Horlogerie et environnement


Une horlogerie bientôt organique?

DURABILITÉ

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décembre 2022


Une horlogerie bientôt organique?

Pourra-t-on sauver la planète par l’innovation? Le thème est délicat, tant il se prête facilement au greenwashing. Mais certaines nouveautés, introduites par des start-up prometteuses, devraient intéresser une industrie du luxe qui s’empare toujours plus de ce thème. Elles utilisent notamment des «super matériaux» organiques comme les algues ou les champignons. Portraits et initiatives surprenantes.

À

en croire beaucoup de lancements récents, l’innovation est la panacée vers un monde éco-responsable et durable. Au point de ne plus avoir peur de l’oxymore: ainsi a-t-on vu apparaître la «voiture neutre en carbone», «l’aviation zéro émission» ou encore la finance «verte», pour ne citer qu’eux! Au-delà des artifices et leurres marketing, il est ainsi nécessaire de séparer le bon grain de l’ivraie lorsqu’on s’intéresse à ce thème en trompe l’oeil, souvent un raccourci vers le greenwashing.

Quelles sont donc certaines de ces innovations qui présentent un réel potentiel de réduction d’impact environnemental? Tour d’horizon d’idées et de concepts novateurs dont le luxe pourrait légitimement se saisir.

Manger l’emballage

L’entreprise britannique Notpla, créée en 2014, est un cas intéressant: la start-up s’est donné pour mission de «faire disparaître les emballages». Elle a tout d’abord réfléchi à des solutions permettant de contenir un liquide sans recourir au plastique. De là est née leur bulle consommable «Ooho», conçue à base d’algues. Celle-ci a eu un écho mondial lorsque 36’000 doses ont été distribuées lors du marathon de Londres en 2019, sans produire le moindre déchet.

Les algues, un matériau du futur? La start-up britannique les décline en de multiples utilisations.
Les algues, un matériau du futur? La start-up britannique les décline en de multiples utilisations.

Forte de ce succès, la start-up a levé 10 millions de livres en 2021. Etape suivante: faire quelque chose de la partie des algues inutilisée pour la création de ces bulles (leur fabrication n’a recours qu’à 20% de l’algue, sa partie gélatineuse). Que faire des 80% de parties fibreuses restantes? Un autre type d’emballage, tout simplement! Mais solide cette fois: le Notpla Rigid est un emballage révolutionnaire entièrement compostable et biodégradable en quatre à six semaines.

Le Notpla Rigid, un nouveau matériau d'emballage à base d'algues utilisé notamment par la marque horlogère suisse ID Genève
Le Notpla Rigid, un nouveau matériau d’emballage à base d’algues utilisé notamment par la marque horlogère suisse ID Genève

La marque horlogère ID Genève a été la première à l’utiliser, pour le lancement de sa montre en acier solaire présentée au salon Re-Luxury début novembre à Genève. D’autres possibilités se dessinent déjà avec le Notpla Paper. De plus, il faut souligner que les algues capturent 20 fois plus de carbone que les arbres, contribuent à l’oxygénation de l’océan et n’ont pas besoin d’engrais chimiques, de pesticides ou d’eau douce pour croître à des rythmes inégalés sur Terre. Bref, un «super matériau» très prometteur, y compris pour l’industrie du luxe.

Un bel exemple d’innovation, basée sur la nature, totalement circulaire et transposable à grande échelle. Leur papier pourrait d’ailleurs remplacer le carton. La start-up travaille également à l’industrialisation de son film flexible pour l’adapter à l’agroalimentaire et remplacer les plastiques à utilisation unique qui s’y multiplient.

Les vrais champignons magiques

La start-up américaine MycoWorks a conçu un autre exemple très concret d’innovation qui intéresse déjà le luxe. La genèse de l’entreprise est édifiante. Phil Ross est un cuisinier, artiste et sculpteur. Amateur de champignons, il s’est penché sur cette matière naturelle qu’est le «mycelium» et en a rapidement saisi le potentiel…pour en faire des sculptures.

En 2013, il est contacté par une marque de luxe qui souhaite en voir les applications possibles. Puis Hermès s’intéresse à son innovation et vient «tester» le produit. Son toucher chaleureux, sa souplesse, sa texture et ses performances en terme de résistance à la torsion et à l’eau impressionnent. Cette collaboration donne naissance en 2021 à un premier sac en «Fine Mycelium™», dans lequel Hermès retrouve l’émotion de la matière, essentielle à l’univers du luxe.

Fort de cette caution d’une des plus grandes maisons du luxe, MycoWorks réalise une levée de fonds de 187 millions de dollars fin 2021 et poursuit son développement. Le processus de fabrication est fabuleusement éco-responsable, puisqu’il utilise très peu d’énergie (le mycelium croît dans l’obscurité!), très peu d’eau (contrairement aux tanneries traditionnelles) et pas de collagène ni de polluants.

