Horlogerie et environnement


La sous-traitance 
horlogère au diapason de la durabilité

mai 2025


La sous-traitance horlogère au diapason de la durabilité

Avec la montée en puissance de l’application des législations sur la transparence des entreprises et le reporting extra-financier, en particulier sur tous les thèmes ESG (Environnement, Social et Governance), chaque société se doit d’adresser cette problématique. La sous-traitance horlogère ne déroge pas au changement de paradigme. Que ce soit par souci de conformité, pour répondre à la demande de leurs clients ou par convictions personnelles, la plupart des acteurs se mettent au diapason de notre monde en pleine mutation.

L’

innovation fait partie intégrante des stratégies de toutes les entreprises de la sous-traitance. La durabilité est moins innée dans les modèles d’affaires existants…mais c’est en train de changer. L’application de normes internationales de reporting extra-financier comme la CSRD, l’ESRD ou la CSDDD, qui entrent en vigueur cette année et les suivantes, est clairement un accélérateur pour la transformation des modes de fonctionnement en commençant par les bases que sont la mesure des impacts environnementaux et sociaux, la traçabilité et la transparence.

Demande croissante de l’industrie

Jean-François Mojon, directeur du célèbre motoriste Chronode, exprime le sentiment général dans l’industrie: «Nous sommes très attentifs aux contraintes croissantes en matière d’ESG et n’avons aucun souci pour les appliquer. Nos clients nous challengent de plus en plus, comme Pragma avec qui nous avons réalisé un calibre complet en titane Grade 5 recyclé. Cette thématique nous pousse à ouvrir le champs des découvertes, notamment vers d’autres matériaux recyclés. Nous constatons une sensibilité croissante de nos clients sur ces thématiques, que ce soit pour les bracelets, les boîtiers, l’or, le platine, le titane». Amit Arora, fondateur de Watch4Green, une jeune entreprise qui propose des produits issus de matières recyclées pour l’horlogerie depuis 2020, confirme: «Les législations RSE nous poussent à travailler sur la traçabilité, les pratiques durables et équitables», mais note une difficulté: «Convaincre les marques horlogères reste un défi, car elles ne perçoivent pas toujours la valeur ajoutée. Cependant, de nombreux clients nous sollicitent activement sur les processus et les pratiques durables».

Jean-François Mojon
Jean-François Mojon

Frédéric Chautems, directeur exécutif de MPS Watch, une division de MPS Micro Precision Systems AG, le confirme: «C’est un sujet actuel important et nous sommes régulièrement sollicités et audités par nos clients. On nous demande de la traçabilité, de la transparence et des bonnes pratiques sur toute la chaîne d’approvisionnement. Mais nous avons aussi des projets très concrets comme la mise en place de conditionnements réutilisables pour le transport des pièces entre nos usines et les clients». Une fois le processus enclenché, les opportunités de repenser le modèle d’affaires se multiplient.


Convictions propres

Certains sont donc poussés par les pressions externes croissantes. D’autres ont décidé de mettre ces préoccupations au centre de leur mode de fonctionnement. La durabilité devient ainsi partie intégrante de la raison d’être de la société.

PXGroup est un des pionniers en la matière, comme l’explique Christophe Nicolet, directeur exécutif de Precinox SA depuis 2020, filiale du groupe: «La montée en puissance des législations ESG n’a pas vraiment d’influence sur notre manière de faire. Elles nous encouragent plutôt à continuer sur la voie que nous avons choisie. Nous établissons nous-mêmes notre rapport durabilité en interne, sans y être soumis par une quelconque législation. En 2022, nous avons mandaté B Corp pour former notre conseil d’administration aux enjeux ESG. Nous avons de nous-mêmes modifier les statuts du groupe pour intégrer la dimension ESG dans notre mission». Et cela se concrétise dans leur offre produit avec, notamment l’introduction de leur or issu de l’«urban mining», la récupération de déchets post consommateurs, en particulier de l’élec-tronique. Le directeur développe: «Chez PX Group nous ne traitons que de l’or responsable, notamment issu de mines artisanales, que nous vérifions nous-mêmes, ou du recyclage post-consommation, comme l’urban mining des cartes électroniques.

Amit Arora
Amit Arora

Nous pouvons ainsi nous assurer que les mineurs sont rémunérés à leur juste valeur en toute transparence et promouvoir les meilleures pratiques comme la non-utilisation de mercure lors de l’extraction. Nous avons également mis en place le fonds PX Impact il y a près de 10 ans pour inciter nos partenaires à verser une prime supplémentaire, de l’ordre de 250 à 500 dollars par kilo, à la fondation GEIF qui redistribue les fonds à des ONG en lien direct avec les communautés minières». Une mise en place d’un cercle vertueux pour limiter les impacts sur cette matière première qui représente l’un des postes les plus lourds pour l’horlogerie et le luxe en général. Quand on sait que d’une tonne de gravats est extrait à peine 0,5 gramme d’or dans une mine à grande échelle, alors que d’une tonne de déchets électroniques peuvent sortir entre 200 et 400 grammes du précieux métal, le bien-fondé d’une telle vision se fait évident. En 2022, 62 millions de tonnes de déchets électroniques ont été générés dans le monde, un chiffre qui augmente de 5% par an (source, The Global E-waste Monitor 2024), soit la catégorie de déchets qui croît le plus vite.

