epuis quelques années, la Chine s’est fait une place de choix sur l’échiquier de la joaillerie. Ceux qui ont ouvert la voie s’appellent Michelle Wong, Wallace Chan (qui avait défrayé la chronique pour sa première apparition à Paris lors de la Biennale des Antiquaires en septembre 2014) ou encore Cindy Chao, dont on retrouve les créations dans la collection du Musée des Arts Décoratifs de Paris.
Certains jeunes créateurs ont pris la relève et si l’on doit retenir un nom, c’est celui de Gearry Suen, 26 ans, co-fondateur avec Jing Zhao de la marque de bijoux G-Suen, qui a vu le jour en 2019 à Londres. Le premier crée tandis que la seconde fait tout le reste, à savoir s’occuper des ventes.
Après son diplôme en joaillerie et design à Central Saint Martins, Gearry Suen a passé un master en joaillerie au Royal College of Art de Londres. Il est l’un des créateurs émergents à suivre de près. A l’âge de 26 ans, il a déjà reçu trois prix spécialisés, dont le prestigieux Goldsmiths’ Company Award en mai 2021 pour ses boucles d’oreilles «Conversation».
A l’âge de 26 ans, Gearry Suen a déjà reçu trois prix spécialisés, dont le prestigieux Goldsmiths’ Company Award en mai 2021 pour ses boucles d’oreilles «Conversation».
Né près des frontières de la Chine du Nord et de la Russie, arrivé au Royaume-Uni à l’âge de 18 ans, il fait partie de cette génération multiculturelle qui évolue à son aise dans un environnement mondialisé et digitalisé. Son monde. Ses bijoux sont un pont entre la culture orientale et occidentale et entre les époques. Ils sont la projection d’un avenir possible qui n’oublie pas de s’appuyer fortement sur le passé.
Lors du dernier salon GemGenève, il exposait ses créations, toutes des pièces uniques, au sein du Vivarium, dont la curatrice est la fameuse écrivaine et historienne du bijou Vivienne Becker.
Pendant ses études au Royal College of Art, il a eu accès aux programmes de réalité virtuelle qui lui ont permis de s’exprimer à travers des dessins aux formes complexes et surréalistes, à mi-chemin entre l’art déco et la science-fiction. Mais s’il utilise des outils du XXIe siècle, il est familier avec la tradition séculaire du bijou et sculpte lui-même ses pièces en cire, avant de les faire réaliser par les ateliers, en or, titane ou tout autre matériau qui correspond à l’esprit du bijou.
S’il utilise des outils du XXIe siècle, il est familier avec la tradition séculaire du bijou et sculpte lui-même ses pièces en cire, avant de les faire réaliser par les ateliers, en or, titane ou tout autre matériau qui correspond à l’esprit du bijou.
«Nous vivons dans un monde digital, nous venons de Chine et nous travaillons en Occident, nous faisons appel à des savoir-faire traditionnels et à des matériaux modernes, comme le titane ou l’aluminium, explique Jing Zhao. Avec notre marque, nous connectons le passé, le présent, le futur, le digital et l’analogique. Nous apportons quelque chose de nouveau dans le monde de la joaillerie: des pièces uniques puissantes, qui utilisent un mélange de matériaux à la fois traditionnels et contemporains et qui expriment notre vision du monde. Nous sommes jeunes, mais nous ne voulons pas abandonner la tradition pour l’innovation.»
C’est la raison pour laquelle le duo fait appel aux meilleurs artisans, ceux qui maitrisent les savoir-faire dont ils ont besoin pour réaliser leurs pièces uniques.
«Le processus créatif est long, explique Jing Zhao. Gearry commence par faire un dessin. On se demande ensuite quel genre de femme pourrait porter ce bijou. Nous pensons à la cliente dès le début. Nous avons déjà une poignée de jeunes collectionneuses qui achètent nos pièces. Ensuite on imagine tout le processus créatif: le coût du bijou, où on va le produire, qui sera capable de le réaliser, combien de temps cela prendra pour le terminer et quand on va pouvoir le présente.»
Elle poursuit: «Gearry crée les formes en cire: il est le seul à pouvoir transformer ses dessins 2D en 3D. Nous avons trouvé un atelier à Londres qui réalise des prototypes. Nous nous tournons ensuite vers les meilleurs artisans. Lorsque nous avons besoin d’orfèvres, nous les cherchons en Europe, car c’est là qu’ils se trouvent, mais si nous devons faire appel à un sculpteur de jade, nous nous tournons vers la Chine, où s’est développé cet art. Idem pour la sculpture du bois de santal. Quant au titane, nous explorons divers lieux en Europe. C’est le dessin qui nous guide vers tel ou tel atelier. Il est à l’origine de tout le voyage.»
«Nous sommes jeunes, mais nous ne voulons pas abandonner la tradition pour l’innovation.»
Si l’on veut mieux comprendre la philosophie de la marque, il faut se pencher attentivement sur la paire de boucles d’oreilles Ren en or jaune et en or blanc oxydé, avec des fleurs serties de diamants taillés sur mesure en forme de cerf-volant. De prime abord, on dirait les branches d’un arbre orné de fleurs. Mais pour en comprendre le sens profond, il faut maîtriser les caractères d’écriture chinois.
«La boucle d’oreille gauche est structurée d’après le sinogramme signifiant «être humain»; celle de droite est basée sur le caractère inverse qui peut être interprété comme «être élevé», explique Jing Zhao. Ce bijou exprime la notion d’humanité et sa sublimation, selon la philosophie chinoise. On retrouve d’ailleurs ces symboles dans des agroglyphes extraterrestres.»
D’où vient l’humain? Ni la paire de boucles d’oreilles, ni le joaillier ne répondent à cette question éternelle, mais la question mérite d’être posée, inlassablement…