ertains se sont découverts une «âme verte» récemment, au gré de la montée en puissance du mouvement ESG dans toutes les industries, luxe et horlogerie compris. Pour Oris, basée à Hölstein dans le canton de Bâle-Campagne, la prise de conscience a été plus précoce – elle est même identitaire, relève son co-CEO Rolf Studer: «L’éco-responsabilité fait partie de qui nous sommes. En tant qu’indépendant, nous devons sans cesse penser à nos ressources. Nous nous devons de travailler de manière durable. C’est une attitude depuis le début et cela englobe autant l’environnement que l’aspect social.»

Après avoir annoncé la réussite de son objectif de neutralité carbone en 2021, Oris publie cette année son premier rapport de durabilité complet. Une étape clé qui implique aussi une transparence totale sur l’impact de l’activité de l’entreprise. Un risque ou une opportunité pour la marque? «Cela n’a pas vraiment d’importance en réalité, répond Rolf Studer. Le rapport est ce qu’il est. Bien sûr, nous le voyons comme une opportunité, parce que nous pensons qu’il est de notre devoir d’être transparent. Mais, dans l’absolu, ce n’est que du bon sens, une évidence même. Nous espérons que cela inspire les autres également.»

La montre Aquis New York Harbor Limited Edition, limitée à 2’000 pièces, en faveur du Billion Oyster Project oeuvrant à réintroduire un milliard d’huîtres dans le port de New York.

Le mouvement ESG – et la transparence qu’il requiert – ne semble pas encore concerner toutes les entreprises de l’industrie. Faudrait-il que le législateur s’en mêle? Le directeur de la manufacture tique: «Je ne suis pas un grand fan de la «surrégulation», même si parfois elle s’avère nécessaire. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes sont conscientes des enjeux et s’y intéressent. Les marques devraient naturellement s’orienter vers cette démarche ESG. L’éducation du consommateur final en la matière est en plein développement. Les jeunes générations poussent cette thématique avec force. J’espère que cela suffira à finir de convaincre même les plus réticents.»

«Je ne suis pas un grand fan de la «surrégulation», même si parfois elle s’avère nécessaire. Les marques devraient naturellement s’orienter vers une démarche ESG.»

Rolf Studer, co-CEO d’Oris

Des actions de terrain du lac Baïkal à New York

L’année 2014 a été une étape importante dans le cheminement de la marque indépendante, avec la mise en place de son programme «Change for the Better», visant à mener des actions concrètes en faveur la préservation des écosystèmes. Parmi celles-ci, on peut citer notamment son soutien à la Lake Baikal Foundation et à la Reef Restoration Foundation, ainsi que les collectes de plastiques organisées par les «Ambassadeurs Oris du Développement Durable» à travers le monde durant les Change for The Better Days.

Les volontaires du Billion Oyster Project sont à l’oeuvre en plein Manhattan.

La dernière action en date soutenue par Oris est d’envergure: le «Billion Oyster Project». Rolf Studer en précise l’objectif: «Le but est de réintroduire un milliard d’huîtres dans les voies navigables de la ville de New York d’ici à 2035. C’était un habitat naturel de l’espèce avant que la course effrénée de l’Homme ne le gâche. Il y a plusieurs siècles, le port de New York abritait 890 km2 de récifs d’huîtres. Une huître adulte peut filtrer jusqu’à 227 litres d’eau par jour et les colonies d’huîtres créent des écosystèmes pour d’autres formes de vie marine et des barrières naturelles contre les tempêtes. Les récifs d’huîtres sont à l’océan ce que les arbres sont à la forêt. Pour soutenir le projet pionnier, nous avons lancé la montre Aquis New York Harbor Limited Edition, limitée à 2’000 pièces. Son cadran en nacre verte s’inspire de la couleur de l’eau du célèbre port et de la coquille de l’huître.»

Il y a plusieurs siècles, le port de New York abritait 890 km2 de récifs d’huîtres. Une huître adulte peut filtrer jusqu’à 227 litres d’eau par jour.

Ce projet ambitieux doit contribuer à assainir les eaux de New York et redonner sa place à la vie aquatique, poursuit le responsable: «Le travail est réalisé par des volontaires, c’est là que le changement débute. Les volontés se rassemblent dans un projet et un but pour le bien commun. Nous pouvons tous faire une différence. Nous contribuons financièrement et le produit des ventes aux enchères de montres va entièrement à l’association. Mais notre rôle est aussi de devenir facilitateur de collaborations, comme pour le lancement du projet qui a eu lieu avec le premier pitch d’un match des Yankees à New York (dont Oris est sponsor, ndlr). Cela donne une visibilité énorme au projet. De même, notre collaboration avec la Coral Restoration Foundation en Floride a permis un échange de technologie qui fait avancer le Billion Oyster Project. Une fois la mécanique lancée, cela devient un cercle vertueux.»

