Horlogerie et environnement


Mondaine: leçons de durabilité dans l’entrée de gamme

ENVIRONNEMENT

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juin 2022


Mondaine: leçons de durabilité dans l'entrée de gamme

Le concept de durabilité est devenu central en horlogerie. Les marques de luxe commencent à exprimer leur volonté d’améliorer leur approche. Mais quelques leçons précieuses en la matière peuvent aussi être tirées du segment de l’entrée de gamme. Comme en attestent nos archives, le groupe Mondaine, connu pour le design emblématique de sa montre de gare CFF abordable, a été l’un des premiers horlogers à adopter des approches plus sensibles à la durabilité.

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ace à la problématique croissante d’un développement mondial plus durable, les communications sur le thème de l’ESG fleurissent dans toutes les industries. Certaines authentiques et soutenues par de réelles évolutions, d’autres constituant des exemples flagrants de «greewashing». L’horlogerie ne fait pas exception.

Comme nos propres archives peuvent en témoigner, un horloger en particulier n’a pas attendu que la durabilité devienne à la mode pour agir. Le groupe Mondaine est connu pour ses montres de gare CFF abordables, ainsi que pour sa marque tout-terrain Luminox et les modèles qu’il produit sous licence comme ceux de Pierre Cardin.

Les frères André et Ronnie Bernheim, co-propriétaires du groupe Mondaine
Les frères André et Ronnie Bernheim, co-propriétaires du groupe Mondaine

«Être éco-conscient et responsable est d’abord ancré dans l’éducation que nous avons reçue de nos parents, souligne André Bernheim, co-propriétaire du groupe familial avec son frère Ronnie Bernheim. En ce qui concerne l’entreprise, tout a commencé avec la première montre solaire analogue au monde, introduite par Mondaine en 1973. Puis, en 1983, nous avons lancé la M-Watch, une montre d’entrée de gamme à quartz réparable. Le jetable n’a jamais été notre manière de faire.»

«En 1983, nous avons lancé la M-Watch, une montre d’entrée de gamme à quartz réparable. Le jetable n’a jamais été notre manière de faire.»

Mondaine: leçons de durabilité dans l'entrée de gamme

Série d’initiatives pionnières

Dans les années 1990, Mondaine a collaboré avec un collecteur de déchets métalliques zurichois afin de fondre ceux-ci et en faire des barres de métal pour créer les boîtiers de ses montres. «C’était la première fois qu’un métal recyclé 100% post-consommation était utilisé - aujourd’hui on appelle cela simplement de l’upcycling», poursuit André Bernheim. Dès 1992, Mondaine a reçu un prix du Forum Economique Mondial, remis par l’Aga Khan, pour ses initiatives d’upcycling.

Un article paru en 1992 dans Europa Star sur la montre recyclée de Mondaine, à une époque où cette question n'était pas encore très répandue.
Un article paru en 1992 dans Europa Star sur la montre recyclée de Mondaine, à une époque où cette question n’était pas encore très répandue.
©Europa Star 1992

«C’était fantastique, mais cela passa totalement inaperçu auprès des consommateurs, relève le co-propriétaire du groupe Mondaine. Je pense que cela arrivait trop tôt. Mais cela ne nous a pas freinés dans notre démarche des 3R (réduire, réutiliser, recycler). En 2013, nous avons lancé nos bracelets de montre en plastique PET recyclé. A nouveau, c’était encore trop tôt au niveau des consommateurs. Nous avons réellement senti un changement d’état d’esprit à partir de 2016. Suite à l’ouverture du tunnel du Gotthard, nous avons utilisé le métal d’une vieille locomotive pour nos boîtes et nos lunettes. Et les consommateurs ont finalement montré de l’intérêt! Nous avons donc continué d’avancer.»

La montre Gotthard, fabriquée à partir d'une locomotive mise au rebut
La montre Gotthard, fabriquée à partir d’une locomotive mise au rebut

Le groupe a ensuite cherché une alternative au plastique pour une nouvelle série de montres Mondaine/SBB baptisée «essence». L’huile de ricin semblait prometteuse, mais se révélait trop fragile pour une boîte de montre. «Après de nombreux essais, nous avons ajouté de la fibre de verre et cela a fonctionné, explique André Bernheim. Notre collection essence contient 70% d’huile de ricin et de fibre de verre. Nos bracelets sont composés à 50% de cette huile ou sont réalisés en PET recyclé; la doublure est en liège ou dans d’autres matières durables. Cette ligne représente notre entrée de gamme chez Mondaine, preuve que la durabilité n’est pas obligatoirement onéreuse. C’est notre philosophie!».

«La collection «essence» réalisée à partir d’huile de ricin et de fibre de verre représente notre entrée de gamme chez Mondaine, preuve que la durabilité n’est pas obligatoirement onéreuse. C’est notre philosophie!»

