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MARQUES DE VOLUME

MOVADO GROUP: «LA VALEUR PERÇUE EST LA CLÉ DU FASHION»

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mai 2017


MARQUES DE VOLUME

Opérant notamment les marques sous licence Hugo Boss et Tommy Hilfiger, le Movado Group est l’un des géants mondiaux de la montre fashion. Son président Europe, Xavier Gauderlot, nous donne quelques clés de compréhension de ce marché.

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e Movado Group opère sous licence un grand nombre de marques fashion: Coach, Hugo Boss, Tommy Hilfiger, Lacoste, Scuderia Ferrari, Juicy Couture, Rebecca Minkoff , des modèles qui sont assemblés en Asie et n’affichent donc pas le label Swiss made. Cette activité, qui s’est très fortement développée ces dix dernières années (Hugo Boss passant par exemple de 4 à 80 millions de dollars de ventes entre 2005 et 2012), représente la moitié du chiffre d’affaires du groupe, qui détient par ailleurs en propre les marques horlogères Movado, Ebel et Concord.

Ce groupe – l’un des plus grands opérateurs de licences horlogères avec le Fossil Group, autre géant américain – avait mieux résisté à la crise que bon nombre de ses concurrents en 2015, enregistrant une croissance de 1.4%. L’an passé, ses ventes ont néanmoins reculé de 7,1%, à 552,8 millions de dollars. Elle a réagi en prenant des mesures d’économie, dont des réductions de postes, mais aussi en développant davantage sa présence en ligne, face à un réseau traditionnel retail américain à la peine sur les ventes de montres fashion.

A noter encore que le Movado Group s’est lancé dans la montre connectée, tant pour ses marques en propres que de licence, en collaboration avec HP Inc. Elle vient également d’annoncer un partenariat avec Google.

Le marché de la montre fashion est-il en forme, par rapport à celui des marques «traditionnelles»?

Il est très contrasté, car on note des différences géographiques bien marquées. En effet, contrairement au marché de la montre de luxe, celui de la montre fashion n’est pas encore très développé en Asie; le marché américain est lui très difficile pour tout le monde, car les détaillants y souffrent beaucoup; en Europe néanmoins, ce marché continue d’être porteur, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Nous affichons de bons chiffres de sell-out, alors que c’est loin d’être le cas de tout le monde actuellement sur le segment fashion.

Quelle est votre place dans cet écosystème horloger, où la concurrence est très forte et se renouvelle sans cesse?

Nous essayons d’amener une forte valeur perçue. Une montre à 200 euros doit avoir une valeur perçue de 1’000 euros. C’est la clé du fashion. Nous opérons par ailleurs une segmentation claire entre nos marques, nos produits et nos collections. Enfin, nous sommes très sélectifs dans la distribution: certains concurrents ont trop poussé la distribution de leurs montres, en acceptant de les diffuser partout. Or, au-delà de 5’000 points de vente dans le monde, on sait que la qualité des magasins ne sera pas au rendez-vous.

Il est frappant que certains grands noms de la mode, comme Dior, Chanel, Hermès ou Ralph Lauren, aient opté pour le développement d’un produit horloger haut de gamme et exclusif; quand d’autres ne semblent y voir qu’un «accessoire», dont la production et la promotion sont confiées à des tiers...

Si l’on se reporte à l’histoire, c’est Gucci qui a, le premier, lancé la montre fashion. Et à l’époque, la marque avait positionné ses produits assez haut de gamme. Ensuite, le Fossil Group a changé la donne avec les montres Armani d’entrée de gamme, à 200 euros. Pour ma part, je ne crois pas que le modèle de la montre fashion haut de gamme soit réellement porteur. En cause, notamment, le fait que des acteurs se lancent sur internet, comme Daniel Wellington, qui tirent le prix des produits toujours plus vers le bas. La montre fashion me semble la mieux positionnée entre 100 et 300 euros. Au-delà de 500 euros, c’est complexe.

Chronographe Hugo Boss

Vous-même, ressentez-vous fortement la concurrence d’un Daniel Wellington?

