i le Swatch Group a connu dans son ensemble un revers important en 2020, avec la première perte de son histoire (lire ici le rapport de gestion complet), les fortunes ont été diverses au sein des nombreuses marques qui le constituent. Plus encore que le critère du segment de prix, c’est bien l’état de préparation à une nouvelle ère horlogère, précipitée par la pandémie, qui a été mise à l’épreuve: en (très) résumé, un intérêt qui ne se dément pas pour le vintage et les icônes du patrimoine horloger, couplé à la possibilité d’acquérir ces modèles en ligne.
Cette «formule magique» pour séduire les nouvelles générations, Hamilton en a été un vrai poisson-pilote au sein du groupe. La marque a ainsi initié il y a sept ans déjà la vente en ligne sur ses principaux marchés, à commencer par les Etats-Unis. Elle n’est que peu dépendante des ventes en duty free et a intelligemment mis en route, sous l’impulsion de Sylvain Dolla (promu entre-temps à la direction de Tissot), la conquête des clientèles locales grâce à une offre néo-vintage prisée sur certains des marchés les plus «matures». La réédition de la Pulsar l’an passé en était une démonstration.
Du néo-vintage abordable vendu en ligne: cette recette n’est-elle pas appliquée par tous les nouveaux venus sur Kickstarter, sans avoir la légitimité de Hamilton?
- Une annonce d’Hamilton pour son modèle Pan Europ dans une édition de 1963 d’Europa Star, alors que la marque aux origines américaines venait de déménager à Bienne.
- ©Europa Star
Hamilton n’a pas appuyé sur l’accélérateur des prix et reste accessible pour des classes moyennes américaines, japonaises, coréennes ou européennes avec une bonne partie de son offre en-dessous du seuil fatidique des 1’000 dollars. Du néo-vintage abordable vendu en ligne: cette recette n’est-elle justement pas soigneusement appliquée par tous les nouveaux venus sur Kickstarter, sans avoir la légitimité de Hamilton? Rencontre avec Vivian Stauffer, qui a repris l’an passé les rênes de la marque, dont il était précédemment directeur des ventes durant près de 10 ans, et se profile dans la continuité de cette stratégie.
- Aujourd’hui CEO de Hamilton, Vivian Stauffer a commencé sa carrière en 2002 chez Swatch, où il a passé cinq ans en tant que membre de l’équipe sportive et commerciale. En 2007, il a rejoint Hamilton dont il est devenu responsable des ventes quatre ans plus tard.
Europa Star: Lors de votre présentation des nouveautés de cette année, vous avez eu une expression intéressante: Hamilton a bien résisté en 2020 grâce à un mélange «de chance et de stratégie». Quelle est la part de chaque facteur?
Vivian Stauffer: Il est vrai que nous avons connu des résultats bien meilleurs que ce que l’on peut voir pour la moyenne de l’horlogerie suisse. Nous avons notamment eu la chance que le film Tenet, le plus important outil de promotion de Hamilton en 2020, est l’un des seuls films qui soient sortis l’an dernier sur grand écran. La relance de la première montre à affichage digital avec la PSR a aussi connu le succès. C’était le bon produit au bon moment.
Mais il faut savoir provoquer la chance, comme on dit, et tout cela est le fruit d’une stratégie bien réfléchie. Nous avons toujours compté sur des clientèles locales fortes et sommes donc très peu dépendants des voyageurs internationaux pour nos ventes. De plus, nous avons été pionniers en e-commerce en lançant une plateforme de vente en ligne aux Etats-Unis dès 2014 et avions déjà des partenariats solides avec les plus grands sites de e-commerce comme Rakuten au Japon, JD en Chine ou encore Macy’s aux Etats-Unis. Nous avons aussi étendu les formules «click and collect» sur des dizaines de marchés avec nos détaillants. Au final, le e-commerce dans sa globalité (en incluant les sites de nos partenaires) a représenté plus de 30% de nos vente en 2021. Tous ces facteurs nous ont aidé à traverser cette période.
«Nous avons toujours compté sur des clientèles locales fortes et sommes donc très peu dépendants des voyageurs internationaux pour nos ventes.»
- La nouvelle version de la la Khaki Aviation X-Wind Automatic Chronograph de 45 mm se pare de motifs camouflage. Elle propose aux pilotes une fonctionnalité originale: la possibilité de calculer l’angle de dérive en fonction de la direction du vent, déterminant pour la navigation à haute altitude.
L’une de vos particularités est d’assumer une double identité en tant que marque aux origines américaines mais produite en Suisse. Comment faire un atout de ce qui pourrait sembler ambivalent?
