Horlogerie et environnement


L’impact de l’or: reportage chez Metalor

ENVIRONNEMENT

English
juin 2022


L'impact de l'or: reportage chez Metalor

L’utilisation de l’or est l’une des sources principales d’impact environnemental et social de l’horlogerie. Pour mieux saisir les conséquences de cet approvisionnement, nous sommes allés à la rencontre d’un des plus gros affineurs au monde du précieux métal, dont les racines sont horlogères et qui a adopté une politique de transparence inédite dans un secteur discret. Rencontre avec Antoine de Montmollin, CEO de Metalor.

C

ertaines des plus grandes raffineries d’or se trouvent en Suisse, championne de la discipline: Metalor à Neuchâtel, Cendres + Métaux à Bienne, Pamp à Castel San Pietro (TI), Valcambi à Balerna (TI) et Argor Heraeus à Mendrisio (TI). Quelque 70% du métal précieux mondial serait transformé en Suisse.

L’un des ces acteurs se trouve au coeur de l’écosystème horloger, à Marin: une visite à l’usine de Metalor permet de mesurer l’étendue des défis auxquels est confronté ce groupe industriel, l’un des plus importants fondeurs d’or au monde. Les problématiques sont nombreuses: traçabilité et impact social de l’approvisionnement, consommation électrique de la production, transport des matériaux, utilisation de produits chimiques. Comment l’entreprise industrielle gère-t-elle ces défis? Et quelles sont les conséquences des choix opérés?

L’un des ces acteurs trouve ses racines au coeur de l’écosystème horloger: une visite à l’usine de Metalor permet de mesurer l’étendue des défis auxquels est confronté ce groupe industriel.

La délicate gestion de multiples certifications

Antoine de Montmollin, le CEO de Metalor, insiste sur le fait que sa société ne se fie pas seulement aux standards établis par les multiples certifications existantes, tellement nombreuses qu’elles en deviennent parfois illisibles: «Nous n’avons en réalité qu’un seul standard: le nôtre. Nous allons plus loin que les législations locales au travers de nos standards de groupe. Certains pays comme la Russie sont même exclus des listes de clients potentiels. Nos partenaires doivent répondre à nos exigences et nous organisons régulièrement des visites de mise en conformité sur site pour nous assurer que nos standards sont respectés - pour l’or comme pour tous les métaux précieux.»

Metalor fut le premier affineur certifié «Code of Conduct» et « Code of Practice» par le Responsible Jewellery Council (un organisme aujourd’hui dans la tourmente suite au conflit russo-ukrainien, lire notre article à ce sujet). Il est aussi l’un des membres fondateurs de la Swiss Better Gold Association lancée en 2013 et le premier de la profession à être accrédité référent London Bullion Market Association (LBMA) et London Platinum and Palladium Market (LPPM). La société multiplie ainsi les certifications: 29 différentes à ce jour!

L'écosystème de Metalor
L’écosystème de Metalor

Ce nombre élevé de certifications exige un suivi continu: «Un département entier se dédie à cette activité et nous menons des audits toute l’année, précise Antoine de Montmollin. C’est le coût pour garantir l’éthique et la qualité de notre travail.» Tous les sites de production de Metalor sont certifiés ISO 9001, portant sur le management de la qualité. Le groupe est d’autre part le premier affineur ayant obtenu la certification ISO 17034, qui l’autorise à produire les métaux de référence pour les contrôles de qualité.

La société multiplie les certifications: 29 différentes à ce jour. Un département entier se consacre à leur suivi.

L'impact de l'or: reportage chez Metalor

L’expérience du photovoltaïque mexicain

Antoine de Montmollin résume son approche: «La base dans notre métier est de connaître nos clients et nos fournisseurs. Effectuer notre due diligence en profondeur est primordial. La provenance ne peut-être garantie que pour 50% de la production mondiale de l’or. Nous nous restreignons donc à cette partie identifiable et refusons de nous approvisionner en or au-delà. Nous devons être le plus transparents possible.»

Depuis deux ans, Metalor publie un rapport CSR complet, dans lequel sont divulgués les objectifs et les résultats atteints ou non. Le groupe s’appuie sur trois piliers fondamentaux: la «transparence et un approvisionnement responsable», la «responsabilité envers la société» et l’«impact environnemental».

La production est fortement consommatrice d’électricité, source importante d’émissions de CO2. Metalor veut baisser cette utilisation électrique de 45’695 MWh en 2021 à 38’389 MWh en 2030, soit -16%. Pour cela, la société va déployer un parc photovoltaïque sur 9 de ses 14 sites de production. L’expérience menée en 2021 au Mexique (un site qui fonctionne à près de 80% grâce au photovoltaïque) l’a convaincue du bien-fondé de cette démarche, pour laquelle un budget de CHF 12 millions a été débloqué.

A la tête de Metalor depuis trois ans, le dirigeant a ouvert le dialogue avec différentes parties prenantes: fournisseurs, clients, ONG et presse. Dans un univers où le secret est la règle, cette stratégie détonne.

