Ceux qui innovent


Le «cœur battant» de l’innovation horlogère

mai 2025


Le «cœur battant» de l'innovation horlogère

L’innovation est une constante de l’horlogerie depuis… toujours. Recherche de précision chronométrique, augmentation de la réserve de marche, résistance aux chocs, aux rayures, au magnétisme, amélioration de la lisibilité nocturne, travail sur l’épaisseur des calibres et des montres, connectique hybride, les pistes sont multiples et intarissables. La sous-traitance horlogère est souvent à la racine des grandes innovations horlogères.

L

a Suisse se positionne en tête des pays les plus innovants du monde depuis 14 ans selon l’indice de l’innovation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle (OMPI). On a aussi mis en avant récemment, à l’occasion des débats sur les droits de douanes projetés par l’administration Trump, que le pays était le premier investisseur en R&D aux Etats-Unis.

Les investissements en R&D sont conséquents dans toutes les industries suisses. Il n’est donc pas étonnant de retrouver un partenariat privé-public tel que le Centre Suisse d’électronique et de Micro-technique (CSEM) au cœur de l’innovation dans l’horlogerie helvétique, depuis sa création en 1984. Qu’il s’agisse de l’utilisation du silicium pour les échappements, comme le CSEM l’a fait avec Swatch Group ou Patek Philippe – brevet devenu public en 2022 –, des nouvelles puces Bluetooth idéales pour tous les petits objets connectés ou de nouveaux algorithmes comme celui ayant obtenu le CSEM Inventor Award 2025 pour le brevet PulseSpeed qui permet une mesure ultra-précise de la fréquence cardiaque et de l’activité physique sans recourir à la fonction énergivore du GPS, le CSEM montre à quel point l’innovation est centrale en Suisse et en horlogerie.

Hermès Cape Code Crépuscule de 2018 avec son cadran en silicium créé en collaboration avec le CSEM
Hermès Cape Code Crépuscule de 2018 avec son cadran en silicium créé en collaboration avec le CSEM

Le constat est donc sans surprise: l’innovation est et reste au cœur des stratégies de toutes les entreprises contactées pour ce tour d’horizon. Quête de précision chronométrique, de (très) longue réserve de marche, d’étanchéité jusqu’au 
fin fond des abysses, de matériaux plus résistants aux rayures, comme la céramique ou le titane, d’antimagné-
tisme… la recherche du progrès technologique et matériel est incessante.

Investissements continus

La période incertaine actuelle n’est aucunement un frein à 
cet appétit pour l’innovation. Frédéric Chautems, directeur exécutif chez MPS watch, une division de Micro Precision Systems MPS AG, le confirme: «Dans les périodes plus creuses, il faut se poser les bonnes questions et préparer l’avenir. Nous ne diminuons donc en tout cas pas les investissements en R&D en ce moment. Ils ont même plutôt tendance à augmenter avec l’embauche d’une personne de plus dans notre département dédié. Notre slogan Innovation et performance en mouvement traduit cet engagement.»

Même position chez NGL, spécialiste de la formulation et de la fabrication de détergents de nettoyage depuis plus de 40 ans, où Thomas Marchal, directeur des ventes et du marketing, confie: «Trois personnes travaillent quasiment à temps plein sur la R&D chez NGL. Avec le ralentissement du marché du luxe, il convient de travailler toujours davantage sur la robustesse de nos approvisionnements et les gains réalisables sur les coûts des matières. Nous affectons donc une partie de nos ressources à l’amélioration constante de nos processus de fabrication, ce qui permet également d’améliorer notre stratégie au niveau des achats.»

Alexandra Levesque, responsable Innovation & Développement chez Precinox, filiale de PX Group
Alexandra Levesque, responsable Innovation & Développement chez Precinox, filiale de PX Group

Olivier Gigandet, co-directeur général de Bergeon SA abonde également en ce sens: «L’innovation et la R&D sont au centre de notre stratégie, ils nous permettent de mettre sur le marché des produits Bergeon Swiss made innovants et répondant aux besoins toujours plus exigeants de nos clients. La R&D internalisée favorise la diversification de notre acti-
vité dans des produits sur mesure pour divers marchés». 
Il ajoute: «Les investissements en R&D se sont accélérés ces dernières années notamment par le fait que beaucoup de nos nouveautés ont de l’électronique embarquée ce qui nécessite des investissements plus conséquents». Il semble donc bien que les sous-traitants, tout comme les marques, poursuivent leurs investissements dans l’innovation.

Un terreau fertile

Et les innovations technologiques continuent de fleurir dans la sous-traitance horlogère, pour le bénéfice de toute l’industrie que ce soit en matière de fiabilité, de performance, de protection contre la contrefaçon ou tout autre domaine faisant avancer l’horlogerie. Ainsi MPS, inventeur du roulement à billes en 1936 (l’entreprise s’appelait alors RMB), qui a lancé en 2003 ses roulements à billes en céramique sans lubrification (X-Myrox), largement utilisés dans l’industrie, continue de les perfectionner et introduit en 2024 une évolution amagnétique, très résistante et encore plus silencieuse avec le Super-Myrox.

Quantum Brand Protection se concentre, elle, sur l’innovation technologique pour la traçabilité et l’authentification, essentielles dans la lutte contre la contrefaçon qui gangrène le marché horloger. Nasser Hefiana, fondateur de Quantum Brand Protection, a lancé son concept en 2023 et explique: «Nous avons développé un marquage invisible lisible sur le verre de la montre matérielle et directement lié au passeport digital sécurisé par la Blockchain.» Une étape supplémentaire dans la sécurisation de la montre. Et une innovation horlogère aux applications multiples dans le luxe en général. Ce qui montre bien la perméabilité de l’innovation d’un secteur à l’autre.