La collection essence de Mondaine
La collection essence de Mondaine

Neutralité carbone

Ces initiatives expliquent comment la société est devenue neutre en carbone en 2020. «Nous avons poursuivi nos efforts, souligne l’entrepreneur. Depuis trois ans, notre nouvelle centrale électrique photovoltaïque génère jusqu’à 80% de la consommation électrique dans notre usine suisse. En 2020, nous sommes devenus la première entreprise horlogère neutre dans ses émissions carbone, pour nos quatre marques, incluant les Scope 1, 2 et 3. En 2021, nous avons largement confirmé cette position en élargissant le Scope 3 pour intégrer l’expédition au consommateur final dans notre bilan carbone. Bien sûr, nous devons encore compenser une partie incompressible d’émissions dues à notre activité. Nous le faisons au travers de la reforestation, car nous estimons qu’il est important de réduire ses émissions et de développer dans le même temps le captage de CO2 en replantant des arbres.»

La première montre solaire analogique présentée par Mondaine en 1973
La première montre solaire analogique présentée par Mondaine en 1973

Ces dernières années, l’entreprise a également oeuvré à réduire l’impact de l’utilisation du cuir animal, qui représente un part importante de son empreinte carbone: «Depuis le printemps 2022, nous avons commencé à remplacer les cuirs animaux par du cuir vegan à base de raisin pour la marque Mondaine. Nous avons lancé un partenariat avec VegeaTM, une entreprise italienne spécialisée dans la transformation des résidus de la filière viticole en une alternative de cuir végétal. C’est respectueux des animaux et aucun solvant, métaux lourds ou autres substances nocives ne sont utilisés dans le processus de transformation des déchets de peaux de raisins, grappes et graines en cuir végétal. Un vrai processus d’upcycling.»

Aujourd’hui, quelle est la plus grande source d’émissions de CO2 pour Mondaine? «C’est le transport des composants vers notre usine de production, puis des montres vers le consommateur final, répond André Bernheim. Nos clients choisissent le mode de transport et c’est souvent l’avion qui est retenu. Nos lots sont fait à la commande, donc le temps est un facteur sensible car personne n’aime attendre de nos jours...»

L’approvisionnement en Asie, grand point d’interrogation

Mondaine importe de nombreux composants depuis l’Asie. Une production en Suisse ne réduirait-elle pas substantiellement ses émissions? Le co-propriétaire clarifie les enjeux: «L’industrie horlogère est tellement concentrée sur le haut de gamme qu’il est impossible de trouver des prix d’approvisionnement assez bas pour les produits d’entrée de gamme de nos marques. Auparavant, nous faisions venir les composants par train, car l’impact carbone est relativement limité. Du fait des tensions liées au Covid-19 et à la guerre en Ukraine, nous sommes obligés de passer par le transport par air jusqu’à Dubai, puis par mer à partir de là. C’est très compliqué de faire autrement.»

Malgré ces défis importants sur la chaîne d’approvisionnement, le groupe s’attend à voir les consommateurs réagir de plus en plus positivement aux produits éco-responsables. «Notre collection essence lancée en 2017 se développe bien et représente aujourd’hui près de 15% de nos ventes, note André Bernheim. L’Europe y a répondu positivement, ainsi que les Etats-Unis, en particulier dans les grandes zones métropolitaines comme San Francisco, New York ou Chicago. Nous sentons que les consciences s’éveillent partout sur ces marchés et espérons voir l’Asie se développer également.»

Le groupe a développé en 2019 le premier programme de recyclage de ses montres dans son usine suisse de Biberist, dans le canton de Soleure: «Nous voulons aussi faire notre part dans la fin de vie des montres et créer une vraie circularité. Nous reprenons toutes les marques de montres - sauf celles de tiers en plastique - et aidons à les recycler. Nous souhaitons bien sûr demeurer neutres en CO2, sur les trois Scopes, voire devenir positifs pour le climat à terme (ndlr, en économisant plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’ils n’en génèrent). Et nous étendrons l’usage de notre cuir végétal à toutes nos collections. C’est encourageant de voir que les consommateurs sont de plus en plus concernés par ces problématiques.»

«Nous sentons que les consciences s’éveillent sur les marchés européens et américains et espérons voir l’Asie se développer également.»

Enfin de la reconnaissance

Mondaine est nominée au Green Business Award cette année. Une belle reconnaissance pour les efforts de l’entreprise sur plusieurs décennies. «C’est une compétition organisée pour les entreprises les plus éco-responsables, souligne André Bernheim. Cela correspond à notre façon d’être et de penser depuis nos débuts. Nous sommes très heureux d’être nominés. Jusqu’à l’année dernière, nous ne connaissions même pas ces prix. C’est une excellente surprise. Cela démontre que notre démarche est reconnue, augmente la visibilité du sujet et de nos marques et accentue les prises de conscience des consommateurs. Tout cela est très positif.»

Le groupe démontre qu’une véritable approche ESG est possible même sans être un grand acteur du luxe, avec une volonté forte et un engagement authentique. Comme André Bernheim l’explique, «tout le monde doit prendre ses responsabilités en accord avec ses convictions et ses moyens. Si une PME comme Mondaine peut le faire, de nombreux autres le peuvent aussi. J’espère que notre démarche sera suivie par le plus grand nombre. Je pense d’ailleurs que les médias ont aussi leur rôle à jouer. Chacun peut faire mieux.»