Relancer une marque horlogère


Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

août 2025


Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

La famille Rosenfield, nouvelle propriétaire de la marque, n’a pas fait les choses à moitié pour la relance de cette manufacture directement issue de l’esprit des Lumières: des modèles dotés de mécanisations pionnières conçus par le maître horloger Kari Voutilainen qui lui-même a une longue histoire avec la marque, une communication en lettres majuscules avec un lancement fastueux depuis les Etats-Unis, associé à une stratégie de grande rareté et de finitions superlatives pour séduire les plus grands collectionneurs. Après le 19ème siècle sous la dynastie d’origine et la fin du 20ème siècle autour du duo Peter Baumberger-Derek Pratt, la marque entend bien connaître un troisième âge d’or sous la nouvelle ère Rosenfield-Voutilainen.

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n presque 100 ans et quatre générations d’activité éditoriale en horlogerie, nous avons couvert de nombreuses relances de marques historiques dans les colonnes d’Europa Star. Mais peu étaient aussi minutieusement orchestrées que celle d’Urban Jürgensen cette année. Il faut dire que la famille américaine Rosenfield, qui l’a reprise, a choisi d’approcher le maître horloger Kari Voutilainen pour conceptualiser les ambitieux modèles de cette renaissance. Et qu’elle a affiché des ambitions très fortes lors de l’événement de lancement, allant au-delà de tout ce que l’on avait pu voir pour des relances de ce type (depuis, peut-être, l’éclat retrouvé de Breguet à Versailles!).

Plusieurs années de préparation ont été nécessaires à cette renaissance, depuis la reprise de la marque en 2021. Et c’est à quelques milliers de kilomètres de la Suisse ou du Danemark, patrie de la dynastie Jürgensen, que les pemiers modèles ont été dévoilés: à Los Angeles, chez les Rosenfield, collectionneurs horlogers de longue date. Le père, Andrew, 73 ans, est un financier à succès et mécène; le fils, Alex, 38 ans, a fait carrière dans la mode et les médias: c’est lui qui, avec Kari Voutilainen, 63 ans, dirige la marque.

L’âge des Lumières, les débuts

Urban Jürgensen est une héritière directe de cet esprit des Lumières qui a forgé l’horlogerie moderne, en tant que science et en tant qu’art. C’est Jügen Jürgensen qui, à 28 ans en 1773, pose la première pierre en présentant en avril de cette année-là une montre à répétition à la Guilde des horlogers danois à Copenhague, ce qui lui vaut le titre de maître horloger. Il s’est formé auprès des meilleurs spécialistes en Suisse et en Allemagne, en ce siècle de décloisonnement des esprits et des frontières, lorsque hommes et femmes de sciences et de lettres - indistinctement - sillonnent l’Europe avec une soif de connaissance inextinguible.

Urban Jürgensen, son fils, est de la même trempe. Encore adolescent - et en pleine période révolutionnaire en cette fin de 18ème siècle, rappelons-le - il part faire son apprentissage au Locle chez Jacques-Frédéric Houriet, un proche de son père. Puis il pousse son grand tour jusqu’aux ateliers d’Abraham-Louis Breguet à Paris (où il rencontre également Ferdinand Berthoud) et de John Arnold à Londres, eux-mêmes très proches malgré le conflit qui oppose alors leurs deux nations - l’Europe des savants reste, elle, unie dans ses échanges par dessus le bruit des armes.

Urban Jürgensen, élève des plus grands dans toute l'Europe à la fin du 18ème siècle: Abraham-Louis Breguet, John Arnold, Jacques-Frédéric Houriet.
Urban Jürgensen, élève des plus grands dans toute l’Europe à la fin du 18ème siècle: Abraham-Louis Breguet, John Arnold, Jacques-Frédéric Houriet.

Le jeune apprenti danois s’abreuve donc aux meilleures sources de son temps (certains diront même, de tous les temps!). Il condense ses connaissances dans un ouvrage qui deviendra la référence pour tous les horlogers au Danemark, livre la cour royale de son pays en chronomètres de marine et obtient le droit de commercialiser ses propres créations (retrouvez une histoire plus détaillée d’Urban Jürgensen parue en cinq épisodes: 1, 2, 3, 4, 5)

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Les ateliers et la résidence d'Urban Jürgensen à Copenhague. L'horloger fournit la cour du Danemark, nation maritime, en chronomètres de marine.
Les ateliers et la résidence d’Urban Jürgensen à Copenhague. L’horloger fournit la cour du Danemark, nation maritime, en chronomètres de marine.