«La décision a été prise très rapidement par Tanaka (le groupe japonais propriétaire de Metalor, ndlr), explique Antoine de Montmollin. Ils comprennent les enjeux et soutiennent les investissements. La gouvernance familiale est un accélérateur dans ce domaine.» Le groupe a déjà vu ses émissions carbone réduites de 30% de 2018 à 2021, de 22’552T à 15’552T, alors même que son chiffre d’affaires augmentait de 27%. L’objectif visé est de continuer à baisser ces émissions de 11% par an jusqu’en 2030.

Cet objectif passe également par des améliorations en matière de récupération de chaleur, d’efficience des systèmes de refroidissement, de contrôle de consommation d’eau. «Nous regardons aussi comment améliorer l’efficience de nos fours partout dans le monde et minimiser l’impact du transport dans nos activités», ajoute le CEO.

L'impact de l'or: reportage chez Metalor

Un passeport pour tracer l’or

Certains chantiers restent prioritaires, à commencer par la traçabilité. Le groupe industriel souligne investir d’abord dans l’innovation pour améliorer ce point. En 2019, il a mis au point le «Geoforensic Passport» dans son activité minière - une validation scientifique de la provenance de l’or, soit la détermination de l’«ADN» de l’or en fonction de sa mine d’extraction précise. Une petite révolution qui vise à éviter les flux «gris» qui sortent de l’or de pays en conflit ou de mines réputées pour la dureté des conditions de travail ou leurs liens avec le blanchiment d’argent de la drogue, comme la mine de la Rinconada au Pérou, la plus élevée du monde dans les Andes.

Les plus pessimistes y verront une certification a posteriori, les plus optimistes une garantie de provenance infalsifiable. L’outil s’avère à l’évidence utile, d’autant plus que Metalor a décidé d’ouvrir le procédé en open source à tous les acteurs qui le souhaitent. L’intérêt des autorités concernées ne s’est pas fait attendre: le Brésil et la Tanzanie y ont immédiatement vu un moyen pour aider à lutter contre les pratiques illégales, dangereuses pour les populations autochtones et néfastes pour l’environnement.

«Cela n’empêchera pas forcément l’exploitation sauvage de ces endroits, mais cela rendra la distribution de leur or beaucoup plus compliquée et donc potentiellement, à terme, réduira fortement l’intérêt de leur exploitation», relève Antoine de Montmollin.

L’or recyclé représente près des 64% des volumes raffinés chez Metalor. «Sa traçabilité est plus complexe», concède Antoine de Montmollin.

Au-delà de l’encadrement de l’extraction de l’or, que se passe-t-il à l’arrivée des «dorés» sur site? Comment sont-ils identifiés? «Chaque lot est traité séparément, pour une raison évidente: nous devons d’abord échantillonner et évaluer chaque lot afin de pouvoir régler la facture au fournisseur avant de les affiner à 999,9‰», répond le responsable.

Et pour l’or recyclé, qui représente près des 64% des volumes raffinés chez Metalor (ainsi que 87% de l’argent, 99,83% du platine et 99,84% du palladium)? «C’est plus complexe», concède Antoine de Montmollin. «L’or recyclé provient de secteurs divers, comme le médical, l’aéronautique, l’électronique ou les bijoux anciens, mais il est impossible à ce jour de savoir où il a été extrait. Une fois sorti de terre et entré dans le système, c’est le flou. Son impact en émissions de CO2 est évidemment très faible comparé au minier, mais pour la traçabilité nous devons faire confiance à nos standards comme les Codes of Practices et Codes of Conduct du RJC. Et nous ségreguons les sources dont nous sommes totalement sûrs. Toutes ces informations sont ensuite intégrées dans notre application «Metalor Check» qui permet d’identifier l’or Metalor (lingots, barres, etc). C’est un écosystème complet que nous oeuvrons à mettre en place.»

L'impact de l'or: reportage chez Metalor

Des racines horlogères

Un rappel historique s’impose pour comprendre le chemin parcouru par la société. Il commence en 1852, au Locle, par la fondation de la société Martin de Pury & Cie, qui fond de l’or utilisé pour la fabrication des boîtes des montres de poche. Elle est rachetée en 1864 par la Banque du Locle, puis par la Société de Banque Suisse en 1918. La structure de l’entreprise évolue au fil du temps. De filiale bancaire, elle devient indépendante en 1998, reprise par un groupe d’investisseurs privés dirigé par Ernst Thomke.

L'usine Métaux Précieux SA, ancêtre de Metalor
L’usine Métaux Précieux SA, ancêtre de Metalor

Le nom Metalor Technologies apparait en 2001. À nouveau revendue à un groupe privé d’investissement, Astorg Partners, en 2009, le dernier changement date de 2016: l’entreprise familiale japonaise Tanaka Kikinzoku, établie en 1885, reprend les rênes. Comme Metalor, la compagnie nippone est l’un des plus gros acteurs dans le secteur des métaux précieux et l’un des cinq référents du London Bullion Market Association (LBMA) et du London Platinum and Palladium Market (LPPM). Le cadre est posé avec des objectifs industriels globaux.