Nous le ressentons bien sûr, même si Daniel Wellington touche une clientèle sensiblement plus jeune, des millenials qui seront moins fidèles que des clients plus matures et qui pourront ensuite passer à une marque traditionnelle suisse, comme Tissot ou TAG Heuer, ou une marque de mode comme celles que nous représentons sous licence. Nous préférons voir ces nouveaux venus comme un «tremplin» pour toucher les millenials, au même titre que la montre connectée. Il existe des passerelles entre ces différents mondes.

Comment s’inscrire dans la durée, néanmoins, face aux assauts sans cesse répétés de nouvelles marques, récemment encore MVMT ou Cluse qui font une percée commerciale?

Nous avons appris à vivre avec l’éclosion permanente de nouvelles marques. Chaque deux ou trois ans, un nouveau venu connaît un certain succès autour d’une tendance, qui peut être à un moment un produit plus bling-bling, puis plus classique comme on l’a vu ces derniers temps. Mais le succès de ces marques est en général assez éphémère. Daniel Wellington a d’ailleurs fait la même erreur que beaucoup d’autres: de la sur-distribution, qui finit par éroder toute notion d’exclusivité et à lasser le consommateur sensible aux modes changeantes. Mais c’est sûr que nous sommes sans cesse en train de nous battre. Il faut sans cesse se développer, se réinventer. Nous ne sommes pas dans le monde du luxe, où l’on fait tourner le stock d’un magasin une fois par année. Dans le monde du fashion, la rotation minimale des stocks en magasin doit être de trois par an.

Quelle est la tendance qui vous oblige le plus à vous transformer en ce moment: la digitalisation de la vente ou l’arrivée de la montre digitale?

Très clairement la vente en ligne, qui est du reste beaucoup plus développée aux Etats-Unis ou en Asie qu’en Europe. C’est un changement majeur. On parle tout le temps du consommateur chinois qui vient voir la montre en boutique et finalement l’achète sur internet. Les jeunes font exactement la même chose. On voit qu’au Royaume-Uni, le tiers des ventes de montres se fait déjà sur internet. Nous sommes très présents sur le web. Et est-ce que le luxe peut se permettre de ne pas y aller? Je constate que le consommateur est de plus en plus engagé en ligne. On peut avoir des regrets, mais on ne peut y échapper.

La montre connectée me paraît quant à elle être d’abord un phénomène médiatique. Apple est certes devenue un très gros producteur de montres. Mais dans les faits, pour l’industrie traditionnelle ou fashion, le pourcentage de produits connectés reste minime. Il s’agit pour beaucoup en premier lieu d’occuper le terrain, de se profiler comme jeune et moderne... Tant qu’il n’y aura pas une avancée technologique majeure qui rendra la montre connectée autonome du téléphone, il me semble que cela restera une petite part du business global.

Seriez-vous prêts à accueillir de nouvelles marques sous licence?

Oui, nous venons d’ailleurs d’ajouter à notre portfolio Rebecca Minkoff, qui est particulièrement prisée des millenials. Mais nous sommes très sélectifs dans l’ajout de licences. Nous refusons des dossiers chaque semaine! Il y a toujours des opportunités, car des marques se créent en permanence. Mais notre premier critère, c’est que le partenaire ait une présence globale. Au final, le pool de prétendants répondant à nos critères est assez limité. Mais il y a un potentiel de croissance important sur toutes nos marques sous licence: nous préférons donc nous concentrer sur le développement de ces dernières.

En particulier, nous avons été plus lents que notre concurrence à développer l’Europe – il y a cinq ans encore, nous n’étions présents qu’en Suisse – mais aujourd’hui, l’essentiel de notre croissance y est le fait des montres fashion. La philosophie du groupe est de construire les marques sur le long terme, prudemment, sans exagérer la distribution, c’est aussi ce qui nous distingue sur un marché fashion très mouvant.


MOVADO GROUP BRAND PORTFOLIO

Proprietary brands: Movado, Ebel, Concord

Licensed brands: Coach, Hugo Boss, Tommy Hilfiger, Lacoste, Scuderia Ferrari, Juicy Couture, Rebecca Minkoff