Pour Alex Rosenfield, «Urban Jürgensen a synthétisé plusieurs influences en une philosophie qui transcende les frontières: son travail alliait la précision française, le sens pratique britannique et l’artisanat suisse pour créer des montres à la fois techniquement révolutionnaires et d’une beauté exquise, à travers un prisme typiquement danois mêlant une élégante simplicité à une profonde appréciation du rythme du temps, façonné par les contrastes extrêmes des saisons nordiques.»

«Ce qui est en effet remarquable, complète Kari Voutilainen, c’est qu’il ne s’est pas contenté d’apprendre de ces traditions, il les a distillées pour en faire quelque chose qui lui est propre. Chez Breguet à Paris, il a puisé des principes de conception élégants et des connaissances théoriques, tandis qu’Arnold à Londres lui a inculqué l’ingéniosité pratique et l’ingénierie robuste indispensables à la création d’instruments de navigation maritime.»

Deux générations Jürgensen lui succèderont encore durant le 19ème siècle - une histoire complexe où plusieurs sociétés portant le même patronyme s’entrecroiseront (elles ne fusionneront finalement qu’au 21ème siècle!). Puis la marque connaîtra divers repreneurs et repositionnements, avant de retrouver des couleurs, enfin, dans le dernier quart du 20ème siècle...

Le deuxième âge d’or, la renaissance mécanique

Un beau jour de 1976, alors qu’il se promène dans Copenhague, un marchand et collectionneur suisse d’horlogerie, Peter Baumberger, entre dans une petite boutique gérée par un certain Christian Gundesen: celui-ci est le dernier propriétaire du nom Urban Jürgensen et présente dans son échoppe des montres anciennes, des publications et autres souvenirs du grand maître. Son éclat semble alors bien lointain mais il est provisoirement ravivé par la Guilde des horlogers danois (celle-là même qui deux siècles plus tôt avait reconnu le modèle fondateur de la dynastie), qui célèbre alors le bicentenaire de la naissance d’Urban Jürgensen.

La boutique est décorée pour l’occasion et attire l’oeil de Baumberger. Le charme opère: alors que l’horlogerie suisse commence à sentir le souffle de la révolution du quartz qui s’approche et emportera tout sur son passage, lui décide, à contre-courant, de redonner à Urban Jürgensen sa gloire d’antan.

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Peter Baumberger et Derek Pratt, artisans du «deuxième âge d'or» d'Urban Jurgensen entre les années 1970 et 2000. Leur objectif: valoriser les meilleures pratiques de l'artisanat horloger en pleine âge de l'électronique.
Peter Baumberger et Derek Pratt, artisans du «deuxième âge d’or» d’Urban Jurgensen entre les années 1970 et 2000. Leur objectif: valoriser les meilleures pratiques de l’artisanat horloger en pleine âge de l’électronique.

Pour cela, Peter Baumberger peut compter sur l’ingéniosité de l’un des plus grands horlogers de la seconde moitié du 20ème siècle: le Britannique Derek Pratt, pair de George Daniels. Ensemble, ils conçoivent une première série de montres de poche qui établissent un niveau de qualité remarquable, ouvrant la voie à une nouvelle génération de montres-bracelets.

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance
©Archives Europa Star 1991

Dans les années 1990, comme illustré sur ces pages d'Europa Star, Urban Jürgensen participe directement à la renaissance de la belle mécanique horlogère en Suisse.
Dans les années 1990, comme illustré sur ces pages d’Europa Star, Urban Jürgensen participe directement à la renaissance de la belle mécanique horlogère en Suisse.
©Archives Europa Star 1992

Boîtiers à gradins, cornes élégantes en forme de goutte et cadrans bicolores, givrés et guillochés à la main, minutieusement travaillés: autant de caractéristiques qui revitalisent l’héritage d’Urban Jürgensen, tout en innovant avec la volonté de créer une montre-bracelet mécanique aussi précise et efficace qu’un chronomètre de marine, ce qui débouchera en 2011 sur la présentation du calibre P8, le premier mouvement de la marque produit en série à l’ère moderne.

