Portraits


PARAPHERNALIA: JEAN-MARC WIEDERRECHT

TOUJOURS TOUT OUBLIER POUR TOUT RECOMMENCER

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juin 2017


PARAPHERNALIA: JEAN-MARC WIEDERRECHT

PARAPHERNALIA: JEAN-MARC WIEDERRECHT

J

ean-Marc Wiederrecht, l’horloger fondateur d’Agenhor, a beau être titulaire de pas moins de sept Grand Prix d’Horlogerie de Genève (en tant que Meilleur Horloger Concepteur en 2007, pour Harry Winston en 2009, Van Cleef & Arpels en 2010, Hermès en 2011 et 2015 et Fabergé en 2015 et 2016) et d’une pléthore de brevets d’invention plus étonnants les uns que les autres, il n’en n’est pas moins un homme d’une modestie absolue, qui dit de lui-même «mon grand avantage est de tout oublier tout le temps car ça m’oblige à tout recommencer tout le temps.» Et grâce à ce perpétuel recommencement, Jean-Marc Wiederrecht invente des cheminements particuliers, emprunte des sentiers de création encore jamais explorés. Ce qui nous donne des pièces éminemment poétiques, qui disent le temps différemment - qu’on pense seulement au Temps Suspendu, à l’Heure Masquée ou à l’Heure Impatiente imaginées pour Hermès, au Pont des Amoureux ou au Midnight in Paris de Van Cleef & Arpels - ou débouche sur des inventions radicalement révolutionnaires comme le tout récent Visionnaire Chronographe pour Fabergé. Avec une constante: la recherche de la plus grande simplicité. A l’image de ces quelques objets qui nous dévoilent une part des origines et du cheminement de sa créativité.

Pierres: «J’adore les pierres, les regarder, les toucher. Des pierres simples, sans aucune valeur. L’une vient de Namibie, c’est de la Piétersite, qu’on a découvert seulement en 1962. L’autre, vient de Crète, d’un petit endroit loin de tout, dépourvu de route, que j’adore et où je vais souvent avec ma femme. Je n’ai pas besoin de paysages grandioses. J’adore la simplicité. C’est à la montagne ou là-bas, sous un arbre, à faire le vide, à regarder la mer, à voir bouger les branches d’un tamaris que me viennent mes meilleures idées horlogères. Ça prend des années, ça s’accumule lentement et puis tout à coup ça vient, c’est là. Et tout se met en place dans ma tête.»

Livre, Mesure du temps et de l’espace: «Quand j’étais à l’école d’horlogerie, j’ai beaucoup feuilleté et parcouru de livres. Ma seule mémoire est visuelle. Je suis très admiratif pour tout ce qui a été fait par le passé, avant l’ordinateur. Incroyable. Je n’invente rien mais je réinvente beaucoup de choses, toujours avec un profond respect de ce qui a été fait. Tout ce savoir horloger accumulé, il faut l’utiliser pour explorer aussi de nouvelles formes et fonctions. L’ordinateur nous ouvre des voies, permet des choses qui étaient inimaginables auparavant. Mais le but est toujours la clarté. Et exprimer le temps différemment.»

Porte-mine, dessins, maquettes: «Ce porte-mine tout simple, j’y tiens énormément. C’est devenu mon objet fétiche. Ce sont mes employés qui me l’ont offert. J’utilise toujours le crayon car je dois toujours effacer. Longtemps, il n’y a rien, et puis tout à coup ça vient alors je fais des dessins, des croquis. Là, il y a quatre pages, et ça suffit, tout y est, y compris les cotes, pour construire le chronographe inventé pour Fabergé. Je me suis dit: et si on faisait un trou au milieu du mouvement… tout est né de là. Après, les maquettes, c’est joli, mais c’est pour expliquer aux journalistes…»

Cadran solaire: «Ce cadran solaire que j’ai conçu a reçu la Médaille d’Or au Salon des Inventions de Genève en 1996. Il indique avec précision l’heure solaire vraie, l’heure civile d’été et d’hiver, la valeur de l’équation du temps, l’heure de Greenwich, les heures du lever et du coucher du soleil, la hauteur du soleil sur l’horizon, la longueur de la journée, la direction du Nord géographique… Grâce à deux cames, le style se déplace et les différentes indications s’ajustent d’elles-mêmes. Calculer tout ça a été une prise de tête, mais au résultat, c’est simple, c’est magique, ça n’a besoin de rien. Dans mille ans, dans dix mille ans, ça fonctionnera toujours.»

Projecteur super 8, de Bolex: «Mon père parcourait le monde entier, caméra amateur au poing, pour aller acheter des essences précieuses pour le parfumeur Givaudan. A son retour, il nous projetait ses films. J’ai ainsi voyagé mentalement dans le monde entier, dans les régions les plus reculées, et ça m’a donné une curiosité immense, un émerveillement face au monde. Je déteste la période actuelle de rejet de l’autre, de peur, de barrières et de frontières. L’autre, le monde, l’ailleurs me fascinent, m’attirent, m’enchantent.»

Locomotive dite « Crocodile », de Märklin: «Comme tous les petits garçons de mon époque, j’ai été fasciné par les trains électriques. J’ai toujours trouvé ces machines fabuleuses. Mais ça ne m’intéressait pas de les regarder simplement tourner. Non, je construisais des circuits compliqués, des gares de triage, des aiguillages. J’observais comment composer les trains puis je défaisais tout et je recommençais autrement. Je construisais des grues en mécano puis je les défaisais aussitôt pour les refaire autrement. Une fois finis, les objets ne m’intéressent plus. D’ailleurs les objets ne m’intéressent pas. Je pourrai vivre avec rien. J’aimerais bien vivre avec rien.»

PARAPHERNALIA: JEAN-MARC WIEDERRECHT
The indications of the Visionnaire Chronograph made by Jean-Marc Wiederrecht for Fabergé are displayed centrally with concentric counters, providing a reading that we see at a glance. Rather than having to look for the seconds, minutes and hours displayed at different places on the dial, all the indications are provided on one central dial. Reading is made even easier thanks to the chronograph hands in gilded aluminium with red tips.