ifficile d’évoquer l’horlogerie durable sans mentionner l’une des marques les plus actives sur le sujet: ID Genève. Née en 2020 par crowdfunding, son message est clair depuis son avènement: montrer que le luxe peut porter un message différent, écoresponsable et circulaire. Une conviction forte qui a attiré Leonardo DiCaprio dans son capital lors de sa dernière levée de fonds. La jeune marque a dévoilé lors des Geneva Watch Days sa deuxième (seulement!) collection en quatre ans nommée Elements – rare dans un marché enclin à lancer des nouveautés plusieurs fois par an.
- La nouvelle collection Elements de ID Geneve présente des modèles en acier 100% recyclé issu des résidus horlogers (et autres) du Jura. Quatre éléments, le Feu, l’Eau, l’Air et la Terre, ont été dévoilés. Un cinquième élément, en édition limitée de 50 pièces, présenté ici, complète cette nouvelle collection.
La collection s’inspire de la beauté de la nature pour alerter sur sa fragilité. La marque confirme sa volonté de minimiser son impact en n’utilisant toujours que de l’acier 100% recyclé, mais sa démarche va plus loin. Nicolas Freudiger, son co-fondateur, explique: «Nous sommes en pleine mesure de nos impacts, sur les trois scopes, pour publier notre rapport de durabilité. Nous sommes conscients que croître signifie augmenter nos impacts négatifs, mais notre but est aussi de proposer un nouveau narratif du luxe et nous devons nous développer pour porter ce message. Notre vision est celle d’une croissance fertile, qui exploite moins et pérennise l’existant!»
- Les trois co-fondateurs de la marque ID Geneve. De gauche à droite : Cédric Mulhauser, COO et horloger, Singal Depéry, designer et Nicolas Freudiger, CEO.
«Nous sommes conscients que croître signifie augmenter nos impacts négatifs, mais notre but est aussi de proposer un nouveau narratif du luxe.»
L’éco-design comme socle fondateur
Une autre marque a été construite sur une forte conscience environnementale: Awake. La philosophie initiale est similaire avec l’utilisation de titane recyclé pour ses premières collections, Mission to Earth, lancées fin 2018.
- Lilian Thibault est le CEO de la marque Awake, lancée fin 2018 et portant un message d’éveil des consciences à la beauté naturelle et à la nécessité de la préserver par une démarche de responsabilité durable.
Lilian Thibault, son CEO, l’exprime clairement: «Notre mission est d’éveiller les consciences à la beauté du monde pour réaliser la nécessité absolue de le préserver. Dans notre société ultra-connectée, les gens ont du mal à apprécier la beauté simple de l’environnement. Nous intégrons une approche circulaire avec des matériaux recyclés, mais nous voulons aller de plus en plus vers la notion de beau qui crée une émotion et reconnecte avec le réel. Nous souhaitons que cela fédère un plus large public.» Ou quand la désirabilité fait pleinement partie de l’éveil des consciences.
- Le modèle Dare & Dream Awake. Edition limitée à 50 exemplaires créée en collaboration avec l’artiste Nicolas Barrome Forgues. Boîtier de 40mm en titane grade 2 recyclé.
Cedric Bellon fait lui aussi office de pionnier dans cette démarche avec son modèle de montre-outil la plus durable possible, la CB01. Il évoque la création de sa marque: «Mon premier projet remonte à 18 ans en arrière. J’ai démarché des fondeurs pour voir s’il était envisageable de créer une montre avec des matériaux 100% recyclés… Mais personne n’était intéressé. Heureusement, les choses changent. Lorsque j’ai croisé la route de Watch Angels, (la plateforme collaborative qui produit ses montres, ndlr), à l’évocation de la durabilité, ils ont remis leur système de production en question pour adopter les critères d’éco-design que je leur présentais.»
- Cédric Bellon, designer horloger, a créé sa marque éponyme de montres-outils les plus éco-responsables possibles, affichant des scores de circularité de plus de 84%, soit près du double de la moyenne de l’industrie.
«Mon premier projet remonte à 18 ans en arrière… Mais personne n’était intéressé. Heureusement, les choses changent.»
Sa nouvelle montre, la CB01 Ti en titane reconditionné – à partir de fins de barres de titane non utilisées – célèbre les quatre ans de la marque: mouvement ETA reconditionné, cadran en acier 100% recyclé, fournisseurs les plus proches possible du lieu de production, simplicité maximale des étapes de la réalisation. «Tout est pensé pour minimiser les impacts à tous les niveaux», souligne le designer.
- Le nouveau modèle Cédric Bellon CB01 Ti 14600 en titane reconditionné issu de fins de barre de titane non utilisées, cadran en acier recyclé, calibre ETA reconditionné. Disponible en cinq couleurs éclatantes.
De nouveaux arrivants se déterminent également, avant même la sortie officielle de leur premier garde-temps, comme défenseurs de cette problématique et affichent leur volonté de réduire leurs impacts au minimum. La marque Pragma est l’un de ceux-ci, rares sur le segment haut de gamme.