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©Archives Europa Star 2011

Un article de 2011 sur l'échappement à détente adapté pour montre-bracelet, fruit des travaux de Peter Baumberger et Derek Pratt, tout juste disparus. Avec l'aide de Kari Voutilainen et Jean-François Mojon, l'expert horloger Helmut Crott reprend alors les rênes de la marque.
Un article de 2011 sur l’échappement à détente adapté pour montre-bracelet, fruit des travaux de Peter Baumberger et Derek Pratt, tout juste disparus. Avec l’aide de Kari Voutilainen et Jean-François Mojon, l’expert horloger Helmut Crott reprend alors les rênes de la marque.
©Archives Europa Star 2011

Dès 1996, Peter Baumberger et Derek Pratt s’adjoignent les services d’un jeune horloger venu de Finlande, un certain Kari Voutilainen. Celui-ci devient rapidement un membre essentiel de l’équipe. «À l’époque, se souvient-il, j’avais créé une montre de poche à tourbillon qui était exposée à La Chaux-de-Fonds. Peter Baumberger a été très impressionné et a voulu l’acheter, mais j’ai décidé de la garder pour moi. Cette rencontre a marqué le début de notre relation, et j’ai rapidement commencé à travailler avec lui sur divers projets pour Urban Jürgensen aux côtés de Derek Pratt, l’un des véritables maîtres de l’horlogerie, qui avait une capacité unique à allier savoir-faire traditionnel et innovation technique.»

Au 21ème siècle, apogée des indépendants et artisans

La relation se poursuit même lorsque Kari Voutilainen décide de lancer son propre atelier: «En 2002, quand j’ai débuté comme indépendant, Peter était mon plus grand client, explique-t-il. Il m’a donné la possibilité de cette indépendance. Aujourd’hui, c’est en quelque sorte un retour à cette histoire.» L’horloger doit beaucoup à son passage chez Urban Jürgensen, en particulier son souci absolu de la finition, qui aujourd’hui devenu un trait distinctif.

Pour lui, la marque alors dirigée par Peter Baumberger était «en avance sur son temps», en proposant de mettre une production contemporaine au niveau des exigences du 19ème siècle, soit un artisanat sans compromis à la beauté discrète. Aujourd’hui, l’art de la finition domine tout l’imaginaire horloger et est certainement plus valorisé qu’à l’époque. A la disparition Derek Pratt et Peter Baumberger, c’est l’expert Helmut Crott qui assure la transition et poursuit leurs travaux (relire ici l’hommage, paru dans nos colonnes, d’Helmutt Crott à Peter Baumberger).

Andrew et Alex Rosenfield, une famille à la tête d'Urban Jürgensen.
Andrew et Alex Rosenfield, une famille à la tête d’Urban Jürgensen.
©Madison McGaw BFA

Puis, entre 2017 et 2021, la marque est orientée par un nouveau groupe d’investisseurs vers des ambitions de volumes plus importants, notamment des propositions dans le segment du sport-chic. Mais pour Kari Voutilainen, «l’essence même d’Urban Jürgensen, c’est de proposer une horlogerie exceptionnelle, rare et artisanale. Et il existe aujourd’hui un nouvel écosystème de collectionneurs et des réseaux de communications qui favorisent cette approche. Pour pouvoir nous positionner en ce sens, nous étions obligés de recommencer à zéro, en faisant table rase du passé immédiat. Cependant, je mesure pleinement, lorsque je travaille sur nos mouvements, que je contribue à une lignée prestigieuse, qui s’étend des conceptions révolutionnaires d’échappement d’Urban Jürgensen aux travaux révolutionnaires de Peter Baumberger et Derek Pratt.» Ce qui nous conduit à la renaissance en cours.

La collection 2025

Nous retrouvons le maître horloger finlandais dans une suite au bord de l’océan Pacifique pour évoquer cette renaissance. Quelques mois plus tôt, l’Oval Pocket Watch N°1 conçue par Derek Pratt pour Urban Jürgensen a été adjugée plus de 3,6 millions de francs chez Phillips. Cette montre de proche était issue de la collection privée d’Helmut Crott.

«The Oval», finalisée en 2005, est le fruit de plus de 20 ans de travail, puisque Derek Pratt avait débuté en 1982 cette œuvre magistrale. Les touches finales sur le modèle ont été apportées par Kari Voutilainen. Cette pièce unique est dotée d’un tourbillon volant une minute avec un mécanisme de remontoir à force constante intégré, un échappement à détente à ressort de type Earnshaw et un affichage des phases de la lune.

