Horlogerie et environnement


L’horlogerie verte se cache bien

ENVIRONNEMENT

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janvier 2018


L'horlogerie verte se cache bien

L’horlogerie suisse assure-t-elle sa part de responsabilité environnementale? Il y a dix ans, la réponse était clairement non. Aujourd’hui, les choses bougent. Il n’est plus une marque sérieuse qui n’ait pas sa «Direction du Développement Durable». Si l’action est parfois tangible, la communication est imperceptible. Motif: l’horlogerie vend du rêve, pas de l’engagement environnemental. L’arrivée des générations X et Y, en forte demande sur ce sujet, fait cependant bouger les lignes.

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tes-vous clean, green, RSE, DD ou responsable? Lorsque l’on pose la question aux marques horlogères, aujourd’hui, le sujet est pris très au sérieux. Ce n’était pas le cas il y a quelques années: faire son miel devant sa manufacture, c’était être green. Les abeilles, c’est vrai, c’est important. Peut-être un peu moins que les 10,6 tonnes de piles recyclées l’année dernière par le Swatch Group.

De l’art de monter au créneau (ou pas)

La responsabilité environnementale – appelons-la ainsi – remonte évidemment bien plus haut dans la chaîne de valeur d’une entreprise horlogère. Il n’existe plus guère de CEO qui se réfugie derrière la parade (proche du sophisme) selon laquelle une montre mécanique est construite pour des siècles et se trouve donc durable par essence.

Marie-Claire Daveu, Kering © Lea Crespi, 2014
Marie-Claire Daveu, Kering © Lea Crespi, 2014

Aujourd’hui, de nombreux rapports annuels et CSR (Corporate Social Responsability) traitent du sujet. Ils sont efficaces, un peu trop d’ailleurs: c’est derrière eux, à présent, que les marques se réfugient afin d’éviter toute prise de parole directe. Il en va ainsi du Swatch Group, qui consacre 6 pages à l’écologie horlogère sur les 244 pages de son rapport annuel. Kering y dédie un rapport de 25 pages mais n’hésite pas, en complément, à monter au créneau. Marie-Claire Daveu en est la directrice du développement durable et des affaires institutionnelles internationales: «Le développement durable est une source d’innovation et de créativité. Il favorise la collaboration, la connectivité et la transparence. Il comporte toutefois une difficulté: celle de concilier le temps long de la marque avec le temps court du consommateur.»

Durable ou désirable? Les deux!

Ce n’est pas le seul écueil. La responsabilité environnementale est avant tout une question de processus et de traçabilité. On est bien loin du marketing horloger de «garde-temps séculaires à l’élégance intemporelle». Traduction: il est bien délicat d’industrialiser le rêve – encore plus de le vendre! De bien des avis, le développement durable ne fait pas rêver.

Le consommateur est d’autant moins engagé à le vouloir que son bénéfice dépasse l’échelle de sa propre vie. Se prémunir d’une augmentation des températures de 1,5 degré dans un siècle, c’est bien mais cela ne fait pas vendre des montres... aujourd’hui. Stéphane Truchis l’a bien senti. Il est président de l’institut de sondage IFOP. Selon lui, si la responsabilité environnementale ne fait pas (encore) vendre, c’est parce qu’elle n’est pas assez sexy. L’enjeu est donc «d’articuler désirabilité et durabilité. Il faut davantage prouver que, par nature, le luxe est autant durable que désirable». Sandrine Noel, responsable environnement chez Louis Vuitton, abonde: «Aujourd’hui, les attentes des consommateurs sont clairement exprimées. Nos vendeurs ont compris que le développement durable était un avantage, une belle histoire. Une marque qui inclut le développement durable dans ses actes et son discours est plus désirable. Cela contribue à son authenticité et son humilité.»

On y est! Pour que la responsabilité environnementale se développe à tout le luxe, dont l’horlogerie, il faut la rendre désirable et authentique. Nécessaire mais pas suffisant: on ajoutera «accessible» car le progrès écologique ne sera réel qu’une fois adopté par les masses.

Une question de certification

L'horlogerie verte se cache bien

Ce caractère accessible de l’horlogerie durable est un vaste sujet. Immédiatement, on pense au produit et à son prix. Chopard, par exemple, avec ses pièces dont l’or est certifié «Fairmined». L’initiative est remarquable: c’est la première de ce genre et c’est un succès. La manufacture en renouvelle l’offre chaque année et en augmente les volumes afin de répondre à une demande croissante. Kering suit avec certaines de ses marques une certification assez proche, soutenue par une ONG, Solidaridad.

