Joaillerie et horlogerie


Les «sculptures-à-porter» du bijoutier indien Studio Renn

ENTRETIEN

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janvier 2022


Les «sculptures-à-porter» du bijoutier indien Studio Renn

Fondé en 2018 à Mumbai, Studio Renn est un collectif qui crée des bijoux comme des sculptures-à-porter. Lors du dernier salon joaillier GemGenève, les deux fondateurs présentaient leurs collections. Nous avons rencontré le co-fondateur de Studio Renn, Rahul Jhaveri.

S

tudio Renn a été fondé à Mumbai en 2018 par Rahul Jhaveri (36 ans), un collectionneur d’art contemporain, et son épouse Roshni Jhaveri (37 ans). Plus qu’une maison de joaillerie, il s’agit d’un collectif dont les œuvres prennent la forme de bijoux. Le rôle de ces bijoux n’est pas purement ornemental: ces créations sous-tendent une idée, un concept. Ce serait plutôt des «sculptures-à-porter».

Le couple s’est rencontré à l’université américaine de Carnegie Mellon en Pennsylvanie. Avant de créer leur marque, ils n’avaient aucune expérience de la vente de bijoux. Roshni, qui dirige aujourd’hui les ventes et le marketing de Studio Renn, était consultante en stratégie. Rahul a quant à lui grandi dans une famille de diamantaires depuis trois générations, qui s’approvisionne en diamants bruts, les taille et les polit.

Roshni et Rahul Jhaveri
Roshni et Rahul Jhaveri

La marque est née il y a trois ans à peine et pourtant, en août dernier, elle a gagné le prix de l’innovation lors du fameux salon de la joaillerie Couture à Las Vegas grâce à la bague «Strangler». Ce bijou en béton passé à l’acide est renforcé d’or gris noirci et serti de diamants ronds taille brillant. Il s’agit d’une réflexion sur l’impermanence, sur les bijoux qui peuvent aussi vieillir avec le temps. Renn signifie «renaissance». Ceci n’explique peut-être pas cela mais donne une piste sur l’importance du temps et son passage dans le travail du duo.

Studio Renn Transiant Ring: une bague en... béton!
Studio Renn Transiant Ring: une bague en... béton!

Studio Renn collabore avec des artistes, des architectes ou encore des chorégraphes. L’approche créative du duo s’apparente plus au design contemporain qu’à la joaillerie traditionnelle. Lors du dernier salon joaillier GemGenève, en novembre 2021, les deux fondateurs présentaient leurs collections. Entretien avec Rahul Jhaveri.

La marque est née il y a trois ans à peine et pourtant, en août dernier, elle a gagné le prix de l’innovation lors du fameux salon de la joaillerie Couture à Las Vegas grâce à la bague «Strangler».

Les «sculptures-à-porter» du bijoutier indien Studio Renn

Europa Star: Où avez-vous appris l’art de la joaillerie?

Rahul Jhaveri: Je n’ai pas de formation complète en matière de conception ou de fabrication de bijoux. C’est quelque chose que j’ai appris par curiosité. Avant de créer le studio, je travaillais dans l’entreprise familiale, spécialisée dans l’approvisionnement en diamants bruts, leur taille et leur polissage. En même temps, je créais des bijoux pour mes amis et ma famille. C’est ainsi que je me suis lancé. J’ai appris sur le tas, sans idées préconçues, en poussant les limites de l’exercice au-delà de ce qui se fait habituellement.

Studio Renn Fish Skeleton Earrings
Studio Renn Fish Skeleton Earrings

Quel était votre objectif en créant des bijoux?

Le Studio est né de l’amour du design et de la création. Pour nous, le processus de création est le point central et les bijoux n’en sont en quelque sorte que la manifestation physique, l’un de ses aspects. Nous faisons simplement ce qui nous vient instinctivement en tête et nous regardons où le voyage créatif nous mène.

«J’ai appris sur le tas, sans idées préconçues, en poussant les limites de l’exercice au-delà de ce qui se fait habituellement.»

Les «sculptures-à-porter» du bijoutier indien Studio Renn

Quel rôle joue un bijou à vos yeux?

Plutôt que de considérer le bijou comme la fin du processus, nous le voyons comme une partie du processus. Chaque pièce nous offre la possibilité de suivre une nouvelle orientation créative. Un bijou est quelque chose de profondément personnel, identitaire. Une personne qui collectionne notre travail s’approprie la pièce et celle-ci devient une partie de ce qu’elle est, à ce moment-là.

Studio Renn Orange Peel Bracelet
Studio Renn Orange Peel Bracelet

Vous n’êtes pas seuls dans cette démarche: vous travaillez avec de nombreux artistes...

Oui, au Studio, la collaboration est un élément important de notre approche. Nous travaillons avec des architectes, des designers, des sculpteurs, des musiciens, des personnes issues de différents domaines créatifs qui s’expriment dans leur propre médium, mais il y a toujours un point commun car nous partageons l’amour de la création. Par exemple, lorsque nous avons travaillé avec l’artiste contemporain Prashant Salvi, nous n’avons pas interprété son travail: il faisait pleinement partie du processus de création. Il a dessiné une série de croquis à partir de nos discussions et nous avons créé certains de nos bijoux suite à ces mêmes échanges. Ce n’est pas vraiment une collaboration, c’est plutôt une conversation que nous avons engagée avec d’autres personnes créatives et c’est de ce genre de dialogue que se dégagent des idées et beaucoup d’énergie.

«Rien n’est permanent. Pourquoi attendons-nous des bijoux qu’ils le soient?»

Les «sculptures-à-porter» du bijoutier indien Studio Renn

Vous avez fabriqué une bague en béton. D’où vous est venue cette idée?

Elle est venue d’une obstination absolue. Il a fallu un an pour la conceptualiser. Il s’agissait d’une œuvre commandée par une architecte, une de nos collectionneuses, qui voulait porter un solitaire puissant et solide. Je lui ai proposé de créer une bague en béton, car même si cette matière donne l’impression d’être permanente, elle ne l’est pas. Le béton n’a qu’une durée de vie de 20 ou 30 ans. C’est pourquoi le bijou s’appelle «Transient ring» (la bague éphémère, ndlr), parce qu’elle va s’abîmer. Mais c’est là toute la beauté de la pièce! Elle va vieillir, changer, un peu comme nos villes. Nous nous attendons à ce que nos cités soient éternelles, mais elles ne sont pas conçues pour cela. Elles changent constamment. Nous avons collaboré avec un autre cabinet d’architectes (Material Immaterial Studio, à Mumbai, ndlr) pour mettre au point les mécanismes et la façon de fabriquer la bague en béton. Et lorsque celle-ci a été terminée, nous l’avons traitée à l’acide et l’avons partiellement détruite.

Studio Renn Strangler Ring
Studio Renn Strangler Ring

Cette collectionneuse devra être présente dans 30 ans, lorsque la bague tombera en morceaux, afin de récupérer le diamant!

Le diamant ne tombera pas car la bague est renforcée par de l’or. C’est un bijou solide qui va durer mais qui va vieillir. C’est le genre de processus philosophique que nous poursuivons au Studio. Tout ce que nous créons a un sens, un but. Nos bijoux tendent toujours à être plus que ce que l’on croit.

Nous pensons généralement que les bijoux sont éternels et qu’ils peuvent être transmis d’une génération à l’autre. Pas vous?

Rien n’est permanent. Pourquoi attendons-nous des bijoux qu’ils le soient?