The Oval, adjugée l'an dernier pour plus de 3,6 millions de francs aux enchères, le fruit du génie de Derek Pratt, avec son tourbillon volant une minute doté d'un mécanisme de remontoir à force constante intégré, son échappement à détente à ressort de type Earnshaw et son affichage des phases de la lune.
The Oval, adjugée l’an dernier pour plus de 3,6 millions de francs aux enchères, le fruit du génie de Derek Pratt, avec son tourbillon volant une minute doté d’un mécanisme de remontoir à force constante intégré, son échappement à détente à ressort de type Earnshaw et son affichage des phases de la lune.

C’est aussi cette montre qui est le fil rouge conduisant directement à l’UJ1, la première des trois montres présentées pour cette relance. Ce modèle du 250ème anniversaire d’Urban Jürgensen, qui sert aussi de pont entre les époques, «transpose» la légendaire montre de poche ovale conçue par Derek Pratt en une montre-bracelet. Elle est ainsi dotée d’un tourbillon avec remontoir d’égalité qui fournit une force constante à l’échappement, et intègre une seconde morte.

Le modèle UJ-1 ou la miniaturisation du mouvement de The Oval - un vrai tour de force!
Le modèle UJ-1 ou la miniaturisation du mouvement de The Oval - un vrai tour de force!

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

La miniaturisation de ce mouvement représente un tour de force et l’homme qui a terminé The Oval en 2005 est aussi celui qui lui donne une nouvelle vie sous une nouvelle forme. «Sur la montre de poche, le remontage se faisait par une clé, alors qu’ici nous avons dû traduire tout le mécanisme pour fonctionner par la couronne, glisse Kari Voutilainen. L’architecture de la cage du tourbillon a aussi fait l’objet de nombreuses réflexions.» L’UJ-1 est produite en série limitée à 75 pièces, à raison de trois références de 25 exemplaires chacune, pour un prix de 368’000 CHF.

L'UJ-2: élégance, sens du détail, finitions exigeantes et, au dos, double échappement naturel, nouvelle signature de la marque.
L’UJ-2: élégance, sens du détail, finitions exigeantes et, au dos, double échappement naturel, nouvelle signature de la marque.

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Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

Les deux modèles suivants, l’UJ-2 à trois aiguilles et l’UJ-3, un calendrier perpétuel avec phase lunaire, se distinguent toutes deux, sur le plan mécanique, par le recours à un double échappement naturel, une nouvelle signature de la marque. Inspiré du travail d’Abraham-Louis Breguet, perfectionné par Kari Voutilainen et spécialement conçu pour cette collection, ce mouvement est doté de deux roues d’échappement qui transmettent une impulsion directe au balancier – un fonctionnement synchronisé visible sous le pont du balancier des deux modèles.

«Le balancier à ressort libre avec échappement direct à double roue est une aspiration que je m’étais fixée lorsque j’ai commencé ma carrière d’horloger indépendant, explique Kari Voutilainen. Je l’ai spécialement adapté à Urban Jürgensen. Ce design d’échappement incarne ce qui m’a motivé tout au long de ma carrière: le désir d’améliorer les principes traditionnels de l’horlogerie tout en respectant leur sagesse fondamentale. Son importance réside dans la manière dont il relève le défi séculaire de réduire les frottements tout en assurant un transfert d’énergie optimal, efficace et précis au sein d’une montre mécanique.»

Ce système transmettant une impulsion directe au balancier via un rouleau d’impulsion offre une efficacité énergétique supérieure de 30% à celle d’un échappement à ancre suisse traditionnel. La double roue, dotée d’un spiral et d’une courbe intérieure Grossmann, assure un transfert d’énergie plus fluide entre le train d’engrenages et les aiguilles. Ce nouveau mouvement servira de base pour de futurs designs et complications de la marque.

Avec son esthétique très pure et raffinée, sans ornements superflus, l’UJ-2 est la définition même de ce que l’on nomme aujourd’hui le «quiet luxury», mais que l’on pourrait tout aussi bien qualifier de luxe intemporel, car artisanal. Un luxe qui accompagne toute une vie, voire plusieurs générations, avec un sens de la précision et du détail sans égal et une finition entièrement à la main. Non limitée, l’UJ-2 est proposée dans quatre variations en platine ou or rose à 105’000 CHF.

L'UJ-3, fruit d'une collaboration avec Andreas Strehler, associe une indication de phase de lune précise pendant 14'000 ans à l'échappement naturel à double roue d'Urban Jürgensen.
L’UJ-3, fruit d’une collaboration avec Andreas Strehler, associe une indication de phase de lune précise pendant 14’000 ans à l’échappement naturel à double roue d’Urban Jürgensen.