Equilibrer physique et virtuel, un défi

Au-delà de ce soutien à des initiatives en faveur de la compensation carbone dans le monde, la marque souhaite aussi diminuer significativement ses propres émissions. Le rapport sur le développement durable d’Oris dévoile l’impact global de son activité: 2’288 TeqCO2 (tonnes équivalent dioxyde de carbone) pour l’année 2019. La société s’engage désormais à faire baisser celles-ci de 10% chaque année.

Le siège d’Oris à Holstein. La société s’est engagée à réduire son impact carbone de 10% par an.

Quels sont les postes les plus difficiles à réduire? Sans surprise, le transport figure parmi ceux-ci, relève Rolf Studer: «Baisser son impact est compliqué, surtout pour une entreprise en croissance comme Oris. Nous essayons du mieux que nous pouvons d’équilibrer les contacts physiques et digitaux. Le contact humain reste primordial dans le luxe, comme l’engouement retrouvé des salons physiques l’a montré cette année. Le meilleur moyen de réellement baisser les émissions reste de consommer moins mais mieux. Et justement, c’est la raison d’être du luxe!»

Au-delà des produits, c’est tout un style de vie qu’il s’agit de revoir: «Il y a déjà tellement à améliorer, chacun chez soi. Il faut juste continuer à progresser doucement et être conscient des efforts à faire. La responsabilité du luxe se situe surtout à ce niveau: nous sommes dans une position où les consommateurs nous observent, nous touchons beaucoup de monde, notre industrie a un devoir d’exemplarité. Nous devons inspirer les gens à adopter ce changement.»

Le processus de recyclage du plastique PET produit des motifs aléatoires sur les modèles de la ligne Aquis Date Upcycle.

Quel rôle pour l’innovation, dans cette quête éco-responsable? «Dans notre production, utiliser plus d’acier recyclé, c’est bien… mais l’effet est minime: on parle de l’équivalent de 10 voitures en terme d’impact!, répond sans détours le directeur d’Oris. La plus grande innovation serait d’avoir une approche vraiment globale avec des collaborations plus larges. Chacun doit comprendre comment il agit, comment il peut améliorer son impact et tout mettre en œuvre pour le faire. Le temps est venu d’aller au-delà des discours et d’agir. Nous devons tous changer!»

«Dans notre production, utiliser plus d’acier recyclé, c’est bien… mais l’effet est minime: on parle de l’équivalent de 10 voitures en terme d’impact!»

Dans le cadre de son programme global Change for the Better, Oris soutient notamment la Coral Restoration Foundation en Floride.

«Rester pertinent»

Rolf Studer fait également part des plus grands défis futurs pour sa marque, ainsi que pour le secteur en général: «La priorité, c’est de rester pertinent. Nous créons des produits dont personne n’a vraiment besoin aujourd’hui par rapport à leur fonction initiale. Mais nos montres sont faites pour durer, elles peuvent être réparées et transmettent une certaine idée de la consommation. En ce sens, l’horlogerie est totalement d’actualité. La durabilité et l’éco-responsabilité ajoutent à la pertinence de l’industrie. Pour Oris, le défi consiste aussi à demeurer indépendant pour rester libre de continuer à faire les choses à notre manière, avec du sens.»

Cleanup Day à Shanghai en 2021

Ne faudrait-il pas une approche plus globale au niveau de l’industrie pour relever ces défis? Une telle démarche collective est-elle même possible? «Être dans une compétition amicale est une approche qui tire tout le monde vers le haut, estime Rolf Studer. C’est plus efficace que les régulations. Lorsque je vois comment nos équipes se sont impliquées dans tous les projets, je réalise que l’approche ESG est porteuse de sens, crée de l’engagement et motive les gens. C’est formidable. Il y a dix ans, nous étions un peu seuls. Aujourd’hui, beaucoup plus de marques s’engagent dans ce sens. Et c’est la même chose côté client. La problématique devient d’elle-même plus globale.»

Les initiatives encouragées par Oris donnent généralement naissance à des modèles inspirés par la cause soutenue: c’est le cas du modèle Aquis Great Barrier Reef Limited Edition III inspiré du partenariat avec la Reef Restoration Foundation en Australie.

A sa manière, la marque indépendante de Hölstein démontre que la taille d’une entreprise ne dicte pas l’ampleur de l’engagement. La gouvernance et la volonté des équipes font la différence, répondant à une demande grandissante des consommateurs. Le programme «Change for the Better», qui se poursuit, s’inscrit aussi en ligne directe dans l’un slogans utilisés par le passé par la marque pionnière en défense des écosystèmes: «Faire des montres authentiques… pour des gens authentiques». Tout repose de fait sur l’authenticité, dans un monde de plus en plus transparent.

«Il y a dix ans, nous étions un peu seuls. Aujourd’hui, beaucoup plus de marques s’engagent. Et c’est la même chose côté client.»