MycoWorks a fait le choix des champignons pour fabriquer ses composants.
MycoWorks a fait le choix des champignons pour fabriquer ses composants.

La croissance de la matière prend six semaines sans forcer la pousse (contre deux ans pour une peau de veau, par exemple). Le potentiel est énorme et se révèle même négatif en carbone. L’usine actuelle, basée à San-Francisco, démontre que cette innovation pouvait être industrialisée. Une nouvelle et importante usine de production est en construction en Caroline du Sud, avec une ouverture prévue fin 2023. Pas étonnant que cette découverte ait été récompensée au Luxury Innovation Summit (catégorie Fashion) à Genève en novembre dernier et que General Motors vienne de signer un partenariat avec MycoWorks. Le futur est en marche.

Ces deux premiers exemples démontrent qu’une observation attentive de la nature et de ses processus permet d’identifier des innovations véritablement éco-responsables et circulaire, basées sur des matières naturelles, abondantes, à croissance rapide. La science de la nature comme meilleure source d’innovation?

Transformer le CO2 en diamant

Autre cas de figure se calquant sur les processus naturels: la reproduction de la croissance du diamant en laboratoire. De fait, le luxe est bien conscient que les diamants miniers entraînent un impact environnemental et social important. Il est cependant difficile de les remplacer du jour au lendemain.

On constate toutefois que la production est en baisse de 147 millions de carats en 2018 à 113 millions de carats en 2021. De même, les marques qui se tournent vers l’alternative des diamants de laboratoire se multiplient, comme Breitling, qui passera désormais uniquement à ceux-ci d’ici à 2025 (lire notre article dédié).

Sur le papier, l’attrait est évident. Dans les faits, il est plus mitigé. En effet, si les diamants de laboratoire utilisent une énergie carbonée pour leur production, leur impact en émissions de CO2 reste important - d’autant plus s’ils sont produits à l’autre bout du monde (Chine, Inde, par exemple).

Aether Diamonds a recours au gaz carbonique pour fabriquer ses diamants de laboratoire.
Aether Diamonds a recours au gaz carbonique pour fabriquer ses diamants de laboratoire.

Une entreprise américaine vient pourtant de dévoiler un concept nouveau pour leur production. Aether Diamonds a également été récompensée au Luxury Innovation Summit en novembre 2022 pour son innovation: des diamants élaborés… à partir de carbone capturé dans l’atmosphère!

Le processus aspire du CO2, le transforme en méthane pour servir de base à la création de diamants. Ce procédé révolutionnaire utilise 100% d’énergie solaire, réduisant d’autant l’impact carbone. La production est pour l’instant marginale, mais elle démontre que le concept fonctionne. Une mise à l’échelle locale permettrait une réduction d’impact significative, voire de créer un nouveau «puits de carbone». Une piste intéressante qui ne manquera pas de susciter l’intérêt, à mesure que la conscience éco-responsable du consommateur s’approfondit.

Pléthore d’éco-matériaux

Dans un article récent (lire ici), nous sommes allés à la rencontre de la société suisse Panatere, qui a mis au point un acier 100% recyclé à partir de copeaux recueillis dans l’arc jurassien. La fonte de ces copeaux peut être assurée par un «four solaire», réduisant ainsi l’impact carbone de l’acier par 165 fois. Un bel exemple d’innovation à haut potentiel qui pourrait être mis à l’échelle à travers le monde.

L’entreprise ne s’arrête pas là et propose également bon nombre d’éco-matériaux susceptibles d’être utilisés dans l’horlogerie (et d’autres industries). Par exemple, leur ZEP 1510® est un alliage recyclé par électrolyse des cendres de sacs poubelles, qui peut remplacer le laiton ou le maillechort. Iris Alt., jeune marque de montres féminines et éco-responsables (lire ici), l’a déjà choisi pour ses cadrans.

Panatere a commencé par l'acier recyclé mais étend le recyclage à d'autres matériaux.
Panatere a commencé par l’acier recyclé mais étend le recyclage à d’autres matériaux.

Panatere sait aussi recycler le titane, le béton voire du vitrage. Une fois la logique lancée, elle peut être appliquée le plus largement possible. D’autre part, les exemples de bracelets de montres réalisés à partir des déchets viticoles ou de peaux de poissons de l’industrie alimentaire, comme le propose la tannerie française Ictyos avec son cuir marin, montrent aussi que la recherche de solutions circulaires et éco-responsables est prolifique.

Alors que la récente COP27 a, une fois de plus, débouché sur des résultats décevants, le besoin d’innovations à l’impact réel, notamment en terme de circularité, se fait toujours plus pressant. Un nombre croissant de start-ups participe à cette réflexion globale, plébiscitée par les nouvelles générations. Une question fondamentale se pose toutefois: la plus grande innovation ne serait-elle pas de changer aussi de modèle économique, vers une circularité réelle, une production et une consommation raisonnées? Toutes les solutions semblent devoir être envisagées...