énétrer dans un des trois laboratoires du COSC ne se fait pas aisément. Il faut d’abord passer par une série de sas rigoureusement contrôlés avant d’atteindre le laboratoire proprement dit. A première vue, rien n’indique qu’il s’agit ici de contrôler la précision de marche de mouvements. On a plutôt l’impression de se retrouver dans un vaste espace hyper high-tech dans lequel des opérateurs s’activent en silence à de mystérieuses tâches.
Quand on s’approche des fenêtres, on se rend alors compte que cet espace est un bâtiment en-soi construit à l’intérieur de l’immeuble qui l’abrite, comme une double peau qui l’isole totalement de l’extérieur. «Ici, l’électricité statique est totalement prohibée, nous explique alors Andreas Wyss, directeur du COSC. Les mouvements ne doivent subir aucune influence extérieure. De même, nous devons être en surpression atmosphérique que nous mesurons en continu. Des capteurs externes installés sur le toit du bâtiment nous permettent ainsi de réguler cette pression en y ajoutant quelques hectopascals par manches à air.»
«L’air ambiant est ainsi continuellement surveillé par de nombreuses sondes qui sont réparties dans tous les locaux par lesquels transitent les mouvements. Température, humidité, poussière, pression atmosphérique et point de rosée sont mesurés en continu toutes les minutes, 24h sur 24h et 365 jours par an», poursuit-il.
De tels laboratoires, le COSC en possède trois, à Bienne, au Locle et à Saint-Imier, qui sont rigoureusement identiques. «Une question de sécurité, nous explique-t-on. Pour parer à toute défaillance majeure, et aussi pour pouvoir répondre immédiatement à une augmentation soudaine des demandes de nos clients, les espaces que nous occupons sont surdimensionnés. Et en cas d’interruption de travail prolongée d’un d’entre eux, les deux autres sont à même d’absorber la totalité des pièces à certifier jusqu’au retour en production du laboratoire défaillant.»
Chacun de ces laboratoires utilise aussi une identique base de temps qui est constituée de trois horloges atomiques dont deux sont synchronisées sur le temps GPS et la troisième sur le signal DCF (système de transmission de l’heure par ondes radio, piloté par une horloge atomique au césium qui donne le temps atomique avec une incertitude d’une seconde en un million d’années). Ces trois horloges doivent être synchronisées à la nanoseconde «pour que le temps puisse être distribué sur les machines de contrôle».
Garantir la confidentialité
La «matière première» qui va alimenter ce laboratoire, soit les mouvements (et plus rarement les têtes de montres avec mouvement emboîté) envoyés pour y être contrôlés, on n’en verra aucune à l’air libre. Chaque client apporte lui-même ses lots déjà conditionnés et vient les reprendre une fois contrôlés, le COSC ne se chargeant pas du transport pour d’évidentes raisons de dommages qui pourraient survenir en dehors de sa stricte responsabilité de contrôle. Chaque client a son identifiant, son portail et les laboratoires sont aussi cloisonnés pour garantir la confidentialité.
Les pièces, munies d’un cadran de travail neutre, sont ensuite conditionnées dans des conteneurs spécifiques, leur gravage contrôlé par lecteur optique puis elles sont armées par des machines spécifiquement calibrées selon la nature des mouvements et le nombre précis de tours nécessaires à leur remontage. Elles vont ensuite suivre un cycle de 15 jours et passer par des tests quotidiens, tous automatisés et alimentant une base de données commune et spécifique à chaque mouvement testé.
Le jour zéro, les calibres, rangés par lots, vont être mis en température à 23°, durant 12 heures au minimum pour les stabiliser avant que ne démarre le cycle des contrôles. Toutes les 24 heures, ils sont sortis de leur pièce à température réglée, sont mesurés, réarmés et remis en chambre en suivant un cycle de cinq positions différentes: 3h, 6h, 9h, cadran haut, cadran bas.
Chaque phase, chaque opération, chaque déplacement de chacun des calibres sont indiqués, mesurés et compilés sur tablette électronique. Ils sont ainsi tracés à la seconde près, enregistrant aussi qui a fait quoi, des données qui sont conservées par le COSC durant dix ans.
Les pièces en contrôle continu vont ainsi passer par trois enceintes différentes, surveillées par sondes de température et d’humidité durant 13 jours à 23°, 1 jour à 38° et 1 jour à 8°.
