esigner automobile depuis 20 ans, Olivier Gamiette porte un regard à la fois extérieur et passionné sur le monde de l’horlogerie. Après avoir imaginé les lignes de véhicules futuristes dans la journée, le Parisien passe la plupart de ses soirées à dessiner affichages, boîtiers et mécanismes. En 2015, sans aucune attache personnelle ni professionnelle dans l’industrie horlogère, il a publié de sa propre initiative un livre dédié à ses créations. En attendant de les voir concrétisées un jour...
L’univers graphique d’Olivier Gamiette se situe dans une filiation visible de la «nouvelle scène horlogère» qui, de Vianney Halter à Benoît Mintiens, a explosé les codes traditionnels de la montre depuis le milieu des années 1990. Alors que les dernières années ont plutôt vu un retour en force du vintage et de la tradition via de nombreuses rééditions, il nous paraissait intéressant de recueillir son regard en ce moment précis, cette année 2020 qui voit le monde horloger, bousculé par la crise pandémique, chercher un nouveau souffle commercial, créatif et existentiel.
Après avoir imaginé les lignes de véhicules futuristes dans la journée, le Parisien passe la plupart de ses soirées à dessiner affichages, boîtiers et mécanismes.
- Olivier Gamiette a publié un ouvrage dédié à ses designs horlogers prospectifs: “Soon Timepiece Phenomena: Adventures in Concept Watch Design”
- ©Olivier Gamiette
Europa Star: Comment êtes-vous «tombé» en horlogerie?
Olivier Gamiette: En 2012, dans le cadre de mon activité de designer pour le groupe PSA, nous présentions un concept car, le modèle Onyx de Peugeot incarnant la vision du future de la marque. Pour amplifier l’impact auprès du public, il est coutumier de jumeler ces voitures de rêve avec d’autres produits tout aussi fantastiques. Ainsi j’ai eu l’envie de dessiner une montre qui reprenait les lignes caractéristiques de cette voiture sportive. La démarche n’a pas abouti, mais elle a réveillé quelque chose en moi: j’ai retrouvé cette fascination que j’avais quand j’étais petit pour les petites pièces, les engrenages, les rotations hypnotiques de certains mécanismes, un brin magiques et surtout des formes incroyablement variées... C’est une aire de jeu créative tout à fait fantastique et abyssale! J’ai commencé à dessiner des montres de manière quasi obsessionnelle depuis lors.
- Olivier Gamiette
Au point de sortir en 2015 un livre présentant vos plans et designs horlogers...
Cela rejoignait un autre de mes projets de longue date: publier un livre de design. J’étais évidemment un néophyte dans le monde horloger. Par la suite, de nombreux lecteurs m’ont révélé que c’était une démarche originale, car personne ne mettait en avant de pures idées de designs horlogers comme cela, dans une publication aussi «prospective».
- Le jour, le créateur français dessine des concept cars. La nuit, des concept watches...
- ©Olivier Gamiette
Justement, n’était-ce pas une démarche un peu périlleuse, du point de vue de la propriété intellectuelle?
Il est vrai que j’ai eu un certain nombre d’appels pour savoir si mes dessins étaient protégés - sous-entendu: «Est-ce qu’on peut s’en inspirer gratuitement?» Comme pour n’importe quelle création, bien évidemment, ce n’est pas le cas mais je reste ouvert à toutes les propositions. Mes illustrations mettent souvent en avant des mouvements, des mécanismes ou des concepts d’affichage de l’heure qui pourraient donner lieu à des dépôts de brevets. En déposer pour chacune de mes inventions serait difficile à entreprendre. Je fais aussi attention quand je diffuse mes créations sur internet notamment.
«Je suis fasciné de voir à quel point l’audace des indépendants a pu bousculer les grandes marques pour qu’elles se réinventent.»
- End Gun Watch
- ©Olivier Gamiette
Continuez-vous à dessiner des montres aujourd’hui?
Oui, tous les jours! Et j’apprends sans cesse. C’est merveilleux car cela s’imbrique parfaitement avec mes acquis et mon expérience de designer automobile. Les deux univers se parlent et s’alimentent mutuellement. C’est surtout l’intention de créer de l’étonnement et de l’inédit qui reste inchangée. Je suis en mesure de réaliser à présent des maquettes et des prototypes que je peux tester au poignet et qui du coup amènent encore d’autres idées: c’est infini!
- Modèle Phenomena
- ©Olivier Gamiette
Quels sont vos principes de design en horlogerie?
D’une part je porte grand soin à la lisibilité des modèles: même si leur design peut sembler disruptif, je veille à ce que le concept soit limpide. C’est comme un bon plat, il ne faut pas chercher à tout mettre, sinon ça n’a pas vraiment de goût... Il y a une idée principale à mettre en avant, des priorités à hiérarchiser et une composition à orchestrer pour guider le public et créer l’émotion recherchée. Certaines montres exploitent la cacophonie graphique mais, pour ma part, ce n’est pas ce que je souhaite faire. D’autre part, je tiens à maîtriser les proportions de mes modèles, car à mon sens il faut qu’ils restent portables donc de taille modeste pour être assumés au poignet en toute circonstance - et surtout qu’ils soient détonants!