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Enfin, fruit d’une collaboration entre Kari Voutilainen et le maître horloger et ingénieur Andreas Strehler, l’UJ-3 associe l’indication de phase de lune ultra-précise (précise pendant 14’000 ans) développée par ce dernier à l’échappement naturel à double roue d’Urban Jürgensen. C’est la première fois qu’un calendrier perpétuel produit en série est équipé de cet échappement.

Pourquoi avoir fait appel à Andreas Strehler pour ce modèle? «Car c’est le grand maître des calendriers!, répond tout simplement Kari Voutilainen. Et puis, je préfère travailler avec un ami, quelqu’un que j’estime et dont je connais la grande valeur.» Non limitée, l’UJ-3 est proposée à 168’000 CHF.

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Ce triptyque de créations, que l’on pourrait qualifier de néo-classique, et leur prix, positionne Urban Jürgensen sur un segment de (très) Haute Horlogerie. Les modèles illustrent les grandes ambitions de la marque pour son «troisième âge d’or»: ne pas se contenter de rééditions mais associer innovation mécanique et esthétique d’une grande élégance formelle. La collection présente aussi un nouveau design de boîtier sur des dimensions modérées, avec des cornes reconnaissables en forme de goutte.

La marque explore ainsi trois directions créatives distinctes, qui, chacune, ouvre de nombreuses perspectives, qu’il s’agisse d’un certain sens de la continuité avec l’UJ-1, de l’innovation avec l’UJ-2 et l’UJ-3.

Le défi: produire

Au vu de leur complexité mécanique et de l’exigence mise dans les finitions de chaque composant, le principal défi, maintenant, est d’«assurer la production», estime Kari Voutilainen, alors que les atouts déployés par la marque relancée et repensée lui attireront certainement une clientèle surnuméraire.

«Chaque montre Urban Jürgensen nécessite en moyenne un mois de travail pour un maître horloger, précise Alex Rosenfield. C’est pourquoi, dans un premier temps, la production sera limitée à de très petites quantités et nous travaillerons directement avec nos clients.»

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance
©Ellen von Unwerth

La finition n’est pas seulement une question de décoration, elle fait partie intégrante du caractère de la montre, souligne-t-il: «Prenez par exemple nos aiguilles «observatoire»: chacune est entièrement fabriquée à la main dans nos ateliers et nécessite plus de 50 opérations distinctes, dont un bleuissage à la flamme minutieux pour obtenir cette teinte bleue riche et profonde. L’aiguille des heures ajourée, avec son «œil» caractéristique, comprend à elle seule quatre composants distincts. L’anglage fini à la main de nos boîtiers crée de subtils jeux de lumière. Quant à nos cadrans guillochés à la main, ils nécessitent en moyenne quatre jours de travail par montre.»

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©Ellen von Unwerth

La marque s’appuie aussi sur les structures gérées par Kari Voutilainen, comme Brodbeck et son expertise dans le guillochage. Homme aux multiples talents et activités, le Finlandais peut de plus compter sur le soutien de sa fille Venla pour l’épauler (lire leur portrait commun dans notre numéro 3/25). Ce qui a facilité sa décision de se joindre à cette nouvelle aventure en 2021: «Je connaissais heureusement déjà bien la marque, mais il a fallu mettre en place beaucoup d’éléments pendant le covid, de la constitution de l’équipe à la commande de composants. Mais il n’y a pas d’autres solutions, si l’on veut faire des belles montres au toucher, cela prend du temps.»

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Des horlogers qualifiés sont formés et l’équipe grandit jusqu’à atteindre une vingtaine de collaborateurs à Bienne aujourd’hui: «Nous voulions une croissance maîtrisée, car il nous fallait aussi créer une culture d’entreprise propre.»

Venla Voutilainen s’occupe notamment du service après-vente au sein d’Urban Jürgensen – une marque qui est ainsi multigénérationnelle à la fois dans les familles Rosenfield et Voutilainen. «Je suis convaincu que c’est grâce au service après-vente que nous tissons des liens à long terme, estime Kari Voutilainen. Ma fille Venla est une maître horlogère accomplie, qui apporte son expertise technique et sa profonde compréhension de ce qui rend les montres Urban Jürgensen si spéciales.»

