Horlogerie et environnement


Horlogerie et écologie: le dialogue est-il possible?

ENVIRONNEMENT

juillet 2019


Horlogerie et écologie: le dialogue est-il possible?

Une étude du WWF scrute les efforts des marques horlogères et joaillières dans la prise en compte de l’impact environnemental de leur production. Habitué à l’«excellence», le secteur fait cette fois office de cancre. Cependant, faute de données claires, la différence porte surtout entre ceux qui acceptent ou refusent de communiquer en la matière. Analyse.

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019 entrera sans doute dans les livres d’Histoire comme une année de transition importante pour une forme de prise de conscience de ce que certains appellent déjà l’«urgence écologique». De la médiatisation de Greta Thunberg lors du Forum économique de Davos aux marches des lycéens, mais surtout par son rôle de plateforme diplomatique et hôte des Nations Unies, la Suisse est au coeur de l’action environnementale internationale. Mais est-ce que l’horlogerie, la «vitrine suisse» la plus connue au monde, est à niveau en matière écologique?

Nous avions déjà traité ce sujet il y a deux ans (à relire en cliquant ici), notant une relative prise de conscience du secteur durant la décennie écoulée, en prenant l’exemple de l’énergie renouvelable utilisée par IWC ou la certification de l’approvisionnement en matières précieuses chez Chopard.

Le WWF a récemment empoigné lui aussi la question. L’organisation a ensuite publié un rapport qui, sans grande surprise, pointe le gros travail qui reste à faire... Il faut dire que l’organisation ne fait pas dans la dentelle, puisque parmi ses recommandations aux consommateurs, on trouve le conseil suivant: «N’acheter des montres et des bijoux que rarement et avec modération»!

Peu de réponses

«La plupart des grandes entreprises des secteurs suisses de l’horlogerie et de la joaillerie ne semblent pas se préoccuper de l’environnement et ne sont pas transparentes. Seule IWC montre un peu plus d’ambition en matière de développement durable», martèle le WWF, qui a publié un classement de la performance environnementale de 15 entreprises du secteur.

Par rapport à d’autres activités comme l’agro-alimentaire ou les transports, constamment scrutés et pointés du doigt, l’horlogerie-bijouterie était jusque-là restée plutôt hors du radar des organisations de défense de l’environnement. De fait, les sociétés horlogères «ne livrent aucune information, ou alors seulement au compte-goutte, sur les conséquences de leurs activités pour la nature», écrit le WWF.

Seules cinq entreprises du groupe Richemont (Cartier, Jaeger-LeCoultre, Piaget et Vacheron Constantin) - écrit «Richmond» dans le rapport du WWF (sic) -, ainsi que TAG Heuer, ont «activement participé à l’évaluation et répondu au questionnaire, les neuf autres ont été étudiées sur la base des informations disponibles publiquement». Sans surprise on retrouve les entreprises qui ont accepté de répondre en tête du classement établi par le WWF.

C’est bien là la limite de l’exercice: l’étude calcule-t-elle la performance écologique réelle de ces sociétés ou plutôt leur degré de transparence? Sachant que plusieurs marques ont une culture de discrétion sur leurs activités, faut-il en déduire, comme le fait le WWF, que «ces entreprises ne semblent pas se préoccuper de la protection de l’environnement»? A l’inverse, celle qui ont accepté de communiquer sont-elles réellement plus performantes ou surtout adeptes de greenwashing?

Seules six entreprises sur quinze ont accepté de répondre au questionnaire du WWF. C’est bien là la limite de l’exercice: l’étude calcule-t-elle la performance écologique réelle de ces sociétés ou plutôt leur degré de transparence?

Un rôle pionnier pour l’horlogerie?

Plus que la gestion sur site des opérations de production, c’est l’approvisionnement en matières premières, «particulièrement lourd», qui intéresse le WWF.