Moins de 10 CHF par mouvement contrôlé
Sept critères sont mesurés selon la norme ISO 3159, avec les indications de tolérance en seconde par jour pour un mouvement ou une montre-bracelet à balancier spiral.
«Nous contrôlons la seconde et donc nous ne contrôlons que des montres qui l’affichent. Sans indication de la seconde, le client final ne peut pas valider l’exactitude de sa montre», explique M. Wyss. Il poursuit: «Depuis 2023, nous pouvons aussi contrôler les têtes de montres emboîtées de façon semi-automatique, alors que tout le processus est automatisé pour les mouvements seuls. Mais le processus pour têtes de montres est plus long et, je l’avoue, les horlogers n’aiment pas trop ça car si une montre est en échec, il faut tout recommencer parce que la mention Chronomètre est gravée sur son cadran. Mais on travaille à améliorer encore ce point. Par ailleurs, nous certifions aussi des montres quartz, en quantités limitées, il est vrai, ainsi que des montres de poche ou encore des pendulettes. Les montres solaires ne sont pas certifiables car leur source d’énergie est par essence variable. Quant au chronographe seul, il ne peut être certifié chronomètre car la fonction d’un chronographe est de mesurer des temps courts, celui d’un événement particulier. Or il n’y a pas, aujourd’hui, de norme pour certifier la précision d’un chronographe. Par contre, des montres de haute précision ayant de surcroît la fonction chronographe peuvent être certifiées chronomètres. Ainsi que des montres compliquées, par exemple des tourbillons mais à condition, toujours, que ces mouvements affichent la seconde.»
Et combien coûte une certification? «Nous faisons des séries de 1 à 500 pièces et le prix, identique pour tous nos clients, est de moins de 10 CHF par calibre contrôlé. Si un contrôle manuel s’avère nécessaire, le prix peut alors augmenter et atteindre environ les 100 CHF.»
Repositionner la «marque» COSC
Auprès du grand public, la notion de «chronomètre» se confond souvent avec celle de «chronographe». La certification COSC, pour Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres, apporte-t-elle toutefois une vraie plus-value à la montre ainsi certifiée, se demande-t-on? Cette définition de «chronomètre» pour montre de précision a-t-elle un sens pour ce public? Est-elle encore un argument de vente?
«Je crois qu’aujourd’hui la notion de marque a pris le pas sur celle de précision, rétorque M. Wyss. Et la véritable valeur ajoutée que la certification peut apporter est importante surtout pour les petites et moyennes marques. Mais il faut voir les choses dans leur ensemble. Le COSC est une Association reconnue d’utilité publique par la Confédération suisse, créée par les Cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne et Soleure. Depuis 51 ans cette année, nous avons les mêmes statuts, n’avons pas d’actionnaire, ne recevons pas de subventions, sommes à 100% autofinancés. Cette neutralité et cette indépendance constituent notre grande force.»
«L’autre qualité que nous avons est que nous sommes les seuls au monde à pouvoir traiter scientifiquement de très grands volumes de calibres, aujourd’hui jusqu’à 2,3-2,5 millions de mouvements par an. C’est unique au monde et cela participe grandement au rayonnement de la montre suisse, c’est aussi le gage de sa qualité. Mais il est vrai que, par rapport au grand public, nous avons depuis toujours été bien trop discrets. Nous devons repositionner la marque COSC, mieux faire connaître l’institution qu’est le COSC... et la différence entre chronomètre et chronographe…»
Profitant de l’occasion de ses 50 ans en 2023, le COSC a lancé une offensive dans ce sens, notamment en commanditant un livre inédit, Histoire sociale et économique de la chronométrie, confié à la plume très experte de l’historien Pierre-Yves Donzé (éditions Alphil). Démarrant des débuts de la chronométrie dès le 17ème siècle, l’ouvrage décrit comment «la précision des montres mécaniques devient un enjeu commercial» (1860-1890), puis s’étend sur «l’Âge d’or de la chronométrie» (1900-1970), décrit ensuite la fondation un peu mouvementée du COSC en 1973 et son parcours jusqu’à nos jours en passant par la «Révolution du luxe» qui a vu grossir le nombre de marques différentes déposant des montres à certifier.
De quoi mieux comprendre comment et pourquoi la quête de la précision chronométrique et sa certification ont accompagné le développement économique, social et culturel de l’horlogerie et continuent d’y jouer un rôle actif. En parallèle, une étude sur l’image du COSC a été lancée auprès des cercles concernés.
