Swatch Group


LA SWATCH, ÉTERNELLE INNOVATION DE RUPTURE

PORTRAIT

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mai 2017


LA SWATCH, ÉTERNELLE INNOVATION DE RUPTURE

Presque trente-cinq ans après son lancement, la petite montre en plastique connaît toujours un succès insolent. Les raisons de cette success story sont à chercher dans les fondements mêmes de sa création, où technologie, mode de production, marketing et design forment une quadrilogie parfaite.

«L

a durée de vie de ce projet devait être de cinq ans et 5 millions de pièces. Mais nous n’avions pas du tout prévu ce qui allait suivre, non!» A l’autre bout du fil, Elmar Mock éclate de rire. Le co-inventeur de la Swatch est, depuis près de trente-cinq ans, un observateur privilégié du succès planétaire de cette petite montre en plastique. Si ses débuts furent fulgurants – 4 millions de pièces vendues une année seulement après son lancement – c’est sa longévité qui interpelle aujourd’hui. Loin de s’essouffler, la Swatch réalisait encore à elle seule plus de 700 millions de francs de chiffre d’affaires en 2015, selon l’étude annuelle de la banque Vontobel sur l’industrie horlogère – une référence dans le domaine. Une réussite qui s’explique par le dynamisme jamais démenti de la marque, mais aussi et surtout par les fondements mêmes de ce qui fut à l’époque une innovation de rupture.

Pour se convaincre de l’extraordinaire engouement que connaît toujours la Swatch, il suffit de se remémorer les prix atteints aux enchères par plusieurs collections, ces dernières années: en 2011 à Hong Kong, les 4,363 modèles amassés par un couple suisse sont adjugés pour 6,6 millions de dollars; quatre ans plus tard, à Hong Kong toujours, ce sont près de 6 millions de francs, soit quatre fois le prix estimé, qu’offre un passionné pour les 5,800 exemplaires qu’un Luxembourgeois a patiemment réunis durant 25 ans; la même année enfin, à Genève, les quelque 4,000 objets conservés par les deux designers à l’origine de la Swatch, Bernard Muller et Marlyse Schmid, se sont arrachés en un coup de marteau pour 1,3 million de dollars.

Mais le marché des montres vintage n’est pas le seul à être florissant. Présente dans quelque 700 points de vente à travers le monde, la Swatch jouit actuellement d’une popularité toute particulière en France, en Italie, en Suisse et bien sûr en Chine. Installé à Zurich, le Swatch Lab continue ainsi à créer de nouveaux modèles avec le concours de designers, de graphistes et d’artistes reconnus, issus du monde entier. Un style résolument jeune et cosmopolite que l’on retrouve parmi les plus de 240’000 membres du Swatch Club, institué par la marque. «Outre un contact direct avec eux grâce aux réseaux sociaux, nous les rencontrons de façon régulière dans les évènements que nous proposons localement, souligne le Creative Director, Carlo Giordanetti. Pour le groupe des Gold & Pioneers, qui sont les plus enthousiastes et loyaux, nous organisons des moments très spéciaux, deux fois par an, et explorons le monde avec eux!»

Un accouchement dans la douleur

Cette success story, unique dans l’histoire de l’industrie de la mode, trouve son origine dans les circonstances et les développements qui ont amené à la naissance de cette véritable innovation de rupture. A commencer par le contexte économique de l’époque: au début des années 1980, cela fait plus de cinq ans que l’industrie horlogère suisse subit la plus grave crise de son histoire. Le choc pétrolier de 1973, suivi du renchérissement du franc suisse, et bien sûr du déferlement sur les marchés mondiaux de montres à quartz à bas coûts – notamment japonaises – précipitent bientôt la branche dans une situation catastrophique. Entre 1974 et 1983, la production de mouvements passe ainsi de 84 à 30,2 millions d’unités.

Faillites et licenciements se multiplient. Certaines marques sont vendues, alors que d’autres sociétés, notamment des fabriques de mouvements, fusionnent. En 1978 débute ainsi une série de rapprochements autour du motoriste ETA, qui ne s’achèvera qu’en 1982. Une année plus tard, toutes deux financièrement exsangues, la Société Générale de l’Horlogerie Suisse (ASUAG, propriétaire d’ETA) et la Société Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH) fusionnent sous la houlette d’un certain Nicolas G. Hayek. Naît alors la Société de Microélectronique et d’Horlogerie (SMH), rebaptisée Swatch Group en 1998.

Une révolution technologique

C’est dans cette ambiance pesante, paradoxalement propice à l’émergence de visions nouvelles, que se mettent progressivement en place les conditions du succès. En 1979, la division Micro Crystal d’ETA est la première société européenne à fabriquer des mouvements à quartz en série. Un jeune ingénieur horloger, Elmar Mock, est alors appelé à développer des isolants en plastique à l’aide d’une machine à injection. L’histoire est en marche. Se prenant au jeu, l’ingénieur va même jusqu’à reprendre des études en plasturgie. De nouvelles connaissances qui vont se révéler décisives à l’heure d’imaginer un nouveau concept.

Les grands enjeux du moment sont clairs pour tout le monde: seule une montre fabriquée en Suisse à bas coût sera capable de reprendre des parts de marché dans le segment d’entrée de gamme. Sans en avoir reçu l’ordre, Elmar Mock et son collègue Jacques Müller se mettent alors à imaginer un boîtier en plastique coloré. Une idée qu’ils auront bientôt l’occasion de défendre devant le directeur d’ETA, Ernst Thomke, à la faveur d’une remise à l’ordre pour avoir commandé une machine à injection d’un demi-million de francs. Sans le savoir, les deux hommes avaient mis dans le mille. «J’attends ça depuis plus d’un an!», s’exclame alors Ernst Thomke, cité par Elmar Mock dans son livre La fabrique de l’innovation.

