Horlogerie et environnement


Nouvelles législations sur l’environnement: que faut-il savoir?

ANALYSE

février 2023


Nouvelles législations sur l'environnement: que faut-il savoir?

COP sur le changement climatique et sur la biodiversité, luttes contre les émissions carbone et la pollution plastique, revendications et actions citoyennes à travers le monde: le thème de l’ESG prend de l’ampleur de toutes parts. Les entreprises du luxe commencent aussi à s’en préoccuper. Mais jusqu’alors les engagements pris n’étaient pas juridiquement contraignants. 2023 verra la situation évoluer drastiquement. En effet, plusieurs directives et lois entrent en vigueur cette année – au niveau local, européen ou international – qui devraient amplifier l’effort des marques et les mettre face à leur devoir de transparence. Europa Star fait un tour d’horizon des mesures à prendre en compte concernant le climat, la biodiversité, l’économie circulaire, l’utilisation du plastique… et la communication.

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a plupart des décisions d’entreprises sur le sujet de l’ESG s’inscrivent dans le cadre de l’Accord de Paris datant de 2015, qui vise à ne pas dépasser +1.5°C d’augmentation de la température globale d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Des objectifs qui paraissent aujourd’hui quasiment hors de portée. En effet, les émissions carbone (et gaz à effet de serre équivalents) continuent d’augmenter pour atteindre un nouveau record à 40.6GT en 2022 (source: Global Carbon Project), en hausse de 1% par rapport à 2021. Pour atteindre la neutralité carbone, il faudrait réduire les émissions de 1,4 GteqCO2/an, une baisse similaire à celle observée lors de la première vague de Covid-19, en 2020. La tâche est ardue.

La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) entre progressivement en vigueur en Europe depuis le 1er janvier 2023: elle oblige les entreprises de plus de 250 salariés (ou plus de 40M d’euros de chiffre d’affaires) à publier un rapport environnemental dévoilant leurs efforts et leurs résultats en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre, de préservation de la biodiversité et d’économie circulaire.

Cette directive va rendre la transparence obligatoire. Fini les affirmations creuses, chaque rapport doit prendre en compte toutes les émissions de la chaîne de production et de distribution (Scopes 1, 2 et 3), énoncer des objectifs concrets (en accord avec l’objectif) à l’horizon 2030 et 2050 et montrer leur avancement mesurable. Cette obligation de transparence concerne donc directement bon nombre de marques horlogères et de groupes de luxe qui, à ce jour, restent encore frileux sur ce sujet dans leur communication.

La directive CSRD entre progressivement en vigueur en Europe depuis le 1er janvier 2023: elle va rendre la transparence environnementale obligatoire pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Le président américain Joe Biden lors de la récente COP27 tenue à Charm el-Cheikh en Egypte
Le président américain Joe Biden lors de la récente COP27 tenue à Charm el-Cheikh en Egypte

Objectifs de réduction et de circularité

Parmi les changements importants, une baisse de la consommation des ressources naturelles devient obligatoire. Là encore, la route est longue et la direction actuelle loin d’être orientée comme il semblerait nécessaire. En effet, un nouveau (triste) record a été battu en 2022 avec 100 milliards de tonnes de ressources naturelles consommées! Le chiffre donne le vertige: c’est 1,7 fois plus que la Terre ne peut renouveler par an. Bois, cuirs, or, métaux, diamants, pierres précieuses, charbon, pétrole, gaz figurent parmi les ressources utilisées par l’horlogerie et le luxe. Chaque entreprise va devoir réfléchir aux manières de réduire sa consommation et introduire des mesures pour aller vers une économie plus circulaire.

Le Circularity Gap Report de 2022 note à ce propos que notre niveau global de circularité est en baisse: il est passé de 9,1% des produits consommés en 2018 à 8,6% en 2021! Un gros effort reste donc à fournir.

La loi «Anti-gaspillage pour une Economie Circulaire» s’applique en France depuis le 1er janvier de cette année. Elle vise à inciter les pratiques d’éco-design des produits, à régénérer les ressources naturelles et à baisser l’utilisation de produits chimiques nocifs. Concernant le design éco-responsable, l’horlogerie mécanique se situe plutôt bien avec ses montres pérennes qui, normalement, ne se jettent pas, se réparent et peuvent se transmettre de générations en générations.