Blocs luminescents ultra-fins développés par la société Billight SA pour la marque horlogère Speake Marin
Blocs luminescents ultra-fins développés par la société Billight SA pour la marque horlogère Speake Marin

Nicolas Wiederrecht, directeur technique d’Agenhor, l’exprime clairement également: «Nous ne pouvons continuer à émerveiller le monde que si nous nous trouvons constamment à la pointe de notre domaine. En quelque sorte, nous aspirons à être le réacteur de l’innovation horlogère et gardons les yeux ouverts sur les nouvelles techniques, spécialement hors de l’horlogerie. Ces innovations externes sont un terreau fertile pour créer de nouveaux concepts horlogers.»

Dans une entreprise présente dans de multiples industries de pointe comme PX Group dont les activités s’étendent aussi bien en horlogerie que dans le médical, l’aéronautique, le luxe, la joaillerie ou l’automobile, le constat est le même, comme le confirme 
Alexandra Levesque, responsable Innovation & Développement chez Precinox, filiale de PX Group: «La recherche et développement est centrale à nos activités. Notre mission chez PX Group consiste à soutenir l’innovation tout en intégrant l’aspect environnemental et durable dans le développement de nouveaux produits et services.» On retrouve des innovations résolument axées sur l’aspect durable ou éco-responsable de l’industrie (lire notre article dédié dans ce numéro).

Parallèlement, les innovations techniques peuvent aussi 
apporter des améliorations esthétiques importantes.

Innovations esthétiques

Innover c’est aussi parfois simplement améliorer. La lisibilité, notamment. Comme le fait Billight SA, spécialiste de la capsule de moulage luminescente et qui a introduit des blocs de luminescence très fins (0,1 mm), aussi efficaces que ceux de 0,25 mm, ou la métallisation des blocs entiers pour en faire des indices à part entière, comme sur le cadran de l’Academic Rouge ou White de Speake Marin. Et la dimension esthétique de l’innovation devient alors flagrante.

Christophe Blandenier, directeur exécutif de la société Blandenier SA
Christophe Blandenier, directeur exécutif de la société Blandenier SA

L’exemple suivant, extrême, est révélateur. Le silicium, matière technique au cœur de l’innovation chronométrique, devient décoratif. Le cadran en silicium de la Cape Cod Crépuscule d’Hermès en 2018 en est un autre exemple. Les cadrans de la montre, développés avec le CSEM, avaient été conçus dans une seule et même plaque de silicium de 0,5 mm d’épaisseur, sur laquelle était déposée, avec une extrême précision, une infime couche (72 nanomètres, soit moins de 1’000 atomes superposés) de nitrure de silicium, permettant d’obtenir la couleur bleue intense souhaitée. Ou quand technologie rime avec créativité artistique.

Dans la même logique, Christophe Blandenier, directeur exécutif de la société Blandenier SA, présente une évolution technologique d’un savoir-faire ancestral: «Nous avons récem-
ment mis au point une technique d’émail qui nous permet de reproduire avec beaucoup de réalisme l’effet vaporeux de nuages, de brumes ou de fumées, ce qui permet notamment d’accentuer le contraste entre le premier plan et l’arrière-plan d’un paysage.»

L’innovation sait aussi être simplement belle…ou au service de la diversité culturelle, comme le montre Nicolas Wiederrecht chez Agenhor: «Nous sommes spécialisés dans le développement et la production de quantièmes perpétuels grégoriens (de notre calendrier occidental). Nous avons mis sur le marché des mécanismes permettant l’affichage de quantièmes culturels. Il s’agit de quantièmes se référant à la mesure du temps d’autres cultures, à savoir pour le calendrier hégirien (utilisé notamment par la civilisation arabo-musulmane) et le calendrier traditionnel chinois.» Et l’innovation devient un pont culturel entre les peuples.

Quantième culturel développé par Agenhor pour H. Moser & Cie. Ce calendrier chinois montre les heures, minutes, secondes, la date, le mois, l'Année, et les Phases de lune, les Années chinoises et les mois embolismique.
Quantième culturel développé par Agenhor pour H. Moser & Cie. Ce calendrier chinois montre les heures, minutes, secondes, la date, le mois, l’Année, et les Phases de lune, les Années chinoises et les mois embolismique.

Une source d’optimisme

Preuve que l’innovation est aussi une marque de la résilience de l’horlogerie dans son ensemble, on retrouve à l’évocation du thème un optimisme caractéristique.

Frédéric Chautems de MPS le résume ainsi: «Le nombre de nouveaux projets n’a pas baissé. L’activité intense des clients marque la confiance dans l’avenir.» Alexandra Levesque de PX Group insiste sur la nécessité de continuer à investir dans l’innovation, en particulier dans ces périodes incertaines: «Il y a souvent des cycles baissiers dans l’horlogerie, c’est à ce moment qu’il faut consacrer encore plus de temps à l’innovation. C’est souvent ce qui permet de contrebalancer les baisses d’activité.»

Au final, l’innovation fait avancer l’horlogerie depuis sa création. La sous-traitance s’y est constamment attelée, de sa propre initiative ou pour répondre aux demandes de ses clients. Cela contribue à assurer la pertinence de l’horlogerie auprès des nouvelles générations. Cela participe aussi au storytelling marketing de l’industrie. Dans l’ombre, on invente de nouvelles merveilles. Certaines seront certainement déjà mises en lumière lors du salon EPHJ 2025.