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De fait, l’«atout Kari» est déterminant dans la renaissance de la prestigieuse maison fondée à Copenhague en 1773, amenant immédiatement à cette relance une grande crédibilité horlogère, une légitimité et une visibilité, dans une ère où la Haute Horlogerie artisanale indépendante domine le paysage, ainsi qu’un pool de clientèle parmi les plus grands collectionneurs de la planète. Mais si la patte du Finlandais se reconnaît bien sûr dans les modèles et leurs finitions, ceux-ci sont assurément de signature Urban Jürgensen quant à leur esprit et leur filiation.

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

Les observateurs se demanderont certainement comment les deux marques co-existeront à des niveaux de prix assez proches (rappelons que les délais d’attente sont longs chez Kari Voutilainen, l’homme aux onze prix remportés au Grand Prix d’Horlogerie de Genève,un record pour un indépendant). Alex Rosenfield livre son analyse quant à leur différenciation: «Kari fonctionne comme un atelier avec une production très limitée, Urban Jürgensen se positionne davantage comme une «marque». Tout ne sera pas limité… mais tout sera fini comme seul sait le faire Kari.»

Jürgensen, Voutilainen, Rosenfield: des liens anciens

L’histoire de la famille Rosenfield vis-à-vis d’Urban Jürgensen plonge également dans des racines lointaines: dans les années 1990 déjà, Andrew Rosenfield, grand amoureux des marques horlogères indépendantes (dont Kari Voutilainen), collectionnait les modèles Urban Jürgensen sous l’ère de Peter Baumberger et Derek Pratt.

«Notre famille connaît Kari depuis longtemps: en rachetant la marque en 2021, notre premier réflexe a été de l’appeler, car nous étions conscients que l’entreprise avait besoin d’être dirigée par un horloger – d’autant plus de sa dimension et avec son expertise d’Urban Jürgensen», explique Alex Rosenfield.

A ses yeux, la propriété familiale permet de se concentrer sur le long terme: «Nous ne sommes pas motivés par le succès à court terme, ni contraints par une direction bureaucratique. Nous sommes libres d’investir, de moderniser et de développer l’entreprise en nous concentrant uniquement sur la création d’une valeur durable, tant pour nous-mêmes en tant que propriétaires que pour les collectionneurs.»

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance

Une bonne dose de «hygge»

L’image de marque d’Urban Jürgensen se veut aussi particulièrement originale et soignée, avec une identité visuelle reprenant l’écriture à la main du fondateur de la dynastie Jürgensen et une iconographie nordique-romantique avec une dose d’humour décalé. C’est là l’univers imaginé par Alex Rosenfield, ancien dirigeant dans la mode et les médias, chargé de la direction créative, de la stratégie, des opérations et du développement commercial d’Urban Jürgsenen, qui a pu mettre à profit ses précédentes expériences dans la communication et construction de marque.

Un imaginaire qu’il incarne jusque dans son style vestimentaire: lors de la soirée de lancement dans la magnifique «mansion» des Rosenfield à Los Angeles, on a d’ailleurs pu l’apercevoir portant un remarquable pantalon aux imprimés évoquant la vie et les créations des Jürgensen!

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance
©Casey Zhang

Alex Rosenfield insiste en particulier sur la joie tranquille que doit évoquer l’imaginaire d’Urban Jürgensen, proche de la notion toute nordique de «hygge», qui consiste à savourer les moments de la vie en toutes saisons et dans tous leurs contrastes. La campagne Time Well Spent, une série de portraits réalisée par la célèbre photographe de mode Ellen von Unwerth, illustre cette nouvelle image.

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance
©Ellen von Unwerth

Comme le signifie aussi le fastueux lancement aux Etats-Unis, c’est bien dans cette partie du monde, le marché horloger le plus dynamique des ces dernières années, que se joue désormais une partie du destin de la plus grande manufacture historique danoise.

Le spécialiste du chronomètre de marine a franchi un océan, mais l’Amérique n’est pas un horizon inconnu pour Urban Jürgensen - loin de là: il y a un peu plus d’un siècle, en 1919, Henry Freund & Bros., le principal distributeur de la marque à New York, s’était associée à la société biennoise Ed. Heuer & Co. pour acquérir les actifs d’Urban Jürgensen Copenhagen. Des séries de montres de poche fines, élégantes et innovantes avaient été produites, déjà à Bienne et sous propriété américaine, entre 1919 et 1930. L’histoire est un éternel recommencement, en horlogerie plus qu’ailleurs.

Urban Jürgensen voit grand pour sa renaissance
©Casey Zhang