Toutefois, les pistes d’améliorations, en matière de packaging notamment, existent et doivent être systématisées. L’utilisation du bois (papier, carton, écrin) doit être repensée; celle des métaux (précieux ou non) aussi (or, platine, acier, titane…), pour aller vers plus de circularité, de matériaux recyclés. Les efforts en ce sens se multiplient. Même si la loi ne touche, pour le moment, que la France, la logique est à envisager globalement. Une approche régénérative et éthique des ressources est incontournable pour atteindre les objectifs ESG. Cela contribuerait concomitamment à une réduction non-négligeable des émissions carbone. Le même Circularity Gap Report 2022 évalue à 28% la baisse possible de l’extraction de ressources et à 39% celles des émissions qui y sont liées!

Il apparaît clair que l’approche «business as usual» doit être définitivement abandonnée et qu’il est primordial de dépasser la vision strictement linéaire (extraire, exploiter toujours plus, recommencer) de notre rapport à la nature. Dans cette dernière, tout est circulaire. Il est grand temps que nos pratiques de production et de consommation l’intègrent.

L’horlogerie mécanique se situe plutôt bien avec ses montres pérennes qui, normalement, ne se jettent pas, se réparent et peuvent se transmettre de générations en générations. Toutefois, des pistes d’améliorations existent.

L’importance cruciale de la biodiversité

Pour bien saisir l’importance de la préservation de la biodiversité, quelques chiffres et faits importants sont rappelés dans un rapport de la Commission européenne: «La perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes est l’un des plus grands défis auquel l’humanité doit faire face dans la décennie. Le coût économique et social de l’inaction serait énorme. Entre 1997 et 2011, le monde a perdu entre 3’500 et 18’500 milliards d’euros par an en services dits «écosystémiques» (procurés par les écosystèmes). La biodiversité sous-tend, par exemple, la sécurité alimentaire de l’UE et du monde. Une perte de la biodiversité met en danger cette sécurité et exacerbe le changement climatique. Chaque degré de hausse de température entraîne une baisse des rendements des récoltes nourricières de 3 à 10%. Et 75% des récoltes globales dépendent de la pollinisation animale.»

Selon les scientifiques, nous nous approchons dangereusement de la sixième extinction de masse – elle a même débuté pour certains. L’urgence est flagrante.

En quoi, cela concerne-t-il l’horlogerie et le luxe? Ces secteurs sont directement concernés par l’impact des exploitations des ressources naturelles – mines, exploitations forestières et animales (papier, cuir) – qui influent sur la biodiversité. Protéger la biodiversité, c’est protéger l’avenir de l’humanité, tout simplement.

La COP15 sur la biodiversité (équivalent de la COP sur le climat) a posé des objectifs clairs. Le texte prévoit de protéger 30% de la biodiversité terrestre et océanique d’ici 2030, alors que seules 17% des terres et 8% des mers sont protégées actuellement. Il donne également des garanties pour les peuples autochtones, gardiens de 80% de la biodiversité sur Terre et propose de restaurer 30% des terres dégradées. La réduction de 50% des risques liés aux pesticides est aussi énoncée.

Enfin, la mise en place d’un fonds de coopération à hauteur de 30 milliards de dollars par an, financé par les pays développés pour aider les pays en développement dans l’atteinte de ces objectifs, constitue l’une des mesures centrales du dispositif. Cela reste insuffisant car peu contraignant, mais c’est un début… et la pression va s’accentuer. Une fois encore, l’horlogerie et le luxe peuvent montrer l’exemple grâce aux moyens immenses dont ils disposent pour agir.

Une fois encore, l’horlogerie et le luxe peuvent montrer l’exemple grâce aux moyens immenses dont ils disposent pour agir.

Selon les chiffres de l'OCDE, la production annuelle de déchets plastiques est passée de 156 millions de tonnes (Mt) en 2000 à 353 Mt en 2019. À peine 9% des déchets sont recyclés.
Selon les chiffres de l’OCDE, la production annuelle de déchets plastiques est passée de 156 millions de tonnes (Mt) en 2000 à 353 Mt en 2019. À peine 9% des déchets sont recyclés.
Crédit: Muntaka Chasant

Omniprésente pollution plastique

Autre volet préoccupant: l’omniprésence du plastique dans les produits consommés. Pour rappel, selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la production annuelle de déchets plastiques est passée de 156 millions de tonnes (Mt) en 2000 à 353 Mt en 2019. À peine 9% des déchets sont recyclés. Plus de 11 Mt de plastique sont déversées dans les océans chaque année. La moitié de cette pollution provient des emballages. Tous les secteurs sont concernés, luxe et horlogerie compris.