«L’industrie de la joaillerie et de l’horlogerie utilise de grandes quantités de ressources précieuses et a un impact négatif sur des écosystèmes précieux et sur la société tout au long de sa chaîne de création de valeur, écrit Dario Grünenfelder, chef de projet auprès du WWF Suisse et responsable de l’étude. Le marché des biens de luxe n’a cessé de se développer ces dernières années et, selon les prévisions, continuera sa progression au cours des années à venir.»

L’organisation réclame plusieurs améliorations de la part des sociétés horlogères et joaillières: «Elles doivent massivement réduire leur impact sur l’environnement tout au long de leur chaîne de création de valeur, exposer de manière transparente leurs activités et faire un effort de collaboration pour rendre le secteur plus durable.»

Ne se contentant pas de manier le bâton, et bien conscient que le luxe est d’abord affaire d’image, le WWF tend aussi une «carotte» au secteur horloger. «Les grandes entreprises suisses, bien connues, ont un rôle phare à jouer pour l’ensemble du secteur. Elles pourraient s’assumer comme pionnières afin d’apporter davantage de responsabilité et de transparence à l’ensemble de la chaîne de livraison et, ce faisant, au marché mondial.»

Ne se contentant pas de manier le bâton, et bien conscient que le luxe est d’abord affaire d’image, le WWF tend aussi une «carotte» au secteur horloger.

La dernière provocation de H. Moser & Cie

Une marque horlogère s’est lancée dans cette brèche, avec le côté «guérilla marketing» qui est devenu sa signature: H. Moser & Cie. Les illustrations de cet article figurent sa Nature Watch présentée lors du dernier SIHH en janvier, la première montre mécanique «végétale et vivante». Cette montre composée de plantes suisses endémiques a vu le jour dans les jardins de la société à Schaffhouse.

«La Moser Nature Watch symbolise le changement climatique, s’inscrit en porte-à-faux contre un consumérisme effréné qui nous emporte tous», écrit la marque. A travers ce modèle, H. Moser & Cie prend trois engagements concrets: remplir les conditions de certification du Responsible Jewellery Council d’ici à fin 2019; utiliser des matériaux Fair Trade aussi souvent que possible, notamment l’or équitable; enfin, garantir une empreinte carbone nulle lors de la fabrication des montres en utilisant des méthodes et des procédures plus efficaces et en compensant l’empreinte résiduelle à travers l’achat de crédits carbone.

La société schaffhousoise a aussi noué un partenariat avec Room to Read, une organisation internationale centrée sur l’alphabétisation et l’égalité des sexes dans l’éducation.

Pas si incompatible?

Consciemment ou non, les recommandations du WWF semblent en réalité rejoindre plusieurs transformations en cours dans l’industrie.

Ainsi, la révolution numérique a d’abord favorisé un essor du marché secondaire, s’inscrivant dans le thème plus général du «recyclage». L’une des interrogations bien concrètes de chaque amateur d’horlogerie, au-delà de toute considération écologique, est désormais d’abord de choisir entre une montre neuve ou plutôt - comme c’est la tendance actuellement - une montre d’occasion. Des milliers de garde-temps qui dormaient dans des tiroirs trouvent là une seconde vie.

De même, l’exigence de traçabilité du WWF peut s’accorder avec les attentes d’une industrie en proie à la vente de contrefaçons et surtout au détournement du label Swiss made et plus généralement du terme Swiss, malgré le renforcement normatif survenu récemment. De manière générale, nous allons vivre dans une société - et une industrie - de plus en plus «certifiée».

On l’a constaté avec l’émergence de la nourriture biologique ou de la voiture hybride: l’écologie a un prix et elle reste un luxe que peut se permettre une certaine élite consciente, inquiète et capable de changer ses habitudes de consommation d’abord grâce à ses ressources financières. Une certaine élite qui s’intéresse aussi de plus en plus à ces objets durables, ressuscités de mille crises, que sont les montres suisses! L’exigence de transparence, qu’elle soit écologique ou économique, s’affirme quant à elle toujours plus grande, pour le pire et pour le meilleur. On n’en est qu’au début...