- Christopher Wegener et Kai Hsuan Liu, co-fondateurs de la marque Pragma
- Le premier modèle de la marque Pragma, Persévérance P1, sortira début 2025. Boîtier en acier 100% recyclé fondu à l’énergie solaire par Panatere dans le Jura, calibre Chronode en titane recyclé également fondu à l’énergie solaire. L’éco-design est à la base de la conception de la marque.
Son fondateur, Christopher Wegener, dévoile le sens de leur démarche: «Nous nous sommes demandés ce qui avait du sens pour nous. L’eco-design s’est imposé comme essentiel. Nous utilisons pour nos boîtes de l’acier recyclé fondu par l’énergie solaire, un procédé développé par Panatere. Nos calibres, réalisés par Chronode, sont manufacturés avec du titane recyclé fondu de la même manière. Le but est de minimiser nos impacts à tous les niveaux de la production et d’utiliser un maximum de nouveaux matériaux durables.»
Impulsion venue des jeunes employés
Cette adoption de pratiques plus durables concerne aussi des marques aux racines plus anciennes. Ainsi Carl Suchy & Söhne, maison autrichienne au passé glorieux qui a été relancée récemment, vient d’obtenir la certification Butterfly Mark délivrée par Positive Luxury. Une reconnaissance de la démarche entreprise pour minimiser ses impacts.
- Dernier modèle de la marque Carl Suchy & Söhne, la Belvédère Bordeaux. La marque vient d’obtenir la certification Butterfly Mark délivrée par Positive Luxury pour ses efforts en matière de politique ESG.
À la question de savoir pourquoi une petite marque comme Carl Suchy & Söhne s’oriente vers une telle certification environnementale, son CEO, Dr. Robert Punkenhofer, répond: «Tout a commencé par la conviction profonde d’une jeune collaboratrice qui nous a poussés à travailler dans ce sens. Nous étions hésitants au début car cela implique l’investissement de ressources conséquentes… ne serait-ce que pour récolter les données nécessaires en interne et auprès de notre chaîne de fournisseurs. Cela a pris plus d’un an, mais nous sommes très heureux d’y être parvenu.» La gouvernance interne, à l’écoute des préoccupations des jeunes générations, est peut-être l’une des clés vers une horlogerie plus durable.
- Dr. Robert Punkenhofer, CEO de la marque autrichienne Carl Suchy & Söhne, qu’il a reprise et relancée en 2017
«Tout a commencé par la conviction profonde d’une jeune collaboratrice qui nous a poussés à travailler dans ce sens.»
Les institutions horlogères évoluent aussi
Au-delà des marques elles-mêmes, certaines institutions de l’horlogerie semblent aussi en train d’adopter cette thématique. La dernière édition des Geneva Watch Days a par exemple empoigné cette problématique à plusieurs reprises lors de ses différents panels de discussion.
Un panel sur les défis de la durabilité pour l’horlogerie a ainsi été organisé, illustration que la thématique revient sur le devant de la scène, du point de vue de la sensibilisation du moins, à défaut d’aborder des solutions concrètes. Un point essentiel y a été relevé par Georges Kern, CEO de Breitling, l’une des marques horlogères les plus engagées sur les thèmes ESG: «Personne n’achète une montre uniquement parce qu’elle est éco-responsable. En revanche, personne n’en achètera si elle ne l’est pas.»
Et Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari, de reconnaître également «une exigence croissante des jeunes générations pour plus de durabilité et de transparence». C’est désormais aux marques d’intégrer cette évolution dans leur stratégie et de passer à l’action.
«Personne n’achète une montre uniquement parce qu’elle est éco-responsable. En revanche, personne n’en achètera si elle ne l’est pas.» Georges Kern, CEO, Breitling
Le Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG), partenaire des Geneva Watch Days, a de son côté annoncé la création d’un Prix de l’éco-innovation, démontrant encore la montée croissante de la thématique dans l’industrie. Lors de la conférence de presse tenue durant l’événement, Raymond Loretan, président du conseil de la fondation du GPHG, a évoqué ce prix comme «une réponse à la dimension incontournable de la durabilité aujourd’hui». La prochaine étape sera-t-elle la création d’une catégorie à part entière de la montre durable? L’avenir le dira.
- La Awake Dare & Dream et son cadran luminescent qui permet d’apprécier tous les détails facétieux du dessin créé par l’artiste Nicolas Barrome Forgues
De manière similaire, la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH), autre partenaire de la manifestation, a prodigué une formation intitulée «le réveil de la durabilité» pour les membres de l’Académie du GPHG. Le sous-titre de cette formation en ligne était révélateur du regain d’intérêt pour le sujet: «Pourquoi est-ce pertinent pour l’industrie horlogère ?».
Il y fut question de mesure d’impact, de risques et d’opportunités, de transparence et de traçabilité et des nécessaires collaborations et actions. La conclusion, formulée par Gianfranco Ritschel, Master Trainer auprès de la fondation, résume assez bien l’ampleur du travail à accomplir: «Nous devons repenser notre culture et mettre la durabilité au coeur de nos stratégies.»
Force est de constater que des efforts reprennent pour rendre la dimension ESG de l’horlogerie plus présente, plus désirable, mieux comprise et intégrée dans les stratégies des marques…et éviter ainsi que la plus grande touche de «vert» dans l’industrie ne se résume à la multitude de cadrans lancés cette année dans cette couleur de l’espoir.