Les enjeux de la certification
Preuve que la certification chronométrique est et reste un enjeu – enjeu économique, enjeu d’image – les initiatives se multiplient dans ce domaine. En dehors du COSC, il n’y avait guère jusqu’à peu que le Poinçon Tête de Vipère de l’Observatoire de Besançon en France et les laboratoires de Wempe à Glashütte en Allemagne. Un poinçon comme celui de la Fondation Qualité Fleurier inclut le COSC dans ses prérequis. Mais des initiatives ont commencé à s’en émanciper.
Le cas majeur est celui de Patek Philippe qui a décidé en 2009 de s’émanciper totalement de toute certification extérieure (quittant ainsi également le Poinçon de Genève) pour certifier en toute autonomie et indépendance ses propres montres. Avec des critères concernant aussi bien l’habillage, la décoration que le mouvement, ses finitions et sa précision chronométrique mesurée une fois la montre emboîtée – en l’occurrence selon des critères plus stricts que ceux du COSC, soit avec une tolérance de -1/+2 secondes par jour contre -4/+6 pour le COSC. Mais encore faut-il être un «Seigneur» pour se le permettre?
Rolex, autre géant de l’horlogerie, a bel et bien sa propre certification dite Chronomètre Superlatif. Mais celle-ci, en ce qui concerne la précision, se fait «en complément de la certification officielle COSC» de son mouvement. La performance finale exigée est de l’ordre de -2/+2 secondes.
Jusqu’à il y a peu, la seule source fiable pour connaître le nombre de montres chronomètres produites par Rolex chaque année était la statistique annuelle nominative que publiait le COSC. Par exemple, on pouvait savoir qu’en 1998, Rolex avait fait certifier très exactement 631’129 mouvements, soit les 77,4% du total de cette année. Il y a quelques années de ça, on a gentiment demandé au COSC de cesser cette transparence. Preuve s’il en fallait que la certification conserve toute son importance.
En 2008, le Canton de Genève a créé la fondation de droit privé Timelab, chargée d’exploiter le fameux Poinçon de Genève (qui s’attache à la bienfacture qualitative et non à la précision des mouvements) ainsi que de délivrer des certifications de chronomètres via l’Observatoire Chronométrique de Genève (l’Observatoire astronomique de Genève a été fondé en 1774). Si Timelab se pose en alternative au COSC, en basant sa certification sur la même norme ISO 3159, le laboratoire de Genève, qui ne délivre qu’environ 5’000 certificats par année, a encore vocation de mieux se faire connaître. (A ce propos lire notre article détaillé De l’observatoire astronomique à Timelab, sur europastar.ch)
Mais très récemment, une autre annonce a bouleversé un peu plus encore le monde de la certification: en avril 2024, Omega a diffusé un communiqué annonçant la création du «Laboratoire de Précision, pour des essais chronométriques approfondis».
Andreas Wyss, que nous avons rencontré le lendemain de cette annonce – un rendez-vous pris de longue date – semblait encore tout ébranlé. Non pas tant par la nouvelle elle-même que par le fait de l’avoir appris par un coup de téléphone d’une journaliste qui avait reçu le communiqué. Omega stipule bien que ce Laboratoire de Précision «se veut tout à fait neutre et indépendant, et offre l’opportunité de réaliser des essais chronométriques à l’ensemble des marques et des fabricants de mouvements. C’est une alternative officiellement approuvée par le SAS (Service d’Accréditation Suisse), à l’instar du COSC, à réaliser des tests indépendants.»
Très clairement, Omega, qui avait déjà sa certification Metas mais continuait à faire certifier des lots par le COSC, se pose désormais en concurrent direct de celui-ci. Et lui assène quelques coups au passage en affirmant vouloir aller «bien au-delà de la norme actuellement en vigueur dans le secteur». Des contrôles qui se veulent «extrêmement complets et surtout sans interruption au cours de ces 15 jours – contrairement à la norme actuelle qui prend des mesures de précision toutes les 24 heures». Une attaque frontale. Et dans la foulée, Omega annonce la construction de deux sites dédiés aux essais chronométriques, tous deux de plus de 1’000m2, à Bienne et à Villeret.
Reste qu’Omega poursuit en parlant avant tout de l’amélioration de la précision de ses propres mouvements… Ce qui nous amène à nous poser la question: les marques tierces oseront-elles confier à Omega, marque dominante et concurrente, le soin de certifier et de comptabiliser leurs propres «chronomètres»?
Décidément, l’histoire de la chronométrie, du COSC et de ses enjeux n’est pas encore terminée.