Horlogerie et environnement


ESG: Chopard, le cas particulier d’une société familiale

CASE STUDY

juillet 2022


ESG: Chopard, le cas particulier d'une société familiale

La marque a été pionnière sur certaines initiatives, comme l’«or éthique», tout en étant restée discrète jusqu’à présent sur les résultats accomplis. Mais l’heure est à la transparence et l’entreprise familiale communique désormais ouvertement sur ses réalisations dans le «luxe durable». Entretien avec Pauline Evequoz, Head of Corporate Sustainability.

L

es initiatives de Chopard dans le domaine social et environnemental sont loin d’être nouvelles. Une sensibilité que sa co-présidente Caroline Scheufele relie notamment à la structure familiale de la marque, active à la fois en joaillerie et en horlogerie: «En tant que société familiale, la responsabilité et l’éthique ont toujours fait partie intégrante de notre philosophie. Le développement durable est au cœur des valeurs de Chopard.» On pense bien évidemment à la Palme du Festival de Cannes, que la manufacture fournit en or éthique depuis 2014, mais la démarche va bien plus loin.

Un rapport du WWF en 2018 avait cependant épinglé Chopard pour un manque de transparence (lire également ici). Quelle est la situation quatre ans plus tard?

«De gros efforts ont été entrepris et notre communication a beaucoup évolué en ce sens, explique Pauline Evequoz, Head of Corporate Sustainability. Notre site internet dévoile aujourd’hui de nombreux chiffres et des infographies qui montrent concrètement notre engagement. Par ailleurs, nous participons de plus en plus à des tables rondes sur le thème de la durabilité, comme celles organisées lors du salon Watches and Wonders ces deux dernières années. Nous répondons volontiers à la presse à ce sujet et rencontrons de nombreux étudiants dans les universités et hautes écoles. La préoccupation est majeure et nous ressentons bien le besoin d’en savoir plus de toutes parts.»

Depuis 1978, Chopard dispose de sa propre fonderie d'or, située à Meyrin dans le canton de Genève.
Depuis 1978, Chopard dispose de sa propre fonderie d’or, située à Meyrin dans le canton de Genève.

Cependant, l’entreprise ne publie pas encore de rapport ESG global. Ce sera bientôt le cas, souligne la responsable: «En tant qu’entreprise familiale privée, Chopard n’a en réalité aucune obligation autre que celle qu’elle s’impose elle-même. Dans les faits, les ressources allouées aux diverses actions menées ont largement augmenté. D’autre part, la règlementation européenne est en train de se renforcer avec la «Corporate Sustainability Reporting Directive» qui va imposer un devoir de reporting dès 2023. Les publications vont sans doute devenir obligatoires dès l’année suivante.»

«Une nouvelle directive européenne va imposer un devoir de reporting dès 2023. Les publications de rapports ESG vont sans doute devenir obligatoires dès l’année suivante.»

Le contrôle des tiers, le plus grand défi

A l’horizon 2025-2030, les objectifs sur lesquels Chopard devra se montrer totalement transparente sont à la fois qualitatifs et quantitatifs, précise Pauline Evequoz: «Nous sommes en train de nous engager dans la «Science Based Target Initiative», avec des objectifs précis qui seront publiés sur notre site via un rapport d’évolution annuel. Nous devons aussi maintenir nos certifications au niveau du groupe. L’approvisionnement en or éthique auprès de mines artisanales (Artisanal and Small-Scale Mining) est un défi important, car il compte pour 60% de notre or. Nous ne travaillons qu’avec des mines certifiées Fairmined ou en partenariat avec la Swiss Better Gold Association et organisons des visites régulières des sites. Le reste est issu du recyclage et il nous faut également assurer une traçabilité toujours plus forte. Nos partenariats avec les affineurs vont de plus en plus loin et la ségrégation des lots est de plus en plus précise.»

La première montre réalisée par Chopard en or certifié Fairmined, le modèle L.U.C. Tourbillon QF Fairmined lancé en 2014
La première montre réalisée par Chopard en or certifié Fairmined, le modèle L.U.C. Tourbillon QF Fairmined lancé en 2014

Le plus grand défi pour Chopard, qui travaille à 100% avec de l’«or éthique» depuis 2018, réside de fait dans la traçabilité des sources d’approvisionnement, qui ne lui appartiennent pas, et impliquent donc un suivi des tiers: «C’est un processus permanent d’amélioration, poursuit la responsable. Il nous faut influencer nos partenaires vers un développement le plus éco-responsable possible. L’augmentation des réglementations, comme le Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence, est une bonne chose dans cette optique.»

