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Penser la communication horlogère d’après-demain

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mars 2024


Penser la communication horlogère d'après-demain

Recourir au vintage pour - paradoxalement - donner un coup de jeune à la communication horlogère? C’est la proposition de deux jeunes passionnés qui ont créé l’agence spécialisée APRESDEMAIN pour accrocher les nouvelles générations, avec créativité, fraîcheur et une bonne dose d’humour décalé.

L

orenzo Maillard et Maxime Couturier, respectivement expert en horlogerie et directeur créatif de l’agence APRESDEMAIN, se sont reconnus dans une vision commune de l’industrie horlogère, malgré des profils bien différents. Maxime était bon élève à l’école, fan de basket, mais indécis sur ce qu’il souhaitait faire. Sa formation le fait s’orienter vers le marketing: il travaille pour une agence en tant que chef de projet. Mais il ne se sent pas épanoui, traitant principalement de produits de grande consommation. Il est davantage attiré par les montres et constate que la communication horlogère a encore du chemin à faire. C’est ce qui le décide à plonger plus profondément dans cet univers.

Lorenzo Maillard à quant à lui été baigné dans l’horlogerie depuis son plus jeune âge, sa famille ayant fondé il y a près de 100 ans la maison d’édition spécialisée Europa Star. Mais il a développé sa passion tout seul. Il écumait les marchés aux puces à la recherche de pépites vintage. Il a ainsi peaufiné sa connaissance générale dans cet univers jusqu’à devenir un expert et de commencer à proposer des formations sur le sujet.

Maxime Couturier
Maxime Couturier

Lorenzo Maillard
Lorenzo Maillard

Rencontre à la FHH

C’est ainsi que les deux compères se sont retrouvés, en mission à la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH), et que l’aventure a débuté. Ensemble, ils ont notamment planché sur le lancement de «Watches and Culture», le bras éducatif et culturel de la Fondation. L’un des buts était de dépoussiérer la communication horlogère pour la rendre attrayante auprès d’une cible plus jeune.

Lorenzo Maillard raconte: «La mission a consisté à créer une nouvelle façon d’appréhender cet univers plutôt traditionnel dans ses modes d’expression. Nous avons eu une grande liberté avec la Fondation qui nous a donné carte blanche pour imaginer de nouveaux registres de communication. La mode, le design, l’architecture ont été nos inspirations. L’accueil de la FHH a été excellent. Celui des marques a été plus réservé au début, mais elles y participent à présent.»

«Natures Mortes» extraites du numéro 0 du magazine heist-out
«Natures Mortes» extraites du numéro 0 du magazine heist-out

Maxime Couturier renchérit: «Nous pouvions enfin laisser fonctionner nos esprits créatifs… Mais nous avons à nouveau été confronté à cette frustration initiale que nous ressentions tous deux, à cette rigidité de certaines marques. Cela a été le déclencheur de la création de notre magazine. Nous voulions faire bouger l’industrie. Initier quelque chose de nouveau, de créatif, sans garde-fou, sans langue de bois. Notre magazine heist-out a pris forme à partir de ce moment.»

Couverture du numéro 0 du magazine heist-out
Couverture du numéro 0 du magazine heist-out

Le «numéro zéro» du magazine, sorti en 2023, est le porte-étendard de la vision du duo. Il est imprégné d’horlogerie et de vintage, mais aussi de mode, de photographie, de design et d’architecture. En ce sens, il élargit déjà le lectorat potentiel de futurs amoureux de l’horlogerie. Plus que tout, il incarne l’esprit de l’agence de communication – APRESDEMAIN – qu’ils viennent de fonder. Pourquoi ce nom? Les deux co-fondateurs répondent en choeur: «Pour évoquer le temps qui passe, bien sûr, et centrer notre cible sur l’horlogerie. Mais aussi pour se projeter vers le futur, vers ce qu’il est possible d’envisager.»

Extrait, «A Mixed Breed of Watches», heist-out Volume 0
Extrait, «A Mixed Breed of Watches», heist-out Volume 0

L’arme de l’humour

Dans le petit monde horloger, une pléthore d’agence de communication existe déjà. En quoi se différencient-ils? Réponse immédiate de Lorenzo Maillard: «Avant tout sur les projets que nous traitons. Il faut que les marques qui nous contactent soient prêtes à voir et faire les choses autrement. Nous proposons des conceptualisations visuelles différentes. Nous traitons les sujets horlogers en profondeur avec une recherche historique poussée. Et nous nous autorisons également de recourir à l’humour.»

Dos de couverture, numéro 0 du magazine heist-out
Dos de couverture, numéro 0 du magazine heist-out

N’est-ce pas dangereux dans ce monde aux codes établis et au discours souvent attendu? Le directeur créatif rebondit: «Le marketing évolue au même titre que le champ d’influence des marques. Nombreuses sont celles qui vendent aussi des expériences, se lancent dans l’hospitalité, voire développent des médias. Dans notre génération, beaucoup de personnes considèrent que l’horlogerie est beaucoup trop exclusive. Nous proposons des produits différents pour combler ce manque d’ouverture. Pour faire changer les choses, il faut oser. Nous sommes conscients que notre magazine est clivant. Ceux qui aiment ont vraiment envie de faire différent. C’est pour eux qu’APRESDEMAIN a été créée.»