- Modèle La Magnifique
- ©Olivier Gamiette
Avec votre regard de professionnel extérieur à l’industrie, qu’est-ce qui vous surprend particulièrement dans le design horloger contemporain?
Je suis fasciné de voir à quel point l’audace des indépendants a pu bousculer les grandes marques pour qu’elles se réinventent. Cet objet aussi ancien qu’est la montre inspire toujours autant les créateurs et fascine encore. Cela se rapproche bien plus souvent de l’«art cinétique» que d’un produit vraiment utile. Il y a une réactivité de l’horlogerie indépendante que nous ne connaissons pas dans l’industrie automobile, dont l’inertie ne permet pas de s’inspirer de tout en temps réel. Le chemin de l’idée au produit fini semble plus rapide et plus aisé. J’aime cette capacité de reconsidérer l’existant, de s’extraire d’une forme inchangée depuis toujours finalement, pour lui donner une autre identité, de nouvelles vibrations et continuer à émerveiller. Je me suis tout à fait reconnu dans ces intentions.
«Il y a une réactivité de l’horlogerie indépendante que nous ne connaissons pas dans l’industrie automobile.»
- Hulk Watch
- ©Olivier Gamiette
On imagine cependant mal voir un jour des designs horlogers aussi décalés que les vôtres être adoptés par de grandes marques traditionnelles...
Bien sûr, comme en automobile il existe une branche classique de l’horlogerie, où tout est maîtrisé et qui représente beaucoup dans l’imaginaire collectif et les ventes - je le dis sans aucune connotation péjorative. Mes projets comportent peu de montres rondes et très peu d’aiguilles car il y a bien assez de créatifs dont c’est le métier et l’horlogerie traditionnelle n’a pas forcément besoin d’en avoir un de plus. Mon univers créatif se rapproche plus de celui des indépendants comme Max Büsser ou Vianney Halter, qui m’ont d’ailleurs encouragé après la publication de mon livre.
- Paradox Woman Watch
- ©Olivier Gamiette
Envisagez-vous de concrétiser vos dessins en montres tangibles et commercialisables?
Tout est une histoire de temps… et d’argent bien évidemment. J’explore ce qui serait envisageable car mes concepts frustrent beaucoup de personnes qui s’impatientent de les porter. J’ai suffisamment de dessins pour réaliser cinq autres livres mais plutôt que de «dilapider» des idées sur internet, il serait plus judicieux de leur trouver une autre issue... Aujourd’hui, je suis très libre dans mon approche au design horloger: formats, thématiques, types d’affichage, heures sautantes ou encore rétrogrades. Mon spectre créatif est volontairement étendu mais s’il devait y avoir une forme de «concrétisation», je sais qu’une identité et un fil conducteur devront être clairement définis.
- Modèle Carling
- ©Olivier Gamiette
Ma formation d’ingénieur et mon admiration pour les mathématiques, combinés à ma passion pour le style, m’amènent à m’imposer des défis perpétuellement. C’est ainsi que je crée et que j’amasse des centaines de pages qui regroupent mes idées. J’ai besoin de les laisser décanter avant de pouvoir identifier quelques semaines plus tard les meilleures d’entre elles. Celles qui passeront l’épreuve du «casting» seront transférées en couleur sur Photoshop puis en modélisation 3D pour un maquettage éventuel.
«Que ce soit pour le design automobile ou pour les montres, je commence toujours par une esquisse au crayon.»
- Une esquisse d’Olivier Gamiette
- ©Olivier Gamiette
Vous commencez toujours vos dessins au crayon?
Que ce soit pour le design automobile ou pour les montres, je commence toujours par une esquisse au crayon. C’est incontournable! Le crayon est pour moi le seul outil suffisamment rapide et agile pour saisir des idées qui peuvent arrivent tout le temps... même la nuit. Mes esquisses parfois très sommaires captent l’intention et concentrent des détails, des éléments mathématiques ou mécaniques qui auront un rôle important dans le futur concept. Depuis tout petit, j’ai une fascination pour les toupilles et le spirographe. C’est un outil purement basé sur des mathématiques et qui génère des formes absolument envoutantes. Cet équilibre entre le «beau» et la «science» m’inspire constamment.
- Modèle La Royale
- ©Olivier Gamiette
Reproduire ce qui existe déjà n’a jamais vraiment fait partie de mon processus créatif et c’est bien la recherche de la nouveauté sous toutes ses formes qui m’anime. Je suis entré dans l’industrie automobile dans les années 2000 car je voulais acquérir les compétences pour pouvoir créer ma propre voiture de sport, à l’instar de Franco Sbarro. Mais c’est un processus très complexe et quasi impossible, à vrai dire. En horlogerie, je retrouve un chemin plus abordable de la création jusqu’au produit fini.
- Number 5 Watch
- ©Olivier Gamiette
- Coppier Shield
- ©Olivier Gamiette