Les autres sources d’impact environnemental et social surveillées par la marque sont liées aux sites de production: «Nous pouvons notamment mentionner le haut niveau de recyclabilité de notre or grâce à notre fonderie interne, les consommations d’énergie en général, le packaging pour lequel nous avons de fortes réductions en cours grâce à l’éco-conception, ou encore les voyages qui sont significativement en baisse mais que nous ne pouvons pas totalement arrêter non plus.»

«L’approvisionnement en or éthique auprès de mines artisanales (Artisanal and Small-Scale Mining) est un défi important, car il compte pour 60% de notre or.»

La blockchain pour la traçabilité

Un travail de longue haleine, donc, mais parallèlement les opportunités pour réduire cet impact se multiplient. Pauline Evequoz identifie une double nécessité pour accentuer encore le mouvement: «Avant tout, il faut un changement au niveau des consciences de chacun. La pression induite en interne comme en externe pousse à la réflexion et à la recherche de solutions. Nous le voyons de tous bords, tant localement qu’à l’international. Il faut aussi que les politiques publiques aillent dans le même sens. De notre côté, nous travaillons sur une meilleure traçabilité en évaluant des procédés blockchain, sur une meilleure efficience des processus en place, sur de nouveaux matériaux et des processus d’éco-conception… mais il est un peu trop tôt pour en parler.»

Caroline Scheufele et Karl-Friedrich Scheufele, co-présidents de Chopard
Caroline Scheufele et Karl-Friedrich Scheufele, co-présidents de Chopard

L’aspect social de la démarche ESG – c’est-à-dire le soutien des communautés, métiers et savoir-faire – s’avère tout aussi important que la diminution de l’impact environnemental. Cela passe notamment par une maîtrise la plus aboutie possible des processus de production, comme l’exprime Karl-Friedrich Scheufele, co-président du groupe: «Nous sommes parvenus à des étapes majeures dans notre voyage vers un luxe durable parce qu’il y a plus de 30 ans, nous avons développé une intégration verticale de notre production. Nous avons investi pour la maîtrise en interne de tous les métiers nécessaires à notre production, allant de la création de notre propre fonderie d’or dès 1978 jusqu’aux compétences de nos nombreux artisans de haut niveau qui œuvrent dans la bijouterie ou l’horlogerie.» La société insiste également sur son approvisionnement en or auprès de mines artisanales, dont les populations locales dépendent largement.

Depuis 2019, Chopard est impliquée dans un projet visant à soutenir les communautés artisanales qui s'approvisionnent auprès des Barequeros, des mineurs d'or artisanaux d'El Chocó en Colombie. Cela concerne plus de 700 mineurs indépendants.
Depuis 2019, Chopard est impliquée dans un projet visant à soutenir les communautés artisanales qui s’approvisionnent auprès des Barequeros, des mineurs d’or artisanaux d’El Chocó en Colombie. Cela concerne plus de 700 mineurs indépendants.
©César Nigrinis – Minenergía

Pressions internes et externes

La géopolitique impacte également les orientations ESG. La crise touchant le Responsible Jewellery Council suite à la guerre en Ukraine remet-elle en question la participation de Chopard – et donc la certification obtenue? Pauline Evequoz répond par la négative: «Chopard ne fait pas partie de la gouvernance du standard, mais ce dernier est très important. La crise, aussi dramatique en soit l’origine, ne le remet pas en cause. Notre souhait est qu’il en ressorte plus fort.»

«La crise, aussi dramatique en soit l’origine, ne remet pas en cause le standard du Responsible Jewellery Council. Notre souhait est qu’il en ressorte plus fort.»

La Palme d'or 2022 du Festival de Cannes, réalisée par Chopard en or éthique certifié Fairmined
La Palme d’or 2022 du Festival de Cannes, réalisée par Chopard en or éthique certifié Fairmined
©Federal Studio

Pour certains capitaines d’industrie (comme Cyrille Vigneron, le président de Cartier, lire ici), cette transition vers un luxe durable passe par plus de sobriété.

Un luxe plus «frugal»? Une question épineuse, non sans paradoxes, pour tout le secteur.

«Le luxe crée de l’exceptionnel, il est à l’opposé de la logique de surproduction et de surconsommation, relève Pauline Evequoz. Le problème central est celui des ressources qui se raréfient. Nous sommes déjà amenés à produire autrement et intégrons des changements profonds dans nos modèles d’affaires. Cela commence par la manière même dont nous concevons à présent nos produits. Nous devons continuer à minimiser en interne notre impact sur l’environnement tout en gérant une pression externe grandissante – des clients, de la législation... C’est en faisant face à ces différents défis que notre industrie demeurera viable.»