ous les exemples vertueux cités dans le dernier numéro d’Europa Star Première qui sont menés pour engager l’industrie horlogère dans la voie de la durabilité, de la diminution de son empreinte environnementale, de sa circularité, de sa responsabilité sont à saluer. Mais ce ne sont qu’autant de gouttes d’eau – indispensables, cependant – prélevées dans l’océan qui nous menace.

Quand j’entends un horloger me dire que sa montre, «fabriquée dans le plus grand respect des plus hautes normes éthiques et durables», sera livrée à son acheteur au fil d’une invitation à venir visiter tous frais payés les ateliers suisses, suivie d’un vol en jet privé jusque quelque part vers Hollywood où sa montre lui sera enfin remise en mains propres par une star de premier rang dont le nom reste confidentiel (sans doute que le contrat n’est pas encore finalisé), que penser? Quelle est l’empreinte carbone d’une telle montre? Comment la calculer? Le seul vol en jet privé la fait déjà exploser. Sans parler de l’amont, sans doute déjà bien chargé en CO₂, et de l’aval, selon où la montre ira se promener.

Le greenwashing est un objet pervers. On ne sait exactement où il commence et où il finit. Je sors de l’horlogerie et vous donne un autre exemple. Pour qui cherche à acheter un matelas de qualité, il existe désormais une offre qui se dit «verte», écologique, recyclable. Des matelas en mousse de soja. On ne peut plus «vert», en effet, que l’Amazonie – en train de brûler pour faire pousser du soja... Inutile d’épiloguer car les conséquences de tels aveuglements sont dramatiques, tout simplement.

Le greenwashing est un objet pervers. On ne sait exactement où il commence et où il finit.

Représentation visuelle du réchauffement climatique global depuis 1850.

©showyourstripes.info

Seules des solutions radicales sont aptes à initier un vrai tournant. Mais c’est comme faire tourner sur lui-même un iceberg de la taille de l’Irlande, par exemple, voire du globe dans son entier. Quelles sont-elles, ces solutions radicales? Je n’aurai pas la prétention d’en formuler aucune. L’horlogerie ne guide pas le monde, elle n’est plus le maître des horloges depuis longtemps. Elle ne fait que refléter sa marche, la subir.

Mais le tempo s’accélère dangereusement, tout semble y concourir. La nature se déchaîne tandis que les hommes se déchirent. Nos petits gestes, comme ceux des horlogers, aussi nécessaires que dérisoires, ne font que repousser la transformation radicale qu’il faut opérer. Un vrai changement de paradigme, ou plutôt un saut quantique. Comment adviendra-t-il? Quelle forme prendra-t-il? Nul ne le sait mais tous le ressentent. Une chose est sûre: on ne peut plus se contenter de faire semblant.

Un vrai changement de paradigme, ou plutôt un saut quantique. Comment adviendra-t-il? Quelle forme prendra-t-il? Nul ne le sait mais tous le ressentent.

Ceci dit, dans ce paysage en profond et dramatique chamboulement, la montre mécanique, plus que jamais, a un futur. Ça semble trivial que de dire ça. Mais elle est totalement autonome, ne nécessite aucune énergie autre que celle de notre poignet, est réparable en toutes circonstances, n’a aucune obsolescence programmée ou non. Dans le maelstrom de l’instabilité contemporaine, elle fait entendre sa nature pérenne, régulière, qui continue imperturbablement à faire entendre son rassurant tic-tac. Peu de chose dans le chaos ambiant, mais la réassurance du génie de l’homme – à côté de sa sauvagerie –, capable d’encapsuler le temps dans des rouages de métal. Sa «radicalité» est peut-être tout simplement là. Persister dans sa singularité tout en devenant aussi vertueux que proclamé.