Christophe Nicolet
Christophe Nicolet

Et c’est sans compter tous les autres métaux que l’entreprise peut récupérer dans le process, en particulier le cuivre (jusqu’à 300kg !), le platine ou l’argent.…ou la dépendance envers les mines d’extraction primaires dans un contexte géopolitique pour le moins incertain.

La durabilité permet ainsi de créer des «boucles de recyclage» vertueuses qui minimisent les impacts.

L’industrie se mobilise

Preuve s’il en est que les thématiques ESG / RSE prennent de l’ampleur, le 27 mars dernier s’est tenu le premier Forum de la Durabilité industrielle à Moutier, en plein coeur de la sous-traitance horlogère. Il est intéressant de noter que ce forum a été créé après un sondage auprès des membres de i-moutier (Centre de compétences et plateforme d’échange dédiés à la durabilité, la responsabilité sociale des entreprises [RSE], l’économie circulaire et l’innovation durable dans l’industrie créée en 2017, ndlr) et du Siams sur les sujets les plus importants à aborder.

Malgré un contexte géopolitique compliqué, plus de 100 participants étaient présents. La plupart sous-traitants de la micro-mécanique, dont l’horlogerie fait partie, mais aussi quelques (très) grandes marques, signe que ces dernières sont conscientes de la nécessité d’intégrer toute la chaîne de valeur dans la transition en cours et de les soutenir dans la démarche. De nombreux intervenants étaient venus pour éclairer les entreprises sur la CSRD, l’ESRD, la double matérialité, les principes de l’économie circulaire, l’éco-conception…etc. Et des ateliers ont été mis en place pour répondre aux questions concrètes des entreprises.

Crédit photo: Roland Keller

Les discussions avec les participants ont mis en lumière une volonté forte de conformité vis-vis des cadres légaux croissants, mais aussi un sentiment de nécessité par rapport aux attentes du marché, voire de responsabilité envers les jeunes générations.

Au cours des diverses présentations, l’objectif essentiel de l’Accord de Paris, signé (par la Suisse également) en 2015 a été rappelé pour bien mettre en perspective le sens profond de la démarche: atteindre la neutralité carbone au niveau mondial en 2050. Avec ce but en tête, la nécessité de transformer le modèle linéaire délétère (extraire, produire, utiliser, jeter) dans un monde aux ressources limitées avec une po-
pulation croissante est apparu évident. La hausse inévitable du coût des matières premières et la dépendance aux énergies fossiles ont été marquées, ainsi que la difficulté de la tâche de transformer en 25 ans un système établi depuis plus de 100 ans.

Le risque d’un monde à +4°C est très concret. Il a été évalué par le Haut Conseil pour le Climat en France à -10% du PIB moyen mondial par an ! Une comparaison que tout le monde peut appréhender: lors de l’épisode de la pandémie de Covid, qui a mis l’économie mondiale à l’arrêt, la baisse du PIB mondial a été de… -5% ! Matière à réflexion.

Face à l’intérêt de la thématique, le maître-mot du forum a été «pragmatisme».

Pragmatisme et vision

Nombreux sont ceux qui ont évoqué le bon sens d’une telle démarche, au-delà des difficultés et de la complexité de mise en place. La conclusion, notamment pour la mise en conformité avec les législations, fut que ces cadres sont plus de nouveaux outils de mesure de la performance que des contraintes.

Esteban Villalon, CEO de Lavoisier composites, a rappelé que de grandes opportunités existent. Il a créé son entreprise en voulant «changer le modèle, en faisant du déchet une ressource, en mettant en place des boucles de circularité pour créer de la valeur ajoutée avec des sous-produits, tels que les chutes textiles ou les résidus de production». Son nouveau matériau, lancé en 2018, le Carbonium®, composé de deux tiers de fibre de carbone de modules intermédiaires de l’aéronautique et d’un tiers d’époxy haute température, utilisé notamment chez Ulysse Nardin ou Romain Gauthier, en est la preuve.

Raphael Broye
Raphael Broye

Les tables rondes et ateliers ont ensuite permis d’identifier les bonnes pratiques à adopter: les circuits courts, l’implication de toutes les équipes, penser les produits avec leur impact de production, leur usage et leur fin de vie, appliquer la loi de Pareto et s’attaquer en priorité aux 20% d’activités responsables de 80% des impacts. Pragmatisme.

Panatere est venu incarner cette logique en pionnier de l’économie circulaire industrielle avec son acier recyclé issu de l’arc jurassien dont il divise encore l’impact énergie grâce à son four solaire. L’entreprise propose aujourd’hui du titane recyclé, des matériaux composites à partir de sacs poubelles recyclés, des matériaux compostables à partir de déchets maraîchers, de fenouil, de raisin ou de bois de sapin. Tout cela obtenu en circuit court avec des déchets locaux. Raphael Broye, CEO de l’entreprise, a rappelé la nécessité de repenser les productions par un simple constat: «Nous aurions besoin de 2,3 planètes Terre pour honorer les besoins actuels…qui ne font que grandir. Il nous faut penser circulaire».

Jonathan Normand de BLab Suisse est venu clore les débats avec une phrase qui résume le changement de vision qu’implique une adoption des principes de la durabilité: «Le but n’est plus d’être le meilleur du monde, mais le meilleur POUR le monde!».

Toutes ces initiatives et discussions sur ces thèmes incontournables montrent que les mentalités changent, les consciences s’éveillent et la transition apparaît comme nécessaire et inévitable. La sous-traitance horlogère, en tant que partie intégrante de la chaîne de valeur de l’industrie, semble l’avoir bien compris et s’y atteler. La révolution est en marche!