uropa Star: Qu’est qu’une marque horlogère «éco-responsable» selon vous?
Jean-Marc Pontroué: Au niveau d’une entreprise, tout part de la gouvernance. Nous pouvons tous prêter attention à ce que nous faisons au quotidien pour minimiser nos impacts. Et dès que cette manière de réfléchir s’impose, les signaux positifs sont nombreux sans subir l’impression de devoir changer fondamentalement nos vies. Les exemples sont multiples: privilégier le vélo, les transports en commun, éviter le gaspillage. Au niveau de l’entreprise, il s’agit en réalité d’intégrer ces réflexions dans la stratégie même de la marque, au même titre que la production, le marketing, la distribution. Le pire serait d’en faire un artifice marketing. Cela finira immanquablement par se retourner contre la marque.
Une politique ESG est impossible sans transparence. Quelles limites fixez-vous à cet exercice, plutôt contraire à la tradition de l’industrie horlogère?
La transparence fait partie des règles à respecter dans notre groupe (Richemont, ndlr). La direction impose de donner des informations vérifiables. C’est un devoir. Chez Panerai, nous montrons que nous sommes ouverts à tous au travers de notre démarche en «open source»: lors du lancement de notre modèle eLAB-ID™ en 2021, nous avons ainsi invité toutes les marques désireuses de le faire à venir découvrir nos processus et nos fournisseurs (lire notre article ici). Cela représente un gain de temps potentiel énorme.
Nous estimons que la démarche éco-responsable est suffisamment sérieuse pour ne plus perdre de temps et appelons de nos vœux une collaboration la plus large possible afin de bénéficier des meilleures pratiques à l’échelon de l’industrie. C’est là que réside la vraie rupture dans la manière d’opérer aujourd’hui. Les méthodes intrinsèques de l’horlogerie n’ont pas changé drastiquement mais l’approche ESG nous force à repenser nos modèles d’affaires. Nous prenons cela très au sérieux. Par exemple, nous supprimons le PVC de l’ensemble des produits du groupe et minimisons désormais le transport en avion. Chaque décision compte et doit être prise en toute transparence.
- Jean-Marc Pontroué, CEO, Panerai
«Lors du lancement de notre modèle eLAB-ID™ en 2021, nous avons invité toutes les marques désireuses de le faire à venir découvrir nos processus et nos fournisseurs. Ce type de collaboration représente un gain de temps potentiel énorme.»
Concrètement, quels sont les postes les plus polluants pour Panerai? Et que faites-vous pour en réduire l’impact?
La production bien sûr, les transports humains et de marchandises, ainsi que l’immobilier. Nous avons mis en place le programme «Panerai Ecologico» pour répondre à ces problématiques. Ce programme détermine le cadre de notre démarche ESG selon cinq piliers: la performance de notre immobilier, nos processus, nos produits, les partenariats et l’humain. Le bâtiment Panerai en Suisse donne le ton en n’utilisant que des énergies renouvelables pour notre production (1,8 GWh par an, à 100% de provenance hydro-électrique) et en récupérant 225’000 litres d’eau de pluie par an. Nous récupérons aussi l’énergie de nos machines pour chauffer l’eau et des panneaux solaires fournissent 15% de notre chaleur. Nous économisons ainsi 65’000 litres de fuel par an. Toutes nos nouvelles boutiques seront pensées de manière éco-responsable avec le recours à des matériaux recyclés. D’ores et déjà, 96% de l’énergie utilisée dans nos points de vente est renouvelable.
Au niveau produit, notre eSteel™ ne devait être qu’une collection capsule au départ. Or, d’ici à 2025, 75% de nos montres seront fabriquées en acier recyclé! De même notre packaging sera recyclé à 72% dès 2023 et diminuera le poids de nos expéditions de 53%, permettant ainsi une baisse de l’ordre de 4kg de CO2 par produit, soit 48% de nos émissions sur ce poste. Enfin, notre récent partenariat avec la Commission Intergouvernementale de l’UNESCO pour développer le programme «Ocean Literacy» va permettre à Panerai de lancer une campagne mondiale d’information et d’engagement auprès de 100 universités sur le thème clé de la préservation des océans. Cela crée une implication forte pour des programmes de collecte de plastique partout dans le monde.
Les restrictions dues au Covid ont radicalement changé le mode de fonctionnement des entreprises. Certaines évolutions vont-elles demeurer permanentes?
La pandémie a montré que nous pouvions réduire significativement les voyages sans impacter les affaires. Le recours aux téléconférences continue donc aujourd’hui. Nous avons réduit de 90% les transports entre Neuchâtel, Genève et Milan et privilégions la mobilité douce partout. Cela a surtout prouvé que des modifications d’impact pouvaient être réalisées très rapidement. Dès que l’on initie une démarche de manière consciente et authentique, on embarque toute la chaîne de valeur.
«Le bâtiment Panerai en Suisse donne le ton en n’utilisant que des énergies renouvelables pour notre production (1,8 GWh par an, à 100% de provenance hydro-électrique).»
Les défis liés à la transition vers un nouveau modèle économique sont nombreux. Quels sont les plus importants pour vous?
Le plus complexe est d’assurer le changement de mentalité, la modification des habitudes en profondeur. Mais l’innovation permet des avancées rapides. Plus on cherche, plus on trouve! Il y a encore beaucoup de points à améliorer, mais on sent que les volontés sont là. Les collaborations se multiplient aussi, c’est très nouveau dans notre industrie.
- Panerai Submersible QuarantaQuattro eSteel™
Justement, une approche plus globale au niveau de l’industrie n’accélérerait-elle pas le changement? Par exemple, allez-vous rejoindre l’Initiative 2030 (lire notre article)?
Bien évidemment, nous devons tout faire pour que l’industrie évolue le plus rapidement possible dans son ensemble. Notre modèle en open source va dans ce sens. Toutes les initiatives sont importantes et bienvenues. Panerai considère avec attention cette très belle initiative mais il est trop tôt pour confirmer notre participation.
Ressentez-vous une pression réelle au changement de la part des clients finaux ou l’initiative vient-elle plutôt des marques?
Cette pression des clients, c’est une évidence! Chez les jeunes générations en particulier. Lorsque nous visitons des universités dans le cadre notre programme Ocean Literacy, les étudiants nous interpellent: «Vos démarches et actions sont positives, mais pourquoi ne les prenez-vous que maintenant? Pourquoi tout n’est pas déjà recyclé chez vous?» Pour eux, un produit se doit d’être éco-responsable, en particulier dans le luxe. C’est une norme pour cette génération! Ils recherchent consciemment à consommer sain, local et responsable. L’industrie doit le réaliser au plus vite.
Cela a-t-il un impact sur l’expérience client dans le luxe?
C’est un débat d’un autre temps, une question posée par la vieille génération. Aujourd’hui, la vraie expérience client, c’est l’éco-responsabilité. Soit le plaisir de savoir que l’on consomme un produit durable, avec un impact minime sur l’environnement et la société. C’est là tout le changement de conception qu’il faut réaliser.
«Les étudiants nous interpellent: «Vos démarches et actions sont positives, mais pourquoi ne les prenez-vous que maintenant? Pourquoi tout n’est pas déjà recyclé chez vous?»