L'impact de l'or: reportage chez Metalor

Les mines artisanales en question

Une gouvernance claire permet de prendre des décisions difficiles plus rapidement. Ainsi, lorsqu’Antoine de Montmollin a voulu arrêter de se fournir auprès des mines artisanales (ASM) fin 2019 au risque de se voir accuser d’abandonner les populations locales qui en dépendent (près de 100 millions de personnes, ndlr), la décision a été prise en quelques jours. «C’est le prix à payer pour assurer cette transparence qui est essentielle pour notre activité, précise le CEO. Nous n’étions plus en mesure de garantir la provenance réelle de l’or des ASM, ni la qualité des méthodes d’extraction, ni celle des conditions de travail. Cela a créé un petit séisme dans notre monde discret. Nous nous sommes retirés des ASM avec regret car nous avons bien conscience de la nécessité de soutenir les millions de personnes qui en dépendent. Mais notre volonté première est la garantie de cette traçabilité.»

La porte n’est toutefois pas complètement fermée à la collaboration avec les mines artisanales, souligne Antoine de Montmollin: «Nous restons à l’écoute de projets portés par des partenaires potentiels et nous nous sommes déjà réengagés dans deux projets.» Le premier est l’affinage de l’or provenant de la mine péruvienne de Yanaquihua, dont Metalor affine l’or depuis 2020 dans le cadre de son partenariat avec Swiss Better Gold et le SECO .

Le deuxième est un projet philanthropique dans lequel l’affineur est engagé avec l’ONG Alliance for Responsible Mining en finançant une partie du processus de certification Fairmined d’une mine artisanale en Colombie. Le but visé consiste à accompagner ce type de mine vers la certification afin de garantir la production d’or ASM éthique et accroître la sensibilisation des orpailleurs aux préoccupations environnementales.

«Nous n’étions plus en mesure de garantir la provenance réelle de l’or des mines artisanales, ni la qualité des méthodes d’extraction, ni celle des conditions de travail.»

Pour Antoine de Montmollin, le changement de propriétaire s’est avéré bénéfique aux démarches initiées par son entreprise: «Faire partie d’un groupe familial comme Tanaka permet de prendre des décisions rapides. Les décisions de sortir des ASM, d’investir 12 millions de francs dans le photovoltaïque ou de financer une mine en Colombie en vue de sa certification Fairmined... sans en utiliser l’or par la suite n’aurait pas été possible ailleurs. La philanthropie ou toute décision dont le retour sur investissement n’est pas immédiat sont des concepts étrangers aux grands groupes d’investisseurs.»

A la tête de Metalor depuis trois ans, le dirigeant a opté pour le dialogue avec les parties prenantes: fournisseurs, clients, ONG et presse. Dans un univers où le secret est la règle, cette stratégie détonne: «La volonté est d’adopter une transparence à tous les niveaux, explique-t-il. Nous souhaitons montrer que nous n’avons rien à cacher. Notre rapport CSR s’inscrit dans cette logique. Nous sommes conscients du chemin qui reste à parcourir, mais nous pensons que le fait d’en parler ouvertement contribue à propager les meilleures pratiques.»

L'impact de l'or: reportage chez Metalor

Circuits locaux ou globaux?

L’activité de Metalor s’est fortement développée à travers le monde depuis les années 1960 avec l’ouverture de multiples sites - d’abord en France (1963), puis aux Etats-Unis et au Mexique (1989 et 1997), en Chine à Suzhou (2003 et 2014) et Hong Kong (2007), enfin au Japon, en Corée du Sud (2011) et à Singapour (2013).

Toutes ces ouvertures d’usines sur de multiples continents ne vont-elles pas à l’encontre d’une réduction de l’impact carbone de Metalor? «Pas du tout, répond Antoine de Montmollin. Au contraire, ces usines ont été créées dans les régions où leur production est utilisée. Nous évitons ainsi le transport intercontinental et son impact majeur.»

Quid des traitements chimiques utilisés pour la production? «Cela reste un des points d’amélioration, concède le dirigeant. Nous travaillons sur d’autres solutions que le chlore, comme l’utilisation de l’eau oxygénée. D’autre part, nos produits chimiques étant principalement des acides et des bases inorganiques, nous effectuons des opérations de neutralisation acido-basique dans notre station de traitement des eaux usées. Ce procédé nous permet ensuite de transférer les effluents, après avoir effectué les analyses quotidiennes sur la base de l’Ordonnance sur la protection des eaux (OEaux), à la station d’épuration communale sous la supervision des autorités SENE. Dans d’autres cas spécifiques, nos résidus chimiques sont traités par la voie des déchets spéciaux auprès d’un partenaire autorisé et certifié.»

Toute démarche ESG tient in fine à la gouvernance et la vision à long terme de l’entreprise. A ce titre, Metalor fait preuve d’une démarche ouverte, par sa propre initiative, par les incitations de la société civile ainsi que par des clients finaux sous pression croissante de provoquer le changement, dans l’industrie horlogère comme ailleurs. De multiples paramètres qui poussent à des évolutions vertueuses.