es images sont bouleversantes de beauté, bien que la beauté ne soit pas le but recherché par le scientifique, plongeur et photographe Laurent Ballesta. C’est une beauté malgré lui qu’il extrait des profondeurs sous-marines. Son but serait plutôt de donner à chacun le goût de vouloir protéger cette planète et ses richesses à tout prix.
Il a réuni ses photographies dans un livre qu’il faut absolument avoir dans sa bibliothèque. On y découvre les mystères de ce que l’on ne connaît pas, de ce que l’on ne comprend pas et qui nous fascine. Cela va au-delà d’une esthétique. En plongeant à grande profondeur, il nous offre à voir des territoires inconnus.
Au sein du Blancpain Ocean Commitment – les initiatives à travers lesquelles la marque horlogère œuvre pour la protection des fonds marins – figure un partenariat avec Laurent Ballesta. Blancpain soutient ses Expéditions Gombessa depuis sa toute première mission, qui a eu lieu en 2013.
Ce projet a pour but d’étudier les créatures et les phénomènes marins les plus rares et les plus insaisissables de la planète. C’est ainsi que Laurent Ballesta a rencontré un jour un cœlacanthes, le plus ancien poisson du monde, un animal sous-marin mythique que l’on a cru disparu jusque dans les années 1930.
Europa Star: Comment vous est venue la passion de la plongée?
Laurent Ballesta: Je n’ai pas le souvenir qu’elle soit venue. Elle a toujours été là. Ce n’était pas la mer elle-même qui m’attirait mais les images de la mer. Je regardais les films du Commandant Cousteau. Cela n’avait rien d’original: nous étions des millions à travers le monde à être fascinés par ses aventures. Il a eu la très bonne idée de non seulement mettre en image les animaux marins mais aussi les hommes qui plongeaient. C’était très facile de se projeter, de voir naître une vocation. C’est venu de là, quand j’étais tout petit. Nous habitions près de Montpellier, à dix minutes de la mer, et mes parents étaient des passionnés de plage. Ce serait mentir de dire qu’ils allaient à la mer parce qu’ils ne se baignaient pas. Ou juste quand ils avaient très chaud. De toutes les façons, ils savaient à peine nager. Mais dès qu’ils avaient une journée de libre, c’était une serviette posée sur la plage. Quand on est un enfant, dans ces conditions, on est condamné soit à s’ennuyer, soit à aller jouer dans la mer. Mais quand on a vu les films de Cousteau on joue à Cousteau. A 49 ans, je continue à jouer à Cousteau.
Et qu’est-ce qui vous a donné envie de faire des images sous-marines?
Enfant, ma nature profonde était tournée vers le dessin, la peinture, la sculpture. De ces modes d’illustration à la photographie, il n’y avait qu’un pas. Quand j’ai eu la chance d’avoir un appareil photo entre les mains, tout ce passé, toute cette enfance a trouvé là un exutoire, un espace pour s’exprimer. Bien sûr ce n’était pas conscient: quand on est jeune on ne dit pas «j’ai envie de m’exprimer». J’ai commencé à faire des photos sous-marines quand j’étais adolescent: je voulais prolonger la contemplation. Plonger c’est court: on n’est pas fait pour aller sous la mer. Une fois que l’on a des bouteilles dans le dos, c’est magique, mais ce n’est pas magique très longtemps. Au bout d’une demi-heure ou quarante minutes, c’est fini. Lorsque l’on est un passionné de champignons ou d’oiseaux on peut rester des journées entières à les regarder. La photo m’apportait cette possibilité. J’ai toujours eu un côté collectionneur et je me suis dit que j’allais collectionner tous les poissons en images. Et quand j’aurais fini, je ferais tous les coquillages, puis tous les crustacés…
C’était une vision assez naïve. Quand j’ai commencé à faire des photos, au-delà de ce que je voyais, je voulais montrer ce que je ressentais. Aujourd’hui, ce que je souhaite dévoiler dans mes images, c’est tout le mystère qu’il y a derrière. Souvent, les gens ont tendance à faire un raccourci et me disent: «Vous voulez montrer la beauté des fonds marins.» Mais non! Je m’en fous de la beauté. Ce qui me fascine, ce sont les mystères des fonds sous-marins. Si l’on fait une analogie avec les humains, quand on croise dans la rue un super beau mec torse nu ou une fille sexy avec de belles formes, on ressent un effet «wow», mais c’est éphémère. En revanche une personne qui a l’air mystérieux, qui se cache un peu et a le verbe économe, on sent qu’on pourrait peut-être en tomber amoureux. Sous l’eau, c’est la même chose qui se passe. Ce me passionne vraiment, ce n’est pas la beauté de certaines créatures mais les mystères qu’elles dissimulent. La chance que l’on a, c’est que le monde sous-marin est suffisamment impénétrable et inaccessible pour que le mystère demeure et donne du sens à tout une existence, en tout cas la mienne, et me donne envie d’essayer de les approcher.
Quel est le plus grand mystère auquel vous ayez été confronté au fond des mers?