Entre 1980 et 1983, Elmar Mock va donc adapter à l’horlogerie des techniques d’usinage du plastique appliquées, notamment, à l’industrie automobile. A l’image d’un clignotant, il va ainsi réussir à souder par ultrasons un polymère transparent – la glace – à un polymère coloré – le boîtier. Une solution qui, de facto, rend la montre irréparable, la boîte étant façonnée d’un seul bloc.

Le marketing providentiel

Le choix du plastique et la technique de soudure par ultrasons, s’ils n’ont l’air de rien, vont cependant rendre possible l’ouverture d’une nouvelle ère pour l’industrie horlogère suisse: celle de l’automatisation. Jamais, jusqu’alors, une montre n’avait été fabriquée en série. De plus, les lignes de production qui sont installées sont pratiquement exemptes de personnel, rendant les coûts de fabrication extrêmement bas.

Cette conception totalement révolutionnaire à l’époque, tant au niveau de l’utilisation d’une nouvelle matière, de l’architecture de la montre – le mouvement est fixé sur le fond et la platine disparaît – que du prix de revient, n’est pourtant pas encore suffisant pour expliquer le succès de la Swatch. Car de tocantes pas chères, le marché en est couvert. Franz Sprecher va radicalement changer la perception des choses. A une époque où le marketing n’est pas encore la machine à vendre qu’il est aujourd’hui, le concepteur indépendant, à la demande d’Ernst Thomke, va transformer la petite montre en plastique en un accessoire de mode. «Sa forme classique et simple permet d’y mettre ce que l’on veut, analyse Xavier Perrenoud, fondateur de l’Atelier XJC et professeur de design à l’Ecole d’art de Lausanne (ECAL). Ce n’est pas une montre, mais un concept. Qu’il est possible de renouveler en permanence. C’est un objet hors du temps. » Le 1er mars 1983, la Swatch – contraction de Swiss Watch – est lancée sur le marché suisse avec 12 modèles. Les premières semaines, le produit est perçu comme une hérésie par la branche et la marque peine à trouver des revendeurs. Sa condition de montre jetable, en particulier, horripile les professionnels. Mais très vite, le public suit et les ventes décollent. «A l’origine du concept, il y a aussi l’idée de «Second Watch», poursuit Carlo Giordanetti. Cette notion a révolutionné l’industrie horlogère et fondé un segment qui n’existait pas auparavant.»

Jusqu’à la fin des années 1970 en effet, l’achat d’une montre est un acte coûteux et souvent unique dans la vie d’une personne. La Swatch va laminer cette manière de faire. Portée par un design qui se renouvelle à un rythme soutenu, l’idée d’une montre supplémentaire – voire d’une troisième, puis d’une quatrième… – va propulser la petite montre en plastique au statut de phénomène mondial. Si aucun chiffre officiel n’est disponible, on estime à quelque 600 millions le nombre de Swatch vendues depuis le début.

«C’est une Prolex, s’exclame Elmar Mock, devenu un expert international dans le domaine de l’innovation. La Swatch est la Rolex du prolétaire: elle est belle, se reconnaît facilement, fonctionne bien et est robuste; on n’a pas peur de la prendre en vacances, de la perdre ni de se la faire voler; elle ne renvoie pas d’image dégradante, elle est faite pour tout le monde et personne ne commet de faute de goût en la portant. C’est la force tranquille...» Reste à savoir si le XXIe siècle aura raison du mythe? « Le XXe siècle fut celui de la coordination, conclut l’ingénieur. L’organisation était basée sur le temps, l’agenda et des lieux précis. Aujourd’hui, avec tous les appareils connectés, on se voit où on veut, quand on veut! C’est un changement de paradigme, dans lequel je ne suis pas sûr que la montre reste le métronome de poignet qu’elle était avant. Le temps demeure, mais le rythme accélère, passant de la musique classique au jazz. La Swatch va devoir suivre.»

LA SWATCH, ÉTERNELLE INNOVATION DE RUPTURE

Flik Flak ou la montre pédagogique

Le succès planétaire de la Swatch va bientôt donner une idée au Swatch Group. En 1987 naît Flik Flak, une marque entièrement dédiée aux enfants et calquée sur le modèle de sa grande sœur. L’objectif est triple: commercial d’abord, avec des produits spécialement conçus pour les 4-10 ans, notamment en termes de sécurité; pédagogique ensuite, grâce à l’élaboration d’une méthode ludique d’apprentissage de l’heure; stratégique enfin, car le port précoce d’une montre fait du bambin un futur client.

Lorsque Flik Flak est lancé sur les marchés, elle est la toute première marque à viser exclusivement une clientèle enfantine. En plus d’être étanches et résistantes aux chocs, les montres en plastique passent également par une batterie de tests qualité, portant notamment sur la solidité des matériaux et leur nocivité chimique.

Mais Flik Flak va plus loin: secondée par des experts, la marque a développé un concept pédagogique de l’apprentissage de l’heure basé sur deux personnages – Flik et sa petite sœur Flak – ainsi que sur un code couleur qui facilite la lecture. Le tout baignant dans des univers propres aux enfants, de la princesse au pirate, en passant par l’explorateur. Le principe éducatif porte ainsi non seulement sur le déchiffrage d’une montre, mais également sur l’accoutumance à en porter une. En grandissant et fort de sa bonne expérience avec Swatch Group, l’enfant sera peut-être tenté d’acquérir une Swatch, puis une Tissot, une Longines, etc…