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«Plus les marges baissent, plus l’IA devient pertinente pour le luxe»

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octobre 2024


«Plus les marges baissent, plus l'IA devient pertinente pour le luxe»

Digital Luxury Group (DLG), spécialiste du marketing digital et de l’analyse pour les marques de luxe, vient d’acquérir la plateforme Re-Hub, spécialisée dans l’intelligence artificielle sur le marché chinois. Avec l’ambition d’appliquer plus largement ses solutions, afin d’améliorer l’efficacité des prises de décision des maisons de luxe. Entretien avec David Sadigh, le fondateur et CEO de DLG.

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igital Luxury Group (DLG) a annoncé l’acquisition de Re-Hub, une société technologique chinoise fondée en 2017 et spécialisée dans les solutions de business intelligence pilotées par l’intelligence artificielle pour les marques de luxe. «Cette acquisition représente la première étape de notre stratégie buy and build, qui créera rapidement de fortes opportunités centrées sur l’IA pour nos clients en Chine et dans le monde», a déclaré David Sadigh, fondateur et CEO de DLG.

Re-Hub fournit une plateforme SaaS basée sur le cloud comprenant trois modules clés pour la mesure de la performance des marques et l’optimisation du commerce électronique, le suivi du marché gris et la surveillance des biens d’occasion. Elle suit plus de 150 marques de luxe et parmi ses clients figurent Breitling, Ferragamo, Tory Burch ou encore Zegna. DLG a aussi annoncé poursuivre d’autres opportunités d’acquisition de données et d’IA dans le cadre de sa stratégie de long terme. Notre entretien avec David Sadigh.

Max Peiro, fondateur et PDG de Re-Hub, et David Sadigh, fondateur et PDG de DLG
Max Peiro, fondateur et PDG de Re-Hub, et David Sadigh, fondateur et PDG de DLG

Europa Star: Vous venez d’acquérir la société Re-Hub. En quoi consistent ses activités principales?

David Sadigh: Re-Hub se spécialise dans l’application de l’intelligence artificielle pour l’analyse des flux commerciaux des marques de luxe en Chine. Un exemple: la plateforme peut suivre très précisément les déviances de prix entre plusieurs places de marché de première ou seconde main pour un même objet de luxe. A travers le machine learning, elle peut aussi analyser sémantiquement ce que les internautes disent d’une marque ou d’une création. Et elle peut corréler ces facteurs pour étudier le lien entre le discours sur les réseaux sociaux et le succès ou l’échec commercial d’un produit.

Quelles sont vos ambitions pour cette plateforme suite à son rachat?

Je crois fortement au potentiel de l’intelligence artificielle pour le segment du luxe. C’est donc un savoir-faire dont nous avions besoin et qui complète avantageusement notre offre de services. Nous allons développer cette expertise également hors de Chine, qui est le marché principal de Re-Hub, et menons déjà un projet pilote international en ce sens pour l’horlogerie.

Les marques de luxe ne semblent pas se ruer sur les promesses de l’intelligence artificielle. Pourquoi cela serait-il amener à changer?

Jusqu’à présent, malgré tous les discours tenus sur l’analyse de données, l’industrie du luxe fonctionne encore largement à l’instinct. Et le dialogue entre les départements marketing, vente et finances est loin d’être fluide. Trop souvent, ces unités travaillent en silo. Or, cela peut fonctionner quand le contexte économique est euphorique, comme cela a été le cas ces dernières années. Le luxe n’est pas passé par les mêmes défis d’adaptation que d’autres industries comme les biens de grande consommation. Ce segment est donc plutôt en retard dans l’adoption de l’IA, car il n’avait pas de besoin fondamental de changer ses processus. Mais maintenant que les marges se tendent, l’intérêt de l’intelligence artificielle pour gagner en efficacité devient beaucoup plus pertinent.

Pourriez-vous partager quelques exemples?

Un point d’inquiétude est le niveau d’augmentation des prix pratiqué par certaines marques de luxe ces dernières années. L’intelligence artificielle permet d’analyser une masse de données établissant ou non une corrélation entre ces augmentations et une décote potentielle dans la valeur de marque, notamment à travers le taux de revente de produits neufs. Ces outils permettent également d’identifier si certaines collections sont en perte de vitesse et la pertinence de les arrêter. A contrario, nous pouvons aussi identifier des marques qui gagnent en vitesse même dans un contexte économique plus difficile, comme en ce moment Messika ou APM Monaco en joaillerie et Jacob & Co. ou Norqain en horlogerie, qui nous paraissent sous-cotées. Autre cas de figure: identifier le potentiel de relance de modèles ou de collections qui ne figurent plus dans le catalogue de marque courant.

Ces dernières années, de nombreuses enseignes de luxe ont lancé leurs propres boutiques et leurs propres sites de e-commerce pour capturer de la donnée clients. Pourquoi auraient-elle besoin d’acteurs tiers pour les traiter?

Les maisons de luxe ont plutôt tendance à déchanter quant au potentiel réel de leur propre e-commerce. En revanche des marketplaces comme Amazon ou Tmall génèrent des volumes colossaux d’échanges. Or, comme lorsque les marques se plaignaient à l’époque de ne pouvoir accéder aux données de leurs réseaux de détaillants physiques externes, le même phénomène se produit en ligne. C’est pourquoi une approche holistique, avec une analyse impliquant aussi les données de ces marketplaces, est aussi importante pour restituer une image correcte du marché et de son potentiel. Et l’intelligence artificielle est essentielle dans cette analyse.