Au large du Cap Corse, de mystérieuses formations ont été découvertes il y a une quinzaine d’années. Ce sont des anneaux de coralligènes dessinés de manière parfaitement circulaire par 120 mètres de fond. Ils font 20 mètres de diamètre. Il y a en a plus de 1400 et personne n’a compris ni leur origine, ni pourquoi il y en avait à cet endroit et pas ailleurs. Cela fait quatre ans qu’avec mes camarades, accompagnés de chercheurs de renommée internationale, des géophysiciens, des paléo-climatologues, des scientifiques extrêmement pointus, nous nous évertuons à percer le mystères des anneaux du Cap Corse. Après quatre ans de mission, nous commençons à monter le film qui va raconter tout cela.
- La marque horlogère Blancpain, étroitement liée au monde de la mer à travers la légendaire Fifty Fathoms, soutient les expéditions de Laurent Ballesta depuis une décennie.
Vous avez trouvé une explication?
Oui. Il y a encore quelques points d’obscurité, mais globalement nous allons retracer l’histoire de ces anneaux sur une très longue période. Mais je ne vais pas vous révéler le secret tout de suite: il faut attendre le film qui sortira normalement cet automne.
Quelle est la rencontre qui vous a le plus bouleversé ou qui a modifié votre perception du monde?
Celle avec le cœlacanthe. Elle a déclenché tellement de choses! Dans l’histoire de la zoologie, cet animal est mythique, alors pouvoir dire que l’on appartient à cette histoire-là, que l’on s’inscrit dans la lignée des chercheurs qui ont consacré leur vie à cet animal, c’est une fierté. Je l’ai approché dans son univers, j’ai pu l’observer de près: cela restera un moment décisif.
On croyait pourtant qu’il avait disparu.
Oui, jusqu’en 1938. Cette année-là un poisson apparu dans un filet fut identifié comme un cœlacanthe. Au départ personne ne l’a cru: on pensait que c’était un canular. Il a fallu attendre quatorze ans de plus et l’année 1952 pour que l’on s’aperçoive qu’il existait vraiment. Les cœlacanthes vivent dans le canal du Mozambique, dans les profondeurs des Comores. Il faut comprendre qu’à cette époque, voir un cœlacanthe relevait de la même invraisemblance que Jurassic Park. Il y avait des paléontologues qui toute leur vie avaient étudié des fossiles de ce poisson et tout d’un coup on leur disait qu’ils existaient pour de vrai!
A la différence de Jurassic Park, il faut aller les chercher dans de grandes profondeurs: aux Comores, il faut descendre à 200 mètres. Ils restent inatteignables, ils sont très rares, fragiles. Quand on essaie de les capturer, ils meurent. Même si l’on a découvert qu’ils étaient toujours vivants, ils livrent leurs secrets au compte-goutte. Quand l’objet de notre convoitise se fait si rare, cela génère encore plus de passion. Nous sommes entrés dans ce jeu en 2009. Nous avons été les premiers à le photographier dans son milieu naturel, en plongée sous-marine. C’est à ce moment-là que Blancpain est entré dans la course.
Aviez-vous proposé des partenariats à d’autres marques que Blancpain auparavant?
Oui, mais j’avais essuyé quelques revers. Quand j’ai enfin eu rendez-vous avec Marc A. Hayek (lire son interview ici), je me suis dit que c’était la dernière fois que j’essayais. J’en avais marre. Or je n’ai même pas eu besoin d’être persuasif. J’ai eu en face de moi quelqu’un d’étonnamment réceptif. Il avait tellement de questions à me poser qu’il ne me laissait même pas raconter le projet que je venais lui présenter (rires). Il voulait savoir avec quel appareil je faisais mes photos, avec quel scaphandre je plongeais, comment je faisais ma décompression, il avait mille questions. Cela fait dix ans que l’on a commencé ce partenariat.
Quand vous plongez, vous partez avec un ordinateur de plongée qui vous fournit énormément d’informations vitales, mais en cas de panne, ce qui peut arriver, est-ce qu’une montre de plongée comme la Fifty Fathoms (lire notre article détaillé sur l’histoire de ce modèle ici) pourrait suffire à vous sauver la vie?
Bien sûr! Un plongeur qui connaît son métier a juste besoin de la notion du temps pour s’en sortir. La profondeur s’estime assez bien, en revanche, le temps, c’est plus compliqué. On peut à peu près se sortir de toutes les situations si on a un chronomètre qui fonctionne bien. C’est un très bon back-up, certes de luxe, mais est-ce que ces plongées-là ne le méritent pas? Le temps que l’on passe avec le mythique cœlacanthe mérite d’être mesuré avec un instrument de grande qualité! (rires)
De nombreuses espèces disparaissent chaque jour mais de nombreuses autres sont découvertes. Quel serait votre Graal: qu’espérez-vous découvrir un jour?
Plein de choses! Je rêverais d’être le témoin de la prédation du calamar géant. Voir chasser cet animal qui peut faire dix mètres de long, avec ses tentacules gigantesques. On a le droit de rêver. Cela se passe sans doute à des profondeurs inaccessibles. Ou pourquoi pas, assister à l’accouplement du cœlacanthe. Il s’accouple alors qu’il n’a pas d’organe génital extérieur. Comment fait-il? Cela doit être une danse ventre contre ventre, parfaitement collés, pour que la semence passe dans la femelle. Jamais personne n’a vu cela. Je pourrais faire des listes et des listes de choses, mais cela va me déprimer, car je sais qu’une vie n’y suffira pas…