Côté diamants, le processus de traçabilité dit «de Kimberley» est adopté par la quasi-totalité des marques, en parallèle du RJC (Responsible Jewellery Council), lequel fait autorité pour endiguer le fléau des diamants de sang («blood diamonds»). Ces certifications sont indispensables – «et pas simples à obtenir», souffle Karl-Friedrich Scheufele, co-président de Chopard. Toutefois, l’horlogerie durable va considérablement au-delà du produit: boutique, emballage, papiers utilisés, émissions de CO2, etc.

De belles mais discrètes initiatives

Les marques horlogères communiquent peu sur ces sujets. Pourtant, certaines sont en pointe. Chez Girard-Perregaux ou Ulysse Nardin, 100% du papier est d’origine contrôlée et 50% recyclable. 100% des sacs Gucci sont recyclés. Au Japon, le géant Seiko a interdit les chlorofluorocarbures depuis 1993. Depuis 2006, toute trace de plomb a été éliminée de ses mouvements à quartz.

L'horlogerie verte se cache bien

Deux ans plus tard, ses batteries se dispensaient de mercure. On notera que d’importants groupes suisses ont d’ailleurs obtenu des dérogations pour ces positions dont certaines, entre temps, ont été rendues obligatoires par l’Union européenne et les produits qui y circulent. Plus en amont, la production reste le premier levier d’une horlogerie écologiquement responsable. Là encore, les marques communiquent peu car elles considèrent que cela ne les rend pas (plus) désirables. Sandrine Noël, de Louis Vuitton, tempère: «Les générations X ou Y ont clairement des attentes sur ce sujet.» Ces attentes trouvent par ailleurs des caisses de résonance nouvelles dans les réseaux sociaux. Les mouvements en faveur de la protection des animaux comme PETA et L214 bénéficient aujourd’hui d’un écho plus fort qu’ils n’ont jamais pu rêver. Aujourd’hui, rarissimes sont les jeunes de ces générations à réclamer de l’authentique fourrure, par exemple.

L’horlogerie? Peu concernée par la fourrure, il est vrai. Reste le cuir, abondamment présent. Chez Kering, son usage et sa transformation sont à l’origine de 24% de l’impact environnemental du groupe!

Ce dernier a donc mis en place des mesures concrètes pour y remédier: tannage sans métaux lourds, intégration de ses propres tanneries, sélection drastique des partenaires. Prochaine étape? Le cuir végétal, probablement. Il n’est pas encore arrivé en horlogerie mais déjà chez une marque qui, elle aussi, dicte son tempo au luxe: Tesla. Depuis cet été, la marque aux bolides électriques a stoppé l’utilisation du cuir animal (au profit du végétal) dans tous ses modèles, sans exception. Cela ne l’empêche pas de vendre du rêve et, accessoirement, des voitures à 150’000 dollars. A méditer?

En attendant les X et Y

Les rejets – au sens large – sont l’autre préoccupation majeure des horlogers. Le Swatch Group souhaite diminuer sa consommation énergétique durant la période de 2013 à 2020 en réalisant une réduction de ses émissions de CO2 à hauteur de 27%, tout en augmentant l’efficacité énergétique de 8%. Les panneaux photovoltaïques ont également la préférence de nombreuses marques, qui les déploient sur leur toit, comme chez TAG Heuer ou Hublot.

Les indépendants ne manquent pas d’idées non plus. Christophe Claret a par exemple converti sa chaudière du fioul au gaz tout en déployant un ingénieux système récupérant la chaleur des machines pour chauffer les bâtiments. Ulysse Nardin, non loin de là, a d’ailleurs fait de même. Agenhor, de la même manière, a fait construire ses bureaux selon une exposition solaire optimisée afin d’en réguler naturellement la température. Chez IWC, on agit autrement: 100% de l’énergie achetée par la maison est d’origine renouvelable. Chopard et Hublot ayant rénové leurs bâtiments récemment, les ont fait certifier Minergie ou HPE (Haute Performance Energétique).

Manufacture Audemars Piguet Minergie-Eco au Brassus
Manufacture Audemars Piguet Minergie-Eco au Brassus

Ces initiatives sont elles honteuses? Doivent-elles être à tout prix cachées? Non, évidemment. Pourtant, elles ne sont pas ou peu connues du grand public car encore considérées comme «non désirables». L’horlogerie, volontiers conservatrice, vend du rêve et considère que la responsabilité environnementale ne fait pas rêver. C’était une réalité d’hier. Celle de demain, c’est celle de générations X, Y ou Z qui, elles, rêvent précisément... d’un avenir meilleur.