En Europe, la directive sur l’interdiction des plastiques à usage unique est entrée en vigueur au 1er janvier et doit bannir le plastique des emballages d’ici à 2040. La Californie a voté en 2022 une loi qui stipule qu’au moins 30% des emballages plastiques vendus ou utilisés dans l’Etat devront être recyclables d’ici 2028 et cette proportion devra être d’au moins 65% au 1er janvier 2032. Contrairement à la directive européenne, la loi américaine est contraignante et rend les industriels directement responsables de la mise en œuvre et du financement de ces mesures.

Croire que le plastique n’est pas un sujet pour l’horlogerie ou le luxe est une erreur. Ce matériau est partout et il est important de trouver des solutions systématiques de remplacement ou de recyclage. De plus en plus de consommateurs le réclament et la biodiversité en a cruellement besoin.

La Californie a voté en 2022 une loi qui stipule qu’au moins 30% des emballages plastiques vendus ou utilisés dans l’Etat devront être recyclables d’ici 2028.

Communication: le «greenwashing» ne sera plus si simple

Dernier point, mais non des moindres: la communication «verte» se voit progressivement encadrée. Partie intégrante du Pacte Vert européen, l’effort pour réduire les fausses affirmations («greenwashing») dans les communications des entreprises s’intensifie. Le but est de pousser ces dernières à étayer leurs affirmations sur leurs produits par une méthodologie standardisée évaluant clairement leur impact sur l’environnement.

Les affirmations de «neutralité carbone» ou de «zéro émission» devront désormais être explicitées concrètement. Quand on sait que la neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle planétaire, cela devrait rapidement mettre un frein à tout greenwashing éhonté. La France va d’ailleurs plus loin que la Commission européenne en instaurant une loi qui inflige une amende pour toute communication non prouvée. Limitée actuellement à ce pays, elle pourrait créer un précédent intéressant… et contraignant! Les marques horlogères ont tout intérêt à prendre cette évolution légale en compte dans leurs communications et a fortiori dans leurs méthodes de production et de distribution.

Nouvelles législations sur l'environnement: que faut-il savoir?
Source: World Economic Forum

En tout état de cause, il est clair que le cadre légal se renforce pour que la lutte contre les dérèglements environnementaux dont nous sommes responsables s’accélère. Même le Forum économique mondial de Davos le reconnait cette année: six des dix plus grands défis pour l’humanité (ou à minima pour son économie) sur la prochaine décennie sont liés à l’environnement - voir à ce propos également le «coup de gueule» d’Al Gore lors de la dernière édition ci-dessous. Il est temps que toutes les entreprises en prennent conscience. Le luxe dispose de moyens inégalés pour tenir une part active dans ce combat.

Si certains pensent encore que leurs affaires ne sont pas concernées par le dérèglement climatique, la pollution plastique et l’effondrement de la biodiversité, il est grand temps qu’ils retirent leurs œillères, leurs boules Quies et sortent la tête du sable. En effet, une législation contraignante sera désormais de plus en plus présente pour encadrer ce mouvement incontournable. Mais les lois ne viennent qu’en soutien: le changement nécessaire ne sera possible qu’avec le rassemblement des volontés sincères des gouvernements, des entreprises et des citoyens. Le futur des affaires, mais surtout le futur de l’humanité, en dépend.

Les affirmations de «neutralité carbone» ou de «zéro émission» devront désormais être explicitées concrètement.

QUELQUES RÉFÉRENCES POUR ALLER PLUS LOIN:

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1581957073694&uri=CELEX%3A52019DC0640

https://commission.europa.eu/energy-climate-change-environment/standards-tools-and-labels/products-labelling-rules-and-requirements/sustainable-products/ecodesign-sustainable-products_fr https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2022/738177/EPRS_ATA(2022)738177_EN.pdf

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32022L2464&from=FR#d1e5880-15-1

https://environment.ec.europa.eu/news/environmental-footprint-methods-2021-12-16_fr

https://insightplus.bakermckenzie.com/bm/dispute-resolution/united-states-plastic-and-recyclability-litigation-best-practices-to-minimize-risk

https://www.touteleurope.eu/environnement/dechets-qu-est-ce-que-la-directive-sur-les-plastiques-a-usage-unique/

https://assets.website-files.com/5d26d80e8836af2d12ed1269/62d9614cd746aa35cf599100_1.%20Report_%20CGR%20Global%202022.pdf

https://circulareconomy.europa.eu/platform/fr/toolkits-guidelines

https://librairie.ademe.fr/developpement-durable/5609-use-of-the-carbon-neutrality-argument-in-communications.html

https://librairie.ademe.fr/developpement-durable/5335-utilisation-de-l-argument-de-neutralite-carbone-dans-les-communications.html