La force d’être à cheval sur deux cultures est que nous pouvons bien adapter notre message selon le pays. L’état d’esprit américain de Hamilton est inépuisable. Dans un pays comme le Japon, par exemple, c’est un élément très apprécié. Les Etats-Unis restent aujourd’hui la terre de l’innovation, de SpaceX à Tesla! Dans d’autres pays, comme la Chine, nous mettons davantage en exergue notre savoir-faire suisse.
Votre production comprend de nombreuses rééditions et réinterpretations. Le patrimoine de la marque est riche. Sur quels critères décidez-vous quels modèles «ressusciter»?
Nous menons nous-mêmes, à l’interne, un travail constant de recherches dans nos propres archives. Il y a encore beaucoup de documents à découvrir ou à explorer. Nous avons aussi une étroite collaboration avec le National Watch and Clock Museum aux Etats-Unis, sur le lieu d’origine de la marque en Pennsylvanie. On en apprend tous les jours! Cela demande du temps, or nous sommes une petite équipe d’une cinquantaine de personnes.
En même temps, nous ne voulons pas faire de l’horlogerie purement «nostalgique» mais toujours essayer de créer la nouvelle montre du futur. Sur trois nouveaux modèles que nous présentons, nous pouvons, en amont, avoir développé six prototypes. C’est important de continuer à tenter des choses, avec un certain esprit «start-up». Notre nouveau modèle Ventura Elvis80 Skeleton incarne bien cet esprit.
- Cette fois automatique plutôt qu’électrique, la Ventura Elvis80 Skeleton permet d’observer sa mécanique à travers son cadran squeletté.
Dans l’horlogerie suisse, la valeur résiste mieux que les volumes. Le prix moyen à l’exportation augmente chaque année. L’accent est mis toujours plus sur la mécanique que le quartz. Votre stratégie comprend-elle aussi une forme de montée en gamme?
Non, notre stratégie vise à augmenter nos volumes de vente tout en nous battant pour conserver un prix abordable sur nos productions. Et cela fait longtemps que nous nous concentrons sur une production mécanique. Le défi est que d’année en année, les prix des composants augmentent. C’est une lutte constante.
Notre cœur de gamme se situe sur des montres entre 500 et 2’000 dollars, notamment les chronographes automatiques: sur ce segment, vous devez faire du volume. Nous essayons d’y parvenir avec des modèles de caractère. Même la Ventura, que nous animons cette année en version squelette et qui ne laisse certainement personne indifférent, vise à faire du volume!
«D’année en année, les prix des composants augmentent. C’est une lutte constante pour rester sur nos tarifs.»
- Hamilton a renouvelé son soutien à Smartflyer, une start-up qui planche sur l’élaboration d’un aéronef hybride-électrique afin de rendre le transport aérien plus durable.
Où se situent vos principaux débouchés?
Nos plus grands marchés sont les Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la Chine et l’Italie.
La ligne Khaki a une importance particulière pour votre marque... Vous en présentez plusieurs déclinaisons d’un coup cette d’année.
La Khaki est une collection désormais bien étoffée. Nous nous sommes inspirés des trois corps de l’armée américaine – marine, aviation, infanterie – pour en réaliser de nombreuses déclinaisons dédiées, comme cette année les différentes versions de la X-Wind Auto & Auto Chrono et plusieurs autres nouveautés à venir. L’un des modèles les plus populaires reste la Khaki Field Mechanical. Notre série American Classic est aussi très appréciée.
Justement, vous équipez l’Intra-Matic d’un calibre à remontage manuel...
Après la version Auto Chrono, il fallait qu’on arrive à ramener ce type de mouvement dans notre gamme de prix. La conception de ce nouveau calibre est le fruit d’un programme de R&D de plusieurs années avec ETA. Nous sommes très satisfaits d’avoir réussi à le sortir cette année. Et ce calibre devait être logé dans un boîtier d’un haut niveau: nous nous sommes inspirés pour cela de nos chronographes A et B vintage de 1968.
«La conception du nouveau calibre manuel équipant l’Intra-Matic Chronograph H est le fruit d’un programme de R&D de plusieurs années avec ETA.»
- La nouvelle Intra-Matic Chronograph H, avec cadran panda ou panda inversé, est animée par un mouvement de chronographe à remontage manuel, le calibre H-51.
A quand un retour au «présentiel»?
Nous sommes déjà en train de plancher sur la prochaine édition physique des Behind the Camera Awards, notre événement dans le cinéma que nous ne voulons pas remplacer par une conférence digitale. Nous avons aussi planifié un événement avec Air Zermatt pour fêter nos 10 ans de travail. On y travaille!