Approche anti-snob

L’accueil réservé au magazine semble révéler que les deux passionnés disruptifs ont vu juste. Suite à la parution du numéro zéro de heist-out, la maison de ventes aux enchères Sotheby’s les a en effet contactés pour organiser une session de vente «différente». L’occasion parfaite de mettre en application le concept proposé. Le 11 avril prochain aura donc lieu une vente aux enchères inédite intitulée «Rough Diamonds», lors de laquelle 24 pièces horlogères, pour les 24 heures d’une journée, seront présentées.

heist-out X Sotheby's - vente aux enchères «Rough Diamonds»
heist-out X Sotheby’s - vente aux enchères «Rough Diamonds»

Outre le fait d’être toutes des pièces vintage, de plus de 30 ans d’âge, elles ont en commun la célébration du génie créatif de designers qui se sont affranchis des codes traditionnels. Elles détonnent par leur originalité et leur personnalité propre tout en rendant hommage aux savoir-faire artisanaux de l’horlogerie. La vente s’accompagne d’une campagne de communication décalée qui évoque une aventure spéléologique pour aller à la découverte de ces «diamants bruts».

Penser la communication horlogère d'après-demain

Le fondateur de l’agence, expert des montres vintage, précise: «L’idée est d’offrir une sélection de montres très peu vues lors des enchères habituelles, dans lesquelles se retrouvent essentiellement les «usual suspects» que sont Rolex, Patek Philippe ou Audemars Piguet. Ces diamants bruts ont des potentiels très importants en termes d’histoires qu’ils racontent, de designs qu’ils incarnent et de rareté tant recherchée. Le concept est différent… et l’identité visuelle aussi.» Intrigant, différent et fun. CQFD.

Penser la communication horlogère d'après-demain

Adhésion au concept

Les marques horlogères adhèrent-elles également à ce type de contenu pour le moins déroutant? L’agence collabore déjà avec des clients de renom de l’industrie comme la FHH, TimeVallée, Girard-Perregaux ou Alpina et d’autres les ont contactés pour des campagnes à venir. Le numéro un du magazine qui sortira en mai confirme la tendance: 5’000 exemplaires prévus (au lieu des 1’000 envisagés initialement) et de nombreux annonceurs horlogers, dont une bonne partie a laissé libre cours à la création de contenus par APRESDEMAIN pour être dans l’esprit du magazine.

Est-ce le côté vintage, très à la mode depuis quelques temps, qui plaît et sur lequel ils ont décidé de surfer? Tous deux balaient la question. Lorenzo Maillard précise: «Le côté vintage vient de ce que l’on aime. Je n’ai jamais acheté une montre moderne de ma vie. Le design vintage est ce qui nourrit ma passion de l’horlogerie.»

Extrait,« True rapper's flex», heist-out
Extrait,« True rapper’s flex», heist-out

Maxime Couturier abonde dans son sens et va plus loin: «C’est effectivement ce que nous aimons tous les deux. De plus, cela nous permet aussi de nous affranchir des marques d’une certaine manière et de nous démarquer des autres agences de communication et magazines. Beaucoup font du moderne. Le vintage permet d’envisager des angles différents qui intéressent aussi bien les marques que les néophytes et les aficionados de longue date. Longtemps nous avons été frustrés par le snobisme horloger ambiant. Nous voulons montrer que la passion ne se résume pas au prix, mais que le plaisir peut tout aussi bien être généré par une montre vintage achetée quelques centaines de francs. Pas besoin d’hypothéquer sa maison pour entrer dans la passion de l’horlogerie.»

Custom watch, événement «CollabZ»
Custom watch, événement «CollabZ»

Le vintage comme remède à la «luxification» de l’horlogerie ? Là encore, la vision des fondateurs d’APRESDEMAIN s’affirme loin des chemins usuels.

Qu’en est-il de la dimension «durabilité» souvent associée à ce marché en pleine expansion? Les jeunes créateurs, presque étonnés de la question, répondent sans détours: «Nous n’en parlons pas spécifiquement, mais c’est inné dans notre démarche. Nous avons choisi d’imprimer un magazine (sur du papier certifié FSC, ndlr), car nous aimons ce qui reste, ce qui se transmet. Le magazine est fait en Suisse car nous avons cherché nos partenaires autour de nous. La scénographie de la vente aux enchères Sotheby’s a été créée avec Studio Tec, une start-up de Genève qui n’utilise que du matériel de récupération et le recycle après. Toute notre démarche s’inscrit dans cette logique… mais pas dans le but d’en faire des annonces.»

La notion d’éco-design, essentielle dans une démarche authentique de durabilité, s’applique donc également aux médias et à l’événementiel pour ces inventeurs de la communication horlogère de demain… voire d’après-demain!

Campagne publicitaire imaginaire (et imaginative), événement «CollabZ»
Campagne publicitaire imaginaire (et imaginative), événement «CollabZ»