d’assemblage, en transfert de technologie, et vise à proposer son propre mouvement livré clé en main.
SilMach a ainsi mis en place sa propre unité d’assemblage de micro-moteurs à Besançon, qui sert aussi de «vitrine» pour de futures réalisations. Celle-ci a démarré avec un moteur à une aiguille et vient de commencer la production des moteurs à deux aiguilles. «Nous sommes conscients que comme toute nouvelle technologie, la nôtre doit surmonter les freins d’une adoption par rapport à un composant très connu comme le moteur Lavet, explique le responsable. Pour le détrôner, nous devons présenter des arguments concurrentiels solides. Mais il y aura toujours des freins. C’est pourquoi nous sortons notre propre montre. C’est probablement la meilleure des vitrines et des garanties pour nos clients!»
- Cette nouvelle technologie permet un pilotage des aiguilles pas-à-pas, dans les deux sens (horaire et anti-horaire), avec des accélérations et des décélérations fluides, permettant ainsi un mouvement rétrograde des deux aiguilles
Jouer avec les aiguilles
Cette montre, baptisée The TimeChanger, est la première équipée d’un cœur silicium au monde. Incarnant la technologie développée par SilMach, elle sera commercialisée lors d’une campagne Kickstarter qui aura lieu du 11 octobre au 11 novembre. En véritable démonstrateur, elle jouera notamment sur un véritable spectacle cinétique à travers l’«effet d’optique de mise en mouvement perpétuel des aiguilles, rendu possible grâce à une accélération de la fréquence de déplacement, caractéristique à chaque mode et fonctionnalités de la montre».
- Vingt ans après sa création, SilMach lance la Montre TheTimeChanger - la première concept-watch équipée d’un cœur silicium conçue et assemblée à Besançon, la capitale horlogère française.
Une entrée secrète sera aussi possible dans différents modes de fonctionnement par simple pression des poussoirs: une animation de double balancier synchronisé des aiguilles, un mode de calibration manuelle des aiguilles ou encore un saut dans le temps avec un mode accéléré où les heures deviennent minutes et les minutes ne sont plus que secondes… De quoi s’amuser!
Avec une rotation du micro-rotor silicium par pas de 30 microns toutes les 10 millisecondes, la fréquence du déplacement des aiguilles créera «la perception d’un mouvement rotatif totalement fluide et quasi continu à l’œil nu (jusqu’à 100Hz)». La variation affichée est de seulement +- 0,5 seconde par jour. Enfin, l’autonomie, exceptionnelle pour une montre à pile classique, est supérieure à une dizaine d’années.
Timex, un partenaire-clé
«Nous espérons que cette montre répondra à toutes les questions que pourraient se poser nos clients potentiels et surtout donnera envie d’adopter cette technologie, au vue de ses atouts et nombreuses déclinaisons», s’enthousiasme Pierre-François Louvigné. D’un prix de 1’850 euros, la montre de SilMach est réalisée en collaboration avec le groupe Timex, un partenaire stratégique de SilMach. C’est le designer phare du groupe, Giorgio Galli à Milan, qui a dessiné la montre. «Pour un impact international, il faut un partenaire industriel d’envergure. Avantage supplémentaire: tout leur pôle micro-mécanique est implanté à Besançon, à côté de chez nous.» C’est également à Besançon qu’est basée la société TiMach (une joint-venture Timex/SilMach) chargée de commercialiser les micro-moteurs dans le monde entier.
Parmi les premiers prospects figure notamment la marque française de montres connectées à quartz Withings, tout comme le géant Fossil, très concerné par tout développement sur ce segment en particulier.
«Nos moteurs sont particulièrement adaptés aux montres connectées, car il est possible de les personnaliser et de les placer n’importe où sur une carte électronique, souligne Pierre-François Louvigné. Cela élargit les possibilités en termes de design. Outre leur compacité, résistance au magnétisme ou frugalité, leur flexibilité est un immense avantage concurrentiel face à des calibres certes moins chers car produits en Asie, mais hautement standardisés et n’offrant que quelques configurations possibles.»
Le prix justement: combien coûtera un micro-moteur «cœur silicium»? «A terme quelques dollars seulement sans doute, car le marché est ainsi. Les moteurs MEMS sont très dépendants des volumes, c’est pourquoi nous devons miser sur l’automatisation de la production. Mais nous comptons pour le démarrage sur des clients qui croient dans le développement de cette technologie.»
Pour l’heure, la salle blanche de SilMach, d’une cinquantaine de mètres carrés, peut produire de manière complètement automatisée jusqu’à 300’000 micro-moteurs par an sur sa ligne pilote. Mais ce chiffre pourrait à terme se multiplier en millions voire dizaines de millions, alors que la production annuelle mondiale de montres électroniques est estimée à un milliard d’unités. Avec le rêve de refaire de l’horlogerie française un champion du «volume».
*Le moteur «pas à pas» qui équipe actuellement les calibres quartz est aussi une innovation française: il a été inventé en 1936 par Marius Lavet. Mais ce n’est que dans les années 1970 qu’il est véritablement industrialisé par Seiko pour l’industrie horlogère. Rappelons que SilMach a été fondée il y a 20 ans: comme l’illustre la genèse de la technologie même que cette société cherche à détrôner, entre invention et application, il faut… du temps – surtout